Célébration œcuménique

19 janvier 2025, MôtiersSemaine de prière pour l’unité des chrétiens

Lectures : Deutéronome 6, 4-9 et Jean 11, 17-27

Prédication de l’abbé Christophe Mpevo
Cette année, la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens porte une autre saveur, car nous sommes à 1700 ans du premier concile œcuménique chrétien, le Concile de Nicée en 325. Ce concile est dit œcuménique parce qu’il réunissait l’ensemble de la chrétienté de l’oikoumène, terme désignant l’ensemble du monde habité par l’homme. A l’époque, on parle donc de l’empire romain et ses contours sous l’empereur Constantin. Sur appel de celui-ci, venus surtout d’Orient, 318 pères sont réunis aux fins de s’accorder sur la foi chrétienne maintenant accueillie au-delà de la Palestine et de la culture romaine. L’Orient de culture grecque et l’Occident de culture latine doivent s’entendre pour dire ensemble la même foi en Jésus-Christ. C’est la naissance de notre CREDO, dont le texte original était plutôt au pluriel CREDIMUS et dont le contenu était déjà trinitaire. On n’est pas chrétien parce que seulement on croit en Jésus-Christ, mais en Jésus-Christ qui est Dieu avec le Père et l’Esprit. Le credo est l’expression de l’unité de notre foi. Cet élan a malheureusement été suivi de plusieurs divisions presque toujours avec le concours des motifs culturels et politiques, et parfois économiques. La célébration de ce dimanche devrait nous aider à nous poser une question : aujourd’hui, notre credo nous unit-il entre nous autour de Jésus-Christ ou nous divise-t-il entre nous autour de lui ? Je ne sais pas.

Dans la question-incitation de Jésus à Marthe : « Crois-tu cela ? », nous sommes interpellés sur l’objet de notre foi. Que croyons-nous dans notre foi chrétienne ? En quel message, en quelle vérité croyons-nous ? Notre foi est-elle celle de l’unique Eglise du Christ ? Mais quelle est la foi de l’unique Eglise du Christ ? Oui, les articles de notre foi sont définis ; ils ne changent pas. Mais la foi dans le coeur du croyant est une expérience vécue avant tout dans un cheminement.

Devant la réalité de la mort, Marthe est désespérée et bousculée, et a besoin de réconfort. Elle est certes bien entourée. Mais elle perçoit l’absence de Jésus auprès de Lazare comme un vide qui a laissé la mort l’emporter sur la vie. Sa foi dit son objet, Jésus-Christ, en trois traits qui signifient que la foi, quelque grande soit-elle, demeure une marche. Dès qu’elle se croit arriver, donc s’arrêter, elle cesse d’être foi.

Le premier trait de l’objet de la foi de Marthe c’est Jésus intercesseur ou médiateur. Marthe croit en Jésus, a confiance en lui comme celui dont la présence pouvait faciliter que Lazare ne meure pas, et comme celui que Dieu écoute : « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. » Il s’agit d’une foi personnelle, mais son objet ce sont les possibles médiations de Jésus. Marthe a espéré, mais les conditions ne sont pas remplies pour réaliser son espoir. Marthe se concentre sur ce que peut faire Jésus pour elle. Ce n’est pas cela qui fait de nous des chrétiens. Même un athée peut croire en Jésus faiseur de bien, humaniste, philanthrope.

Le deuxième trait de l’objet de la foi de Marthe c’est Jésus annonciateur de la résurrection au dernier jour. Marthe adhère à la foi commune de son peuple en la résurrection finale, où Jésus semble plutôt être un prophète de la résurrection commune avant le jugement dernier. Marthe est une vraie juive qui croit en la résurrection finale, au contraire des Sadducéens qui ne croient pas en la résurrection. Mais la foi chrétienne doit passer par le Christ lui-même. On ne peut être chrétien de l’Ancienne Alliance ; il faut s’établir dans la Nouvelle Alliance. Marthe doit encore faire un pas. Et nous aussi.

Le troisième trait de l’objet de la foi de Marthe c’est Jésus Messie, Christ, Fils de Dieu incarné (qui vient dans le monde) et Jésus résurrection et vie. Jésus est celui qui défie la mort et la vainc. La confession de foi de Marthe rappelle celle de Pierre à Césarée de Philippe : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16,15-16 ; Mc 8,29). Il ne s’agit pas de la foi en ce que peut faire Jésus, mais en ce qu’il est, en son identité. La confession de foi répond à la question de Jésus. Et lui n’est pas un instrument pour la résurrection et la vie, mais le Fils de Dieu, Dieu fait homme, l’Oint de Dieu, la vie ressuscitée, nouvelle et éternelle. Jésus aide Marthe à le saisir.

Nous croyons en Jésus, Dieu, Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité. Celui qui est ressuscité c’est celui qui a souffert la passion et est mort. Celui qui est mort, c’est celui qui s’est incarné. La gloire de la résurrection se construit à travers l’humilité de l’incarnation. Et voilà le Dieu en qui nous croyons. La foi en la résurrection dit en même temps l’incarnation et la mort du Christ. Et Paul affirme : « Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu. » (1Cor 15,14). L’identité chrétienne tient de Jésus-Christ même. Si la division de l’Eglise du Christ est une honte, sa reconstruction restera aussi une honte et un échec si, elle ne se fait pas d’abord autour de la question posée aux Apôtres (Qui suis-je ?), et qui résonne dans celle posée à Marthe (Crois-tu cela ?). Notre foi chrétienne reste une réponse sans fin, parfois balbutiée, à la provocation de Jésus : « Qui suis-je ? » ou « Crois-tu cela ? » Nous croyons d’abord en ce qu’est Jésus-Christ. Rechercher l’unité de l’Eglise du Christ n’est pas possible si nous oublions ou négligeons cette vérité que le Christ est Dieu fait homme, mort et ressuscité. L’Incarnation et la Résurrection sont inséparables. Il est bien vrai de dire que pour le chrétien, l’essentiel c’est l’amour. Mais il ne s’agit que de l’amour qui traverse l’acte d’un Dieu qui se fait homme, souffre la passion comme un homme rejeté, meurt comme un homme sans dignité, mais ressuscite et nous ressuscite en nous partageant sa propre dignité. S’il ne s’agit pas de cet amour, notre amour est creux.

La route de l’unité des chrétiens commence là où nous méditons et reprenons chaque jour, et nous y confrontons pour grandir, cette foi des Apôtres, de Marthe, de Nicée 325, de Constantinople 381, etc. Notre chemin œcuménique s’enrichit mieux chaque fois que nous voulons répondre ensemble à la provocation de Jésus, une provocation qui nous éloigne de nos narcissismes confessionnels pour nous plonger dans la contemplation du Dieu qui, par amour, s’est approché de nous et nous a donné tout ce qu’il est pour nous sauver. C’est la voie pour rester unis autour de lui. Notre foi nous unira autour du Christ quand ce sera lui et pas nous. Lui nous a déjà placés au centre de son amour ; plaçons-le réellement au centre de nos pas de foi et d’amour.