Texte de la prédication de David Allisson, cultes du samedi 28 janvier 2023 à Môtiers et dimanche 29 janvier 2023 à Noiraigue – lien vers le fichier pdf
Lecture de la Bible
Sophonie 2,3 et 3,12-13
1 Corinthiens 1,26-31
Matthieu 5,1-12
Prédication
Il y a quelques jours à peine, nous nous sommes souhaité une bonne année. On dit d’ailleurs que jusqu’à fin janvier, il est d’usage de continuer à se souhaiter le meilleur pour l’an nouveau.
Nous nous souhaitons plein de bonnes choses. Nous souhaitons des activités réussies, une vie professionnelle pleine de reconnaissance et de buts atteints, ou une retraite paisible et active. Nous souhaitons aux parents des enfants qui marchent bien, sans gros pépins et qui progressent dans leurs apprentissages et leur scolarité. Nous souhaitons à celles et ceux qui veulent s’installer de terminer leur maison ou leurs rénovations. Nous souhaitons une bonne santé. Nous souhaitons aux solitaires de trouver ou de retrouver l’âme sœur.
Nous nous souhaitons plein de bonnes choses.
[…]
Nous voilà bien à côté de ce que nous venons de lire. Le décalage avec les béatitudes est évident. Les béatitudes déclarent heureuses les personnes qui sont précisément dans les situations que nos vœux de bonne année leur souhaitent d’éviter. Les personnes heureuses dans les béatitudes sont dans tout ce dont nous leur aurions souhaité d’être épargnées.
« Ils sont heureux, ceux qui pleurent, parce que Dieu les consolera ! » Mt 5,4
Pour être heureux, il s’agit d’être malheureux. Est-ce que vraiment le bonheur se mérite par le malheur dans lequel nous sommes ?
A ce moment-là, le bonheur de certains serait déjà fait : l’angoisse devant l’état du monde, le souci qu’il n’y a plus d’avenir, le trou sans fond dans lequel la violence de la guerre plonge l’humanité, le climat dérèglé et irrécupérable, tout cela fait le malheur de l’humanité.
La voici donc heureuse, l’humanité.
« Ils sont heureux, ceux qui pleurent, parce que Dieu les consolera ! » Mt 5,4
Les béatitudes ne sont évidemment pas des « meilleurs vœux de malheur ». Les béatitudes ne nous demandent pas de chercher le malheur pour trouver le bonheur. Il nous est demandé de dépasser les premiers mots : « ils sont heureux, ceux qui pleurent ». Oui, il y a des larmes. Elles ne sont pas là parce qu’elles vont conduire au bonheur. Les larmes sont là parce qu’elles signalent une présence. Les larmes sont à partager entre les personnes qui pleurent et celles qui les entourent. Les larmes sont à recevoir comme la promesse que le Dieu de la Vie est présent dans ces situations qui font mal.
Une légende rabbinique dit que lorsque Adam et Eve ont été expulsés du jardin d’Eden, ils sont allés voir Dieu et lui ont dit : « Tu ne peux pas nous laisser tout seuls dans un monde si grand et si dangereux. »
Dieu a eu compassion du premier couple et lui a dit : « Je sais que des jours très rudes vont venir sur vous, mais sachez que je prends soin de vous. C’est pourquoi je vais sortir de mon trésor une perle. C’est une goutte d’eau. Quand vous rencontrerez une catastrophe et quand vous vivrez une grand émotion, cette goutte d’eau sortira de vos yeux et coulera sur votre joue. Vous saurez que je suis avec vous et vous serez consolés, vous serez réchauffés, vous serez apaisés. » Les yeux d’Adam et Eve commencèrent à verser des larmes de repentance. Elles ont roulé sur leurs visages, sont tombées à terre et ont humecté la surface du sol. Adam et Eve ont laissé en héritage à leurs enfants et à leurs descendants jusqu’à la fin des temps le pouvoir de verser des larmes.
[…]
Il y a de la vitalité dans les béatitudes. Il y a du mouvement. Il y a une avancée.
André Chouraqui a proposé une traduction française de la bible aussi près que possible de la langue hébraïque, celle de la culture d’origine de Jésus et des textes de la Bible. Cela même si la langue du Nouveau Testament est le grec. Dans la traduction de Chouraqui, à chaque béatitude où nous avons entendu aujourd’hui « ils sont heureux… », le texte dit : « en marche ! ». Autrement dit : « tu es bien parti, le Royaume de Dieu peut s’approcher de toi. La présence de la vie vient à toi. »
Le bonheur des béatitudes ne s’arrête pas à fin janvier comme nos vœux de bonne année. Le bonheur des béatitudes est lié à une promesse qui prend en compte le temps long de l’histoire et de nos vies. Les béatitudes voient loin et propose d’emmener avec elles celles et ceux qui les écoutent et les redisent. La promesse de Vie détermine le présent de notre vie. Les promesses de bonheur immédiat vendues dans toutes sortes de commerce de bien-être et de confort sont dépassées. Elles ne font plus illusion.
La promesse qui fonde les béatitudes est plus réaliste, plus lucide. Les béatitudes osent déclarer « heureux » ceux qui pleurent parce que Dieu sait bien, Jésus sait bien que la mort d’un proche aimé, le deuil, c’est une vraie épreuve. C’est un tremblement, parfois une catastrophe. On dit qu’on apprend à faire son deuil. Les béatitudes reconnaisse qu’il peut aussi bien n’être jamais achevé. Il reste toujours un vide, un trou qui ne trouve pas sa consolation.
En acceptant qu’il y a des absences qui se font toujours sentir et des manques qui ne seront pas comblés, les béatitudes tiennent compte de la limite de ce monde. Elles nous permettent d’y vivre et d’accueillir ce qui vient faire obstacle.
En même temps, les béatitudes mettent en marche. Elles repoussent la limite de ce qui bloque notre existence. Renoncer à la violence comme le font les doux, renoncer à la vengeance, aux rapports de forces, cela ressemble sans doute à une défaite, au moins dans un premier temps. Certains y verront de la naïveté et même de la lâcheté. La guerre doit-elle forcément se terminer par la victoire d’une partie et la défaite sanglante de l’autre ? Qu’est-ce que cela promet ? Cela apporte en tout cas le risque de rassembler des forces en vue d’un rétablissement des équilibres ou en vue d’une vengeance.
La guerre faite partie d’une logique humaine souvent admise. Il y a des rapports de force, c’est la nature qui veut ça.
Ici, les béatitudes contredisent les logiques à courte vue. Elles s’opposent à ces évidences que nous croyons naturelles. Malgré les apparences, ces logiques à courte vue justifient l’immobilisme. Ces évidences censées être naturelles voient les comportements humains comme des fatalités auxquelles on ne peut pas échapper.
Les béatitudes ne s’arrêtent pas à demain, elles ouvrent le rideau sur l’après-demain. En faisant cela, elles font plus qu’ouvrir la porte d’un échappatoire. Elles inscrivent aujourd’hui la marque d’espérance de la Vie et de la présence, dans le chemin où nous marchons en ce moment.
« Ils sont heureux, ceux qui ont un cœur de pauvre, parce que le Royaume des cieux est à eux ! » La première et la huitième béatitudes sont au présent d’un bout à l’autre et affirment que le Royaume des cieux est donné. Le Royaume des cieux, la présence de Dieu est donnée aujourd’hui, par ce que les personnes vivent et traversent.
Les 6 béatitudes entre ces deux déclarent les personnes heureuses pour ce qu’il leur arrivera à l’avenir. « Ils sont heureux, les doux, parce qu’ils recevront la terre comme un don de Dieu ! » « Ils sont heureux, ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! »
Il nous arrive de penser que rien ne sert à rien. Il nous arrive de désespérer de ce monde.
Ne désespérons pas… des béatitudes !
Les béatitudes ouvrent un chemin auquel beaucoup d’entre nous aspirent. Les béatitudes souhaitent – ce sont leurs « vœux » – à chacun de découvrir que ce qui le comble, c’est l’amour qu’il reçoit ou qu’il donne. Ce qui la comble, c’est la réconciliation dont elle a besoin, ou à laquelle elle œuvre. Ce qui vient remplir sa vie, c’est la paix qui le construit, ou qu’il construit.
C’est un chemin sur lequel nous sommes en marche.
Nous sommes emmenés : c’est le cadeau qui nous est offert, le bonheur qui nous est donné.
Nous y participons activement : c’est la part que nous prenons à la vie, c’est notre participation au Royaume des cieux, au Royaume de la Présence.
Je relis les béatitudes « à la Chouraqui » :
En marche, les blessés du souffle et de la vie ! Oui, le Royaume des cieux est à eux !
En marche, les endeuillés ! Oui, ils seront réconfortés !
En marche, les humbles ! Oui, ils hériteront la terre !
En marche, les affamés et les assoiffés de justice ! Oui, ils seront rassasiés !
En marche, ceux qui sont bons pour les autres ! Oui, Dieu sera bon pour eux !
En marche, ceux qui ont le cœur pur ! Oui, ils verront Dieu !
En marche, les faiseurs de paix ! Oui, Dieu les appellera ses fils et ses filles !
En marche, ceux qu’on fait souffrir à cause de la justice ! Oui, le Royaume des cieux est à eux !
Amen