Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre

P202-3

Prédication de David Allisson, samedi 23 janvier, Môtiers et dimanche 24 janvier, Les Verrières

Temps de l’Eglise, 3e dimanche – Semaine de prière pour l’unité des chrétiens
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Lecture de la Bible

1 Corinthiens 12,12-30
Luc 1,1-4 ; Luc 4,14-21

Prédication

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

Jésus a lu la Bible, la lecture du jour, comme c’est l’habitude à la synagogue. Une fois le livre refermé, Jésus s’assied et, comme c’est l’habitude à la synagogue, le silence se fait et on attend qu’il s’exprime sur ce qu’il a lu.

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

Chers amis, dès que vous en aurez l’occasion, lisez la suite, vous verrez.

Vous verrez quoi ?

Hé, bien : Jésus dit « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

Et le silence s’épaissit.

Qu’est-ce qu’il a dit, le charpentier, fils du charpentier ?

Il a cassé l’attente de la promesse qui faisait vivre l’espérance au cœur des uns et des autres. Il a cassé l’attente, parce qu’il vient d’en annoncer la fin. Il vient d’annoncer l’accomplissement de la promesse.

Alors, oui, le silence s’épaissit. Puis le silence éclate. Les voix s’élèvent. On ne peut pas laisser quelqu’un dire cela. C’est le premier enseignement que Jésus donne, d’après l’évangile de Luc et voilà la première fois qu’on va chercher à le faire mourir. C’est ce texte qui nous a laissé cette phrase proverbiale : « nul n’est prophète en son pays. » Lc 4,24.

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

La foi de l’Eglise a commencé à se répandre quand des témoins de la mort de Jésus ont aussi témoignés de sa résurrection. C’est à la croix que le centurion dit : « sûrement cet homme était juste », et dans les évangiles de Marc et Matthieu : « sûrement, cet homme était le Fils de Dieu ».

Les femmes, amies de Jésus, ont été au tombeau prendre soin de sa dépouille et ont constaté son absence. D’abord effrayées, elles sont revenues auprès des autres disciples raconter leur rencontre avec Jésus ressuscité.

Ce sont ces événements qui ont confirmés à celles et ceux qui se sont mis à vivre de cette confiance que Jésus était bien le Christ, le Messie, celui que le Seigneur a consacré par l’onction.

« Celui que le Seigneur a consacré par l’onction » : Justement la phrase transmise par Esaïe dans le texte lu par Jésus à la synagogue ce jour-là.

Nous savons très peu de choses sur la manière dont les évangiles ont été écrits, et en particulier leur date : mais de ce que nous venons de lire, nous pouvons déduire quelques précisions ; il y a eu certainement une prédication orale avant que les évangiles soient écrits puisque Luc dit à Théophile tout au début de son texte qu’il veut lui permettre de vérifier « la solidité des enseignements qu’il a reçus. » Lc 1,4

Luc reconnaît également ne pas avoir assisté en personne événements ; il n’a pu que s’informer auprès de témoins, ce qui laisse supposer que ces témoins sont encore vivants quand il écrit. On peut donc penser que la prédication de la Résurrection du Christ a commencé dès la Pentecôte et que l’évangile de Luc a été mis par écrit plus tard, mais avant la mort des derniers témoins oculaires, ce qui donne une date limite vers 80 – 90 de notre ère.

Le récit que nous lisons aujourd’hui se situe après le baptême de Jésus et le récit de ses tentations au désert. Apparemment, tout va pour le mieux pour le nouveau prédicateur ; je vous rappelle la phrase de Luc :

« Lorsque Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. » Lc 4,14-15

Tout s’annonçait bien ce matin-là : Jésus est un bon Juif comme les autres : il rentre de voyage, et comme tout bon Juif, le samedi matin venu, il va à l’office à la synagogue.

Rien d’étonnant non plus à ce qu’on lui confie une lecture, puisque tout fidèle a le droit de lire les Ecritures. La célébration à la synagogue se déroule donc tout à fait normalement… jusqu’au moment où Jésus lit la lecture du jour qui se trouvait être ce texte bien connu du prophète Esaïe et, dans le grand silence fervent qui suit la lecture, il affirme tranquillement une énormité : « Cette parole que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » Lc 4,21.

Il y a certainement eu un temps de silence, le temps qu’on ait compris ce qu’il veut dire. Tous, dans la synagogue, s’attendaient bien à ce que Jésus fasse un commentaire, puisque c’était la coutume, mais pas celui-là !

Nous avons du mal à imaginer l’audace que représente cette affirmation si tranquille de Jésus ; car, pour tous ses contemporains, ce texte vénérable du prophète Esaïe concernait le Messie. Seul le Roi-Messie, quand il viendrait, pourrait se permettre de dire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction… » Lc 4,18

Car, dès le début de la monarchie, le rituel du sacre des rois a comporté un rite d’onction d’huile. Cette onction était le signe que Dieu lui-même inspirait le roi en permanence pour qu’il soit capable d’accomplir sa mission de sauver le peuple. On disait alors que le roi était « mashiah », un mot hébreu qui signifie tout simplement « frotté d’huile ». C’est ce mot « mashiah » qui se traduit « messie » en français, « christos » en grec. A l’époque de Jésus, il n’y avait plus de roi sur le trône de Jérusalem mais on attendait que Dieu envoie enfin le roi idéal qui apporterait à son peuple la liberté, la justice et la paix. En particulier, dans la Palestine alors occupée par les Romains, on attendait celui qui délivrerait de l’occupation romaine.

Clairement, Jésus de Nazareth, le fils du charpentier, ne pouvait pas prétendre être ce Roi-Messie qu’on attendait. Soyons francs, Jésus n’a pas fini d’étonner ses contemporains : il est bien le Messie qu’on attendait, mais tellement différent de ce qu’on attendait ! Luc, pour aider ses lecteurs, a bien pris soin dès le début de son livre, de leur dire d’entrée de jeu qu’il s’est informé soigneusement de tout depuis les origines ; et, d’autre part, il a souligné en introduction à ce passage que Jésus était accompagné de la puissance de l’Esprit, ce qui était bien la caractéristique du Messie. Mais c’est Luc, le Chrétien, qui l’affirme, les habitants de Nazareth, eux, ne savent pas que, réellement, l’Esprit du Seigneur repose sur Jésus.

Dernière remarque sur cet évangile : la citation d’Esaïe que Jésus reprend à son compte sonne comme un véritable discours-programme : « L’Esprit du Seigneur est sur moi… Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » Lc 4,18-19

Voilà l’œuvre de l’Esprit à travers ceux qu’il a consacrés. Nous qui cherchons quelquefois des critères de discernement, nous voilà servis ; car ce qui est dit du Christ est valable pour tous les baptisés que nous sommes, à notre humble mesure, bien sûr. Nous portons aujourd’hui cette proclamation. Nous portons la Bonne Nouvelle aux pauvres. Nous annonçons aux captifs leur libération. Nous annonçons aux aveugles qu’ils retrouveront la vue. Nous remettons en liberté les opprimés. Nous annonçons une année favorable accordée par le Seigneur.

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

Alors, quel est le programme ?

Maintenant que nous avons commencé par le début, détaillons un peu.

C’est la fidélité à cette promesse qui nous unit. La fidélité à cette promesse nous unit aujourd’hui alors que nous célébrons ensemble et que nous prions ensemble pour l’unité des chrétiens.

J’aimerais relire comme l’apôtre Paul une fable qu’Esope donnait déjà 700 ans avant notre ère. Une fable que Paul et les lecteurs de ses lettres connaissaient. Une fable que La Fontaine a mise en vers. Une fable que l’humoriste Roland Magdane a en partie reprise à sa manière.

Comme toutes les fables, celle-ci commence par « il était une fois… » :

« Il était une fois » donc, un homme comme tous les autres… sauf que, chez lui, tous les membres parlaient et discutaient entre eux !

Et ils n’avaient pas tous bon caractère, apparemment. Et, probablement, certains devaient avoir l’impression d’être moins bien considérés ou un peu exploités.

Un jour, au cours d’une discussion, les pieds et les mains se sont révoltés contre l’estomac : parce que lui, l’estomac, il se contente de manger et de boire ce que les autres membres lui fournissent… Tout le plaisir est pour lui ! Ce n’est pas lui qui se fatigue à travailler, à cultiver la vigne, à faire les courses, à couper la viande, à mâcher et j’en oublie. Alors on a décidé tout simplement de faire la grève. Désormais plus personne ne bouge : l’estomac verra bien ce qui lui arrive ! Et s’il meurt de faim, rira bien qui rira le dernier…

On n’avait oublié qu’une chose : si l’estomac meurt de faim, il ne sera pas le seul. Ce corps-là, comme tous les autres, faisait un tout, et tout le monde a besoin de tout le monde !

Si j’ai besoin des autres, je travaille aussi pour eux.

Paul reprend l’image des organes qui constituent le corps en relevant que chacun dépend des autres et chacun est au service des autres.

Dans la communauté des Corinthiens c’est la même chose : Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions humaines ne comptent plus. Désormais une seule chose compte, notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité.

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

La plus haute dignité, la seule qui compte, c’est d’être un membre, quel qu’il soit, de l’unique corps du Christ.

Dans l’Eglise c’est la même chose : catholiques ou réformés, évangéliques ou orthodoxes, fidèles ou distancés, africains ou européens, riches ou pauvres, puissants ou sans voix, toutes nos distinctions humaines ne comptent plus. Désormais une seule chose compte, notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité.

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. » Lc 4,21

C’est dans cette espérance et dans la réalisation de cette promesse que nous prions pour l’unité des chrétiens.

Amen.

Merci à Marie-Noël Thabut pour ses commentaires du texte biblique