Culte du 13 août 2023, 10h, Fleurier
Lectures bibliques :
Prédication sur : Confiance au Christ, dans le calme comme dans la tempête
De Cyprien Mbassi
Chers frères et sœurs,
Il y a eu beaucoup de peur dimanche dernier. Il y en a encore aujourd’hui. Dans l’évangile de dimanche dernier, trois disciples (Pierre, Jacques et Jean) assistent à la transfiguration de Jésus. Une nuée lumineuse les recouvre. Et de la nuée, ils entendent une voix. Ils sont alors saisis d’une grande crainte et tombent la face contre terre.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, il y a encore de la peur. Cette fois, ce sont les douze disciples qui crient de frayeur parce qu’ils croient voir un fantôme lorsque Jésus les rejoint en marchant sur l’eau.
Nous avons tous eu peur au moins une fois dans notre vie. La peur est une émotion. Elle est ressentie lorsque nous prenons conscience de nos limites face à un danger ou une menace. Nous connaissons les manifestations de la peur : notre cœur bat plus vite, nous avons la boule au ventre, nous tremblons, nous transpirons, nous crions par réflexe pour évacuer le trop-plein d’émotion. C’est ce que font les disciples. Ils crient parce qu’ils sont terrifiés par ce qu’ils voient.
Représentons-nous la scène pour mieux comprendre leur frayeur : il fait nuit ; ils sont en pleine mer, loin de la côte ; « le vent est contraire » ; leur barque est « battue par les vagues ». Difficile de dormir et de se reposer dans ces conditions. Et cela va durer toute la nuit ! « Vers la fin de la nuit, dit l’évangile, Jésus vient vers eux en marchant sur la mer ». Eux, ce qu’ils voient, c’est une silhouette humaine qui s’approche au-dessus de l’eau, dans l’obscurité, et dans l’agitation du vent et des vagues.
Les disciples croient voir un fantôme. Ils se sentent menacés et ils crient de peur. Pour eux, la scène est terrifiante. Pourtant, en réalité, l’étrange silhouette qui approche, c’est Jésus. Il y a comme une deuxième transfiguration après celle de dimanche dernier. Au bout de la longue nuit des disciples, à travers les eaux troubles et l’agitation des vents, Jésus les rejoint et les rassure.
Dimanche dernier, la crainte des disciples venait de ce qu’ils avaient entendu. Ils étaient tombés face contre terre en entendant la voix de Dieu venue des nuées. Et Jésus les avait rassurés en disant : « Relevez-vous et soyez sans crainte ». Ce dimanche, la peur des disciples vient de ce qu’ils voient. Cette fois, la voix qu’ils entendent ne raisonne pas pour inspirer la crainte, mais pour rassurer : « Confiance ! leur dit Jésus, c’est moi ; n’ayez pas peur ! ».
La traduction littérale de ce verset à partir du texte grec est : « Ayez confiance, moi je suis (en grec) – ἐγώ εἰμι – moi je suis ; n’ayez pas peur ». Rappelons-nous ce que Jésus répond aux Juifs qui se moquent de lui en disant : « Toi qui n’as pas encore cinquante ans, tu [prétends avoir] vu Abraham ! ». Jésus leur répond : « Avant qu’Abraham fût, moi JE SUIS » – ἐγώ εἰμι – « moi JE SUIS » (Jn 8, 57-58). Rappelons-nous encore ce que Dieu lui-même répond à Moïse dans le livre de l’Exode, quand il lui demande son nom. Dieu répond : « Je SUIS » – ἐγώ εἰμι – (Ex 3, 14).
Pour rassurer ses disciples effrayés, Jésus reprend à son compte le nom que Dieu s’attribue quand il se révèle à Moïse : « Ayez confiance, moi JE SUIS ; n’ayez pas peur ». Jésus est présence de Dieu auprès des disciples. Il est visage de Dieu parmi les humains.
Pour signifier à ses disciples que la révélation de Dieu se poursuit avec lui, il leur donne deux signes familiers. Deux signes à travers lesquels Dieu s’est manifesté aux hébreux dans le passé. Ces deux signes sont mentionnés au début du texte : « Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive ». Le premier signe est la nourriture dans le désert. Il fait écho à la manne tombée du ciel pour nourrir les Hébreux dans le désert après leur sortie d’Egypte (Ex 16, 11-18). Le deuxième signe est la traversée de la mer. Il fait écho à la traversée de la mer rouge par les hébreux alors qu’ils étaient poursuivis par Pharaon et son armée (Ex 14, 5-31).
Et comme dans le passé, ces deux signes sont présentés aux disciples comme une histoire de salut. La nourriture dans le désert est une histoire de salut parce que le désert est un lieu aride, un lieu hostile à la vie. Un lieu où, malgré tout, le Dieu de l’impossible parvient à nourrir ceux qui ont foi en lui. En nourrissant son peuple dans le désert, Dieu le sauve parce qu’il préserve sa vie dans un environnement défavorable à la vie.
La traversée de la mer est une histoire de salut parce que la mer est aussi un environnement hostile et redoutable. Dans la tradition juive, la mer symbolise l’adversité, les forces du mal et de la mort. La marche de Jésus sur la mer signifie qu’il transcende toutes les forces contraires à la vie. Pensons au récit de la création, dans le livre de la Genèse, quand il est dit que « le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux » (Gn 1, 2). Porté par le souffle de Dieu, par l’Esprit de Dieu, Jésus domine les forces contraires à la vie : « Dieu a tout mis sous ses pieds », dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Ephésiens (Ep 1, 22). Rien de ce qui est contraire à la vie et à la joie de vivre ne peut l’empêcher de nous rejoindre.
Car, chacun de nous, à différents moments de notre vie, est l’un des disciples dans la barque, en pleine mer. Il peut arriver que notre vie soit comme une mer agitée. Il peut arriver que nous soyons troublés, abattus, déprimés, angoissés. Il peut nous arriver d’avoir un sentiment d’absence ou d’éloignement de Dieu. Il peut même nous arriver de nous sentir indignes de la présence de Dieu dans notre vie. Tout cela peut susciter de la peur en nous, une sorte de peur existentielle. On parle même aujourd’hui d’une culture de la peur.
Rien de ce que nous traversons comme troubles, de ce que nous endurons ou de ce que nous avons pu faire de mal ne peut entamer l’amour de Dieu pour nous. L’assaut des vagues dans notre vie ne peut faire trébucher le Christ qui se fait proche de nous. Ni les vagues de nos défauts, ni celles de nos maladresses n’arrêtent sa marche vers nous. Les vents contraires qui soufflent dans notre vie ne le retiennent pas. Rien ni personne, aucune force contraire à l’amour et à la vie ne peuvent l’empêcher de se faire proche de nous : « Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ », dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains (Rm 8, 39).
L’obscurité de la nuit ne l’empêche pas de trouver son chemin vers notre barque : « La ténèbre pour toi n’est pas ténèbre, dit le psaume, et la nuit comme le jour est lumière ! » (Ps 138, 12). La nuit de notre ignorance, la nuit de nos prétentions, la nuit de nos combines, la nuit de nos erreurs n’empêchent pas la présence du Christ de luire dans nos vies.
Une présence dérangeante parce qu’elle nous sort de nos zones de confort. Une présence déstabilisante parce que notre culture scientifique nous a habitués à la clairvoyance et à la maîtrise. Une présence hors du commun qui peut paraître étrange, perturbante, et même effrayante comme la silhouette qui s’avance sur la mer. Et pourtant une présence sensée nous rassurer et nous inspirer confiance : « Ayez confiance, moi JE SUIS ; n’ayez pas peur ».
Nous avons besoin de faire confiance parce que nous sommes limités. C’est notre nature. Notre connaissance, par exemple, est limitée. Alors, nous apprenons les uns des autres en toute confiance. Nos capacités techniques sont limitées. Alors, nous faisons confiance au savoir-faire du mécanicien, du plombier, du boucher, de la coiffeuse, ou simplement d’un collègue de travail. Nous ne sommes pas seuls au monde. Nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes. Nous ne pouvons pas progresser ni être heureux par nous-mêmes, sans la contribution d’autrui.
Nous avons besoin de faire confiance. La confiance est l’attitude qui nous permet d’avancer et de nous épanouir dans la vie en nous appuyant sur les autres comme personnes ressources. Pour nous Chrétiens, le Christ est la personne ressource par excellence. Lui faire confiance, c’est nous laisser porter, comme lui, par l’Esprit de Dieu qui nous a été donné et qui demeure en nous. Faire confiance au Christ, c’est garder notre attention fixée sur lui pour que le souffle de Dieu nous fasse planer au-dessus des eaux tumultueuses de la vie.
Pierre s’enfonce dans la mer parce qu’il détourne son attention du Christ pour se préoccuper de la force du vent. Il est pécheur de métier. Il sait combien cette mer de Galilée est dangereuse. Il évalue donc la menace et le danger en fonction de sa prudence humaine, et non en fonction de la puissance du Christ qui domine les eaux. Alors, sa foi faiblit. Il est pris de panique et commence à s’enfoncer. Malgré son doute, malgré son peu de foi, Jésus lui tend la main et le relève. C’est encore la vie qui est préservée.
Et une fois que Jésus monte dans la barque, le vent tombe. Il n’y a plus que « le murmure d’une brise légère », signe de la présence de Dieu, comme dans la première lecture (1 R 19, 12b). Jésus apporte paix et sérénité à celles et ceux qui sont saisis par sa présence dans la barque de leur vie : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé », dit-il dans l’évangile de Jean ; « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14, 27).
Alors, gardons confiance chers frères et sœurs. N’ayons pas peur. Vivons le regard tourné vers le Christ. Laissons-nous porter par le souffle de Dieu dans le calme comme dans la tempête. Amen.