Cheminement de deuil

Méditation prévue pour le culte du dimanche 22.11.2020

Texte biblique : Genèse 23, 2 – 19

Message

Le culte du 22 novembre devait faire suite à la soirée réservée aux endeuillés. C’est la raison d’avoir choisi le texte de la sépulture de Sara ; une invitation à cheminer ensemble lors de la perte d’un être aimé.

Pour cette épouse courageuse, 127 années de vie est un généreux parcours, cela ne minimise pas le détachement à effectuer. Abraham est un immigrant, un résident temporaire chez les Hittites. Cette simple phrase décrit en un miroir, ce que nous révèle la Covid 19 :

La fragilité de nos sociétés hypersophistiquées à tous les points de vue. Professionnels, transports, hôpitaux, etc… Vraiment de quoi être reconnaissants et rassurés… quand tout va bien.

En quelques petites semaines, tout est chamboulé, même les autorités sont déboussolées par cette nouveauté brutale. L’ébranlement de nos certitudes bien établies nous transforme tout à coup en voyageurs itinérants. Pourtant, rien de nouveau sous le soleil rappelle l’Ecclésiaste « Dès le matin sème ta semence et le soir ne laisse pas reposer ta main car tu ne sais point ce qui réussira ». (11.5)

Ce n’est pas du fatalisme mais le sentier de la sagesse lors du labeur des œuvres humaines soumises à des lois cycliques qui nous dépassent largement. La sécurité de nos institutions – si bonnes en soi – devient un piège. Comme l’animal domestiqué a perdu son instinct de survie, la population a oublié sa dépendance à l’incertitude de notre condition de mortel.

Donc, en ce mois de novembre, nous faisons partie de la même famille qu’Abraham ; confrontés nous-mêmes à la résidence temporaire. C’est dans ce pèlerinage incertain qu’Abraham perd son épouse. Voilà aussi un coup de projecteur envers les endeuillés privés du détachement physique lors des cérémonies d’adieux. Abraham sollicite la bienveillance des Hittites pour ensevelir sereinement Sara. Il achète un champ où se situe une grotte. C’est là que repose celle qui l’a accompagné pendant de longues années éprouvantes.

Il y a un passage important dans ce texte, d’ailleurs répété deux fois dans la bouche d’Abraham, « ensevelir le corps de ma femme et l’éloigner de moi » (verset 4 et 8). Cette répétition nous invite à bien séparer la mort – qui nous poursuit – d’avec le travail du deuil qui est la reconstruction d’un chemin différent.

La mort a enveloppé le corps inerte, c’est le vivant qui doit s’éloigner pour continuer la route. S’éloigner ne veut pas dire abandonner. C’est prendre soin d’un corps inanimé par l’opportunité d’une sépulture. Les Hittites sont en bons termes avec le migrant, ils lui offrent un lieu gracieusement. Abraham insiste pour l’acheter. Cela peut surprendre. Pourtant, il y a là un besoin de « garder » Sara dans son patrimoine terrestre. Il n’y a rien de prétentieux, juste un besoin impérieux de prendre soin du lieu de la dépouille conjugale, même si lui, va continuer sa route.

Ainsi le deuil peut commencer à prendre possession d’Abraham. Déchirure il y a certes, mais la cicatrisation peut faire son œuvre de guérison. La mort a pris Sara, le linceul est en repos dans la grotte. Abraham peut s’éloigner loin du sentiment d’abandon, car toute sa vie est imprégnée de l’aura de Sara. Le deuil accompli, c’est garder l’image vivante qui continue de parfumer son voyage.

Il me semble que la Covid 19 nous incite à revisiter le sens profond de la mort d’un proche en sachant que le deuil n’est ni l’oubli, ni l’idolâtrie mais un cheminement solitaire en gardant précieusement l’héritage de biens immatériels, comme le dit si bien le Cantique des cantiques :

« Je mange mon rayon de miel avec mon miel, ceci issu du mélange greffé de l’un à l’autre au temps béni. » (5.1)

« Mets-moi un sceau sur mon cœur, car l’amour est plus fort que la mort. » (8.6)
Le sceau de l’amour à cultiver, c’est l’empreinte de Dieu pour relier le temporel et l’intemporel.

André Chédel