Prédication à 3 voix pour la semaine de l’unité
Christophe Mpevo, Nathan Ferrari, Véronique Tschanz Anderegg
Christophe Mpevo, prêtre de la communauté catholique
Aimer Dieu ; aimer le prochain ; et qui est mon prochain, voilà les trois axes de notre partage œcuménique de ce jour. Pour ma part, je commente « aimer Dieu ».
De quel aimer et de quel Dieu s’agit-il ? Selon le Shema, Israël, il s’agit du seul et vrai Dieu, Créateur de tout, Dieu d’Israël (Dt 6,4-5). Dans ce 1er commandement s’exprime la religion monothéisme d’Israël : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face » (Dt 5,7 ; cf. Ex 15,11 ; 20,23). Il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y en a pas d’autre. Et s’il en existe un autre, c’est un faux. Le Dieu que l’homme aimera, c’est le seul et vrai, celui des patriarches Abraham, Isaac, Jacob ; celui de l’exode, qui a donné une Loi et une terre à Israël ; celui que Jésus-Christ seul révèle pleinement (He 1,1-5). Le Dieu à aimer c’est Dieu dans l’intégralité de ce que l’homme peut connaître de Lui en son Fils incarné. Mais ce Dieu reste si grand pour qu’un acte humain, fût-il L’aimer, Le contienne. Aimer Dieu n’est donc pas un acquis, un acte achevé, une prétention à la rectitude ou à la perfection ; c’est plutôt une quête, un parcours de confiance : c’est chercher Dieu infini, se tourner vers Lui, Le reconnaître, désirer s’unir à Lui et se reposer en Lui (Ps 61 [62] ; 62 [63]). Aimer Dieu ressort de la foi en Dieu : on l’aime si on croit en Lui.
Et quel homme va aimer Dieu ? C’est l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26-27). L’homme qui reconnaît Dieu comme son Créateur, mais aussi se reconnaît porteur de l’empreinte divine, de la dignité exclusive de créature à l’image et à la ressemblance de Dieu, celui-là vit l’expérience d’aimer Dieu. Et en Christ mort et ressuscité, il reconnaît sa dignité nouvelle et exclusive de fils et héritier de Dieu, cohéritier du Christ (Ga 4,7 ; Rm 8,17). C’est comme créature spéciale et sauvée que l’homme se tourne vers Dieu. Aimer Dieu c’est pour la créature répondre au Créateur et marcher vers Lui qui l’attire en son Fils et Révélateur (Mt 11,27).
Comment cet homme peut-il aimer Dieu ? C’est dans l’intégralité (tout) de son cœur, son âme, ses forces et son esprit que l’homme aimera le seul et vrai Dieu. Dans l’anthropologie chrétienne, l’homme est composé de l’esprit, de l’âme et du corps (1Th 5,23). Le cœur est l’intérieur le plus intime de l’homme, la source de la vie de l’âme, le siège des émotions, désirs, sentiments, mais aussi de la volonté, de la pensée, du jugement, de la conscience, le siège de la vie religieuse. Aimer de tout notre cœur Dieu c’est laisser le plus intime de nous se tourner vers Lui et être modelé à son image ; laisser Dieu devenir la référence absolue de nos désirs, sentiments, volonté, conscience, pensée. L’âme est le principe de la vie et la nature immatérielle et animée de l’homme, le siège de la personnalité, le sujet du péché et l’objet du salut. Aimer de toute notre âme Dieu, c’est Le laisser prendre notre vie immatérielle et la mettre sur la voie de l’immortalité. La pensée, mieux l’esprit est le principe vivifiant de l’âme, le siège de la conscience, de l’intuition, de la communion avec Dieu. Aimer de tout notre esprit Dieu, c’est laisser son Esprit devenir le critère de notre raison, de notre discernement, de nos quêtes et de nos choix. Le cœur, l’âme et l’esprit sont immatériels. La force ce sont les énergies et ressources de l’homme immatériel et matériel. Aimer de toute notre force Dieu, c’est Le laisser utiliser nos énergies, notre vitalité pour réaliser son projet de salut.
En bref, c’est l’homme intégral qui se voue à aimer Dieu, c’est-à-dire à Le chercher pour s’abandonner à Lui et Le laisser guider sa vie, sans retrancher à l’expérience avec Dieu rien de ce qu’est l’homme. Il s’agit pour l’homme de s’abandonner tout entier et totalement à la volonté de Dieu. L’homme tout entier doit aimer Dieu tout entier : rien dans l’homme n’est excepté ou exclu, et rien en Dieu n’est excepté ou exclu. Et ce seul et vrai Dieu, c’est le Créateur qui marque de son sceau et veut sauver tous et chacun. Ainsi, dans tout acte d’aimer, on Le retrouve, on Le rencontre, on se confronte à Lui qui provoque et guide la marche vers Lui. L’initiative de notre aimer Dieu est de Dieu même. Aimer Dieu, c’est nous laisser aimer et guider par Dieu. Nous réalisons certes qu’aimer Dieu n’est pas notre naturel. Mais nous abandonnant à Lui, Il nous aide à L’aimer. Aimer Dieu, c’est d’abord un acte de foi, et non une conquête.
Aimer Dieu nous fixe ainsi sur notre condition, capacité et manière d’aimer tout objet de notre amour selon le Christ : aimer en vérité, et non en partie. C’est radical. Aimer Dieu est la condition fondamentale de tout amour du chrétien. J’aime tel que je suis ; et tel que je suis, j’aime Dieu tel qu’Il m’est révélé, et j’aime mon semblable tel qu’il m’est donné. C’est ainsi que le premier Dieu s’est incliné sur nous, c’est ainsi que le Samaritain s’est incliné sur son semblable souffrant. Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme de la Nouvelle Alliance se laisse désormais habiter et vivre par le Christ (Ga 2,20). Sa vie imite ainsi son Créateur et son Sauveur. Son modèle pour aimer c’est Dieu seul en Jésus-Christ.
L’amour du prochain – Nathan Ferrari, pasteur au PHARE
Le professeur de la Loi ajoute ensuite “et tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lev 19.18).
Voici la simplicité de l’Evangile et son extrême puissance. Aime Dieu et aime ton prochain. Et Jésus répond à cet enseignant de théologie : Fais cela et tu auras la vie ! Si je paraphrase, je dirais : Aime Dieu et aime ton prochain et tu découvriras la vraie vie, le sens de la vie. Car Dieu est amour, l’amour vient d’en haut, l’amour est l’empreinte de Dieu dans nos vies. Et comme le dit si bien l’apôtre Jean : celui qui n’aime pas, n’a pas connu Dieu. C’est tellement triste de voir des chrétiens qui connaissent un tas de choses sur Dieu, qui aide leur prochain même, mais qui ont oublié leur premier amour, qui ont oublié l’essence de la vie, le battement du cœur de Dieu, l’émerveillement.
Dans 1 Co 13, Paul insiste en disant que si j’ai la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. Il dit encore, que je pourrais donner tous mes biens aux pauvres et même ma vie, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien.
L’amour est patient, il est plein de bonté; l’amour n’est pas envieux; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, 5 il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, 6 il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité; 7 il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout.
Il n’y a qu’en adorant Dieu que je peux m’approcher de cet amour si pur, si puissant. Et alors que je contemple la gloire de Dieu, moi, humain, dans toutes mes faiblesses, dans toutes mes limitations, dans tous mes péchés, je reçois le don de la grâce, offert par Jésus. Et cette grâce, me lave de tout manquement, de toute déception, de toute amertume. Et petit à petit, en face de cette infinie bonté de Dieu, mon coeur est transformé. Je peux ressentir l’amour extraordinaire dont je suis aimé, le pardon constant et immérité que je reçois en Jésus.
On peut être scribe, enseignant de théologie ou même pasteur et considérer l’amour de Dieu à un niveau purement intellectuel.
Mais c’est seulement lorsque je m’ouvre à la grâce, à l’amour de Dieu, que je peux aimer mon prochain. Que je peux voir mon prochain comme Dieu le voit. Que je peux espérer le meilleur pour cette personne, comme Dieu l’espère toujours.
Et c’est ce que Jésus nous apprend par la parabole du bon Samaritain. Nous pouvons trouver tout un tas de bonnes raisons pour ne pas aider une personne. Cet homme avait été frappé par des brigands, peut-être était-ce un règlement de compte, peut-être qu’il le méritait après tout. Il récolte ce qu’il a semé.
Le prêtre arrive, voit la scène et passe à bonne distance, certainement avec une bonne conscience! Merci Seigneur que je n’appartienne pas à ce genre d’hommes violents et mendiants.
Combien de fois, nous justifions notre manque de compassion par des phrases assassines, par des jugements insensés sur les étrangers, les personnes en situation de dépendance, les familles monoparentales. Parfois je me surprends en train d’avoir de mauvaises pensées sur des personnes et je sens le Saint-Esprit en moi qui s’agite et je me dis : Nathan est-ce que tu es vraiment converti, est ce que tu as vraiment compris l’amour du Christ.
Et c’est à ce moment que vient un étranger, un samaritain, un inconnu. Lui, il ne cherche pas à comprendre, à analyser le pourquoi du comment. Il aide, il aime, il donne. Car aussi profond que puisse tomber un être humain, il reste la création et l’image de Dieu. Il mérite donc attention, amour et dignité. Alors cet étranger, cet inconnu, ému de compassion, décide d’interrompre sa journée, peut-être même d’annuler un rendez-vous, car il a trouvé plus important que ces affaires personnelles, un être humain qui avait besoin d’être secouru. Le samaritain descend de sa monture et s’occupe personnellement de cet homme. Il ne pouvait pas sauver tous les hommes de Jéricho, mais pour aujourd’hui, c’est pour celui-là que Dieu a touché son cœur
Qui est mon prochain ?, Véronique Tschanz A., pasteure réformée
Je tenterai de répondre à cette question par une histoire que j’ai vécue il y a une vingtaine d’années :
Je traversais une phase de maladie grave et longue, avec 2 petits enfants à la maison. Une amie, Jacqueline, avait toutes sortes d’attentions pour moi : elle me faisait mon repassage, m’amenait parfois à manger et me gardait mes enfants. Mais un jour, je lui ai dit qu’elle en faisait trop et que jamais je ne pourrais lui rendre la pareille de ce qu’elle m’apportait. « C’est probablement vrai », m’a-t-elle répondu, « mais je t’invite à voir plus loin dans le temps et plus loin dans l’espace… tu trouveras bien dans le reste de ta vie à accomplir des gestes d’entraide. Ils ne me seront pas destinés, mais ils feront partie de la grande chaîne de la solidarité humaine voulue par le Christ
Quelle belle leçon de vie ! Et quelle justesse dans l’interprétation de Jacqueline de cette parabole ! Le prochain, ce n’est pas seulement celui que je dois aider. C’est aussi celui qui m’a aidée, aimée, accompagnée ! C’est celle, celui avec qui je tisse des liens, je vis des complicités. Pas seulement des gens de mon entourage, mais des personnes rencontrées au hasard de la vie, dans un train, dans la rue.
L’homme blessé au bord de la route à qui Jésus nous propose de nous identifier vit dans un monde bien réel, il connaît la méchanceté des brigands, l’indifférence des hommes, la faiblesse qui nous rend incapable d’avancer. Mais voilà que dans cette aventure, l’homme blessé reçoit un geste de compassion.
Même celui qui a eu la plus dure des existences a connu au moins un geste d’humanité de temps en temps, comme par éclairs.
Je vous invite à un temps de SILENCE pour nous remémorer un geste de compassion que nous avons reçu dans le passé, hier, aujourd’hui
SILENCE
En repensant à ces gestes de compassion reçus, nous pouvons faire l’expérience d’aimer celui qui en a été l’auteur. Ou, comme me le suggérait Jacqueline, d’offrir le même geste à une autre personne !
Ainsi, ces gestes reçus et donnés feraient de leurs bénéficiaires notre prochain ! Car le prochain, c’est celui avec qui on tisse des liens, de qui on s’approche. Pas la terre entière, mais ceux, celles qui nous sont donnés de rencontrer.
Recevoir et en éprouver la gratitude nous invite à boire à cette source de la grâce de Dieu. La gratitude engendre cette motivation d’aimer un peu plus, un peu mieux.
Non parce que nous le devrions, mais parce que nous avons trouvé que ce geste que nous avons reçu était beau et que nous aimerions l’essaimer plus loin.
Bien sûr, nous n’adopterons pas toujours les bonnes attitudes, nous tâtonnerons, nous essayerons. Mais nous nous relèverons, nous tenterons d’autres liens et recevrons la joie de rencontrer d’autres prochains.
Avec la parabole du Samaritain, Jésus nous invite à sentir son amour pour nous, à en éprouver de la reconnaissance. Il nous lance dans l’aventure d’aimer à notre tour, sans préjugés, sans calculs. Il nous appelle à nous laisser toucher par son amour infini et à voir dans ceux que je rencontre un Aimé de Dieu. « Va et fais de même ».
Amen