Prédication du culte des Récoltes – 6 octobre 2024
À Travers
Micha Weiss
Lectures : Mc 1,9-15 / 1 Tm 4,4-5
Photo de Claudia Baumberger
En lien avec la Saison de la Création 2024 et oeco – Églises pour l’environnement.
Avant de lire cette prédication, je vous invite à vous asseoir dans votre jardin si vous en avez un et que la météo le permet. Ou bien à la cuisine, près de vos fruits et légumes. Vous pouvez aussi prendre le temps de les présenter joliment devant vous.
Évangile de Marc 1,9-15 (NFC)
En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, une localité de Galilée, et Jean le baptisa dans le Jourdain. Au moment où Jésus remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit saint descendre sur lui comme une colombe. Et une voix se fit entendre des cieux : « Tu es mon fils bien-aimé ; en toi je trouve toute ma joie. »
Aussitôt après, l’Esprit le pousse dans le désert. Jésus y resta pendant quarante jours et il fut mis à l’épreuve par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.
Après que Jean eut été mis en prison, Jésus se rendit en Galilée ; il y proclamait la bonne nouvelle de Dieu. « Le moment favorable est venu, disait-il, et le règne de Dieu est tout proche ! Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle ! »
Première lettre à Timothée 4,4-5 (NFC)
Tout ce que Dieu a créé est bon. Rien n’est à rejeter, mais il faut tout recevoir avec reconnaissance, car la parole de Dieu et la prière reconnaissent que tout appartient à Dieu.
Ça ne va pas de soi !
Il y a une semaine en arrière, je suis allé deux jours faire les vendanges chez mon frère. Il est vigneron d’un domaine de 8 hectares à Riehen, juste à côté de Bâle.
Il est 5h30 du matin, je suis allongé sur le lit dans la chambre d’invité. Et je suis réveillé depuis une heure et demie, une pensée défilant après l’autre : les discussions avec mon frère autour de la pizza du soir d’avant, les rencontres et échanges dans les vignes avec les autres bénévoles, les gestes répétitifs quasi méditatifs – couper la grappe, nettoyer la grappe, jeter la grappe dans le seau – mais surtout… La prédication du culte des récoltes d’aujourd’hui.
Ça vous arrive peut-être aussi de temps en temps qu’un sujet captive votre attention entièrement, et vous garde réveillé la nuit. Parfois, c’est des réflexions qui ne mènent à rien, qui tourne simplement en boucle dans nos têtes. D’autres fois, ces réflexions mènent à des moments de déclic, de réalisation, même de révélation. Cette fois-ci, heureusement, c’était le deuxième cas !
Cette expérience de déclic que j’ai vécu, je la vois comme une pierre angulaire que Dieu a posée en moi, en me disant « Continue d’avancer depuis celle-ci, et ne reviens pas en arrière ».
Voilà ce qui a fait chemin en moi : Ce que Tu as créé, Dieu, ça ne va pas du tout de soi ! La vie que tu as créé est tout sauf « normal » : la création – chaque plante et arbre, chaque montagne et cours d’eau, chaque animal et être humain. La vie que Tu nous as donné est un cadeau parce que Tu ne nous devais rien. C’est pourquoi tout ta Création Te loue – et je veux m’y joindre.
Comme le dit Paul dans sa lettre à Timothée : « Tout ce que Dieu a créé est bon. Rien n’est à rejeter, mais il faut tout recevoir avec reconnaissance, car la parole de Dieu et la prière reconnaissent que tout appartient à Dieu ».
Facile d’oublier
Ça peut vous paraître basique ce que je vous dis ! ça vous semble peut-être même évident !
Et pourtant, je vois à quel point c’est facile d’oublier de s’émerveiller devant le monde.
C’est une vraie lutte de ne pas prendre ce monde et ce qui l’habite pour acquis, comme allant de soi. On dit que l’œil est la fenêtre de l’âme – quel est le regard qu’on porte aujourd’hui sur la Création ? Comment est-ce qu’on se laisse émerveillé par le miracle de la vie ? Comment est-ce qu’on se reconnaît lié aux habitantes et habitants – végétaux, animaux et humains – qui peuplent cette grande planète bleue ? Malgré les tragédies qui arrivent, comme les génisses tuées par des loups ces derniers jours.
Personnellement, dans le quotidien, c’est loin d’être évident de porter ce regard sur le monde et le vivant qui m’entoure. À peine je suis revenu de ce temps de vendanges, je me suis retrouvé plongé dans une semaine de survie, où j’ai encore et encore oublié cette pierre angulaire de la reconnaissance. Le réflexe premier qui m’habite n’est pas de ralentir, de me retirer du brouhaha et de me reconnecter à Dieu, à la Création et aux autres. Je me sens bien plutôt poussé vers la solution rapide à tous mes problèmes – qui défile constamment sur nos petits comme nos grands écrans – la consommation :
Consommez !
Tu ne te sens pas bien ? Consomme ce produit ! Tu as le moral dans les chaussettes ? Rien de mieux qu’un petit weekend d’escapade tout inclut ! Tu cherches à remplir le vide intérieur en toi ? Des milliers d’utilisateurs disent que cette marchandise, ce gadget, ce plan a changé leur vie !
Dans ce système de production-consommation, on envisage la Création comme une matière à exploiter, une matière à valoriser en marchandises. Et ne nous voilons pas la face : on n’est pas hors de ce système. On y participe chacune et chacun quotidiennement. C’est peut-être difficile de l’admettre, mais on y consacre une grande partie de nos forces, de notre temps et de notre recherche de satisfaction.
Dans ce système de production-consommation, le monde, les relations, les expériences sont transformés en un dû à la place d’un don. Comme allant de soi plutôt que venant de Toi. Si je le veux, je peux le prendre pour moi. Si je peux le payer, je peux le posséder.
Cette manière de voir la vie comme un dû plutôt qu’un don a un impact direct sur notre monde. Le changement climatique nous est connu.
Notre planète est en très mauvais état. Les jours du monde tel qu’on le connait sont comptés. Et pourtant, la course effrénée de nos sociétés ne semble pas vouloir ralentir. Et nous qui vivons en Suisse, nous sommes encore bien confortables et protégés : on a toujours à manger, de quoi faire des projets et se divertir les weekends. Sans forcément remarquer que notre situation ensoleillée n’est que possible parce que dans notre ombre, des millions d’êtres humains travaillent et souffrent pour nous partout à travers le monde – mais aussi chez nous, les agricultrices et les agriculteurs à qui on demande toujours plus et on donne toujours moins. Sans compter les espèces qui disparaissent, la biodiversité qui diminue.
Vivre le monde, les relations, les expériences comme un dû plutôt que comme un don. Ça a finalement aussi un impact direct sur nos propres vies. Quand on vit ainsi, ce n’est pas seulement la planète qu’on détruit, mais je crois qu’on se tue nous-mêmes aussi.
Une alternative ?
Mais alors, c’est quoi l’alternative ?
L’évangéliste Marc ne prend pas de détour. Dès le début de son Évangile, il va droit au but en nous disant : « Ici, il se passe quelque chose de nouveau – je vous parle d’une toute nouvelle perspective qui s’ouvre avec Jésus. Et on y est toutes et tous invités – plus que ça, Il nous y appelle » !
Après s’être fait baptisé et avoir été déclaré Fils de Dieu, Jésus est poussé au désert par l’Esprit. Pendant quarante jours, il est tenté, mais il n’est pas seul : les anges le servent et il vit avec les bêtes sauvages.
On peut supposer que les personnes qui suivaient Jésus ont aussi trouvé très clair le message de Marc au début de son évangile : par le baptême, nous aussi, on est proclamé enfant de Dieu. On est tenté dans notre existence, mais on n’est jamais seuls à traverser ces épreuves – on est soutenu par Dieu. Et notre existence se terminera dans la paix divine. Cette paix, ce n’est pas seulement l’absence du conflit – c’est la paix-Shalom, une paix qui à la fin des temps va rendre entier tout le monde. Et qui va restaurer et guérir tout ce qui a été brisé et blessé dans la Création entière.
Comme le prophétisait déjà Esaïe dans l’Ancien Testament : Alors le loup séjournera avec l’agneau. Le veau et le lionceau se nourriront ensemble et un petit garçon les conduira. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson jouera sur le nid du serpent, et le petit garçon pourra mettre la main dans la cachette de la vipère. » (Es 11,6-8)
Marc nous propulse donc dans son récit et nous dit : « Cette histoire de Dieu avec ce monde, c’est aussi ton histoire, tu en fais partie ! C’est Dieu qui t’a créé, et c’est en Lui que tu trouves tes désirs comblés, et ta vraie identité, comme le reste de la Création. Viens et vois, et fais-en ta réalité ! »
Les premières paroles que Jésus prononce juste après résonnent avec ses premiers actes et les résume parfaitement : « Le temps est accompli et le règne de Dieu est tout proche ! Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle ! » (Mc 1,15)
Changer de regard
Dans cette annonce, deux éléments de réponse émergent à cette alternative qui mène à la vie. D’abord, Jésus nous invite à transformer notre regard. En déclarant : « Le temps est accompli et le règne de Dieu est tout proche ! », Il nous incite à ouvrir les yeux :
« Regardez autour de vous, Dieu est présent ! Je ne suis pas un Dieu distant, séparé de vos vies, de vos besoins, de vos difficultés et de vos désirs. Je suis là ! Voyez la paix que j’apporte, à la terre et à vous. Je suis là, vous n’êtes pas seuls. Je suis là, vous n’êtes pas livrés à vous-mêmes. Je suis là, je vous aime. Je suis là et je veux partager tout ce que j’ai, tout ce que je suis avec vous, afin que vous ne manquiez de rien. » Cette promesse, celle d’un Dieu créateur qui est avec nous, bouleverse tout. Elle remet au centre la notion de don et place la reconnaissance comme pierre angulaire de notre vie. Je n’ai plus à lutter pour prouver ma propre valeur, pour combler le vide en moi ; je suis appelé à la découvrir en Dieu, ainsi que celle de toute la Création, dans toute ses couleurs et toute sa diversité.
C’est par le regard que tout changement commence – quand notre imaginaire laisse place à une nouvelle perspective.
Changer de vie
Le deuxième élément du message de Jésus est son appel à la conversion : « Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle » ! Quand notre regard change, c’est impossible de rester inchangé. On est invités à nous laisser transformer de l’intérieur, du cœur jusqu’à nos actions.
Jésus nous appelle à une conversion totale : en commençant par notre regard sur la Création de Dieu, sur notre prochain-e et sur nous-mêmes.
Et en atteignant finalement les profondeurs de notre être.
Cette conversion, c’est un chemin, un apprentissage, un processus constant – on est toujours en train de se convertir ! C’est un choix qu’on renouvelle chaque jour, toute notre vie durant. Choisir la reconnaissance, choisir Dieu, choisir l’amour, choisir le don.
Quelques pistes pratiques
Ce changement de regard, nous pouvons le cultiver – avec l’aide de Dieu et des autres :
- En étant avec Dieu, en passant du temps avec Lui – dans le silence, dans la prière, dans la nature comme chez soi en buvant un café.
- En s’émerveillant – devant la beauté de la nature, de l’art, des rencontres humaines et animales, de la musique, ou même d’un légume. Et en s’entraînant à dire « merci » à Dieu, même au milieu de nos humeurs et de nos émotions qu’on ne maîtrise pas toujours.
- En reconnaissant qu’on est lié-e-s les un-e-s aux autres. Qu’on partage une unique maison commune, celle de tout le Vivant. Et que les blessures de la Terre sont aussi nos blessures.
Le changement de vie, quant à lui, peut s’enraciner dans des actions concrètes :
- En questionnant nos besoins et nos envies – qu’est-ce qui prend trop de place dans ma vie ? Quelles sont mes consommations superflues ? Qu’est-ce que je peux réduire ou abandonner ? Ou est-ce que je peux essayer quelque chose de différent à la place – qui ne pollue pas ou moins ?
- En soutenant la vie locale – favoriser les petits commerçants, les agricultrices et agriculteurs du coin, une entraide de proximité, aussi pour notre biodiversité locale. Beaucoup d’entre vous le vivez déjà d’une manière et d’une autre – ça serait intéressant d’en discuter !
- En prenant soin de la Création – Dieu nous appelle à être des intendantes et intendants de la terre, ses jardiniers, à notre échelle.
Ça peut commencer par nos propres jardins, si on en a : qu’est-ce qu’on plante ? Qu’est-ce qu’on retire ? Ça me rappelle une anecdote que Marie-José a partagée pendant notre séance de préparation. Elle passait la tondeuse dans son jardin et elle s’est arrêtée de justesse avant de couper une pousse nouvelle qui avait apparu au milieu du jardin. Personne ne l’avait semé, mais elle en a pris soin et voici que des courges décoratives, des coloquintes, ont poussés.
Tout n’est pas sous notre contrôle ; mais nous pouvons nous rendre disponibles et attentifs à ce que Dieu plante dans nos vies et dans les vies autour de nous.
Méditation guidée – avec nos fruits et légumes
Je vous invite maintenant à prendre un moment entre vous et Dieu – et à laisser remonter à l’esprit ce qui vous a rejoint, ce qui vous questionne, ce que vous prenez avec.
– Silence –
Je vous invite maintenant à prendre un moment où, toujours avec Dieu, vous prenez le temps de regarder ces beaux légumes et fruits devant vous. Prenez le temps de vous laisser émerveiller par cette diversité ; le temps de vous imaginer comment tout a poussé – comment Dieu a guidé les racines vers le sol. Comment les tiges se sont élevés vers la lumière qu’Il a créée, et comment les feuilles ont capturé l’énergie du soleil, pour nourrir les plantes. Cherchez en vous l’émerveillement et la reconnaissance pour ces fruits, ces légumes, cette richesse que Dieu nous a donné.
– Silence –
Je vous invite maintenant à penser aux gestes qui ont accompagné la croissance de ces plantes – qui en ont pris soin. Toutes les mains qui ont travaillé pour récolter et faire ces produits. Prenons le temps de remercier Dieu pour ces personnes, ces agriculteurs, ces travailleuses. Comme nous sommes liés à ces légumes et fruits, nous sommes aussi liés à ces personnes. Remettons-les à Dieu.
– Silence –
Finalement, prenez encore un temps où vous vous laissez simplement imprégner par l’amour de Dieu pour vous et pour sa Création toute entière. Laissez venir les pensées – et voyez si Dieu vous encourage à faire quelque chose durant cette semaine – pour la Création, pour une voisine, un agriculteur, une personne du Vallon.
– Silence –
Dieu de la vie, merci pour toutes ces récoltes et toute la diversité que tu nous as donnée. Place en nous cette pierre angulaire de la reconnaissance.
Que même si nous venions en arrière, elle puisse nous rappeler que la vie que Tu nous donnes et donne à chaque créature n’est pas un dû, mais un don. Un don qui vient de Toi, et qui ne va pas du tout de soi ! Que ce que Tu nous donnes nous encourage à notre tour, à donner et à nous engager pour la Paix de toute la Création.
Amen.