Prédication du 6 mars 2022
Entrée dans le temps du Carême
Texte biblique : Luc 6, 27-38
Prédication « Nul hiver ne désespère qu’un printemps nouveau renaisse »[1]
De Patrick Schlüter
« Aimez vos ennemis. »
Les lectures bibliques pour le culte musical et chanté d’aujourd’hui ont été choisies longtemps à l’avance, avant que la guerre ne se déclare en Ukraine. Après la levée des mesures liées à la pandémie de COVID-19, l’intention de ce culte était de nous inviter à la réconciliation, à retrouver un vivre ensemble après les tensions vécues liées aux mesures sanitaires. Cette intention, accompagnée par le cantique « Nul hiver ne désespère » demeure, mais la situation de notre monde a changé et nous sommes confrontés à une situation de guerre en Europe que nous n’avons pas vécue depuis de nombreuses décennies. En nous, il y a de la crainte, de la lassitude et du découragement avec cet enchainement de crises. Il y a de la douleur, des élans de solidarité, de la colère, de l’incertitude et de la perplexité.
Laissons-nous accueillir par Dieu avec tout ce qu’il y a en nous.
L’appel de Jésus à aimer ses ennemis prend un relief particulier bien différent de celui qu’il avait il y a quelques semaines. Comme prédicateur de ce culte d’entrée en Carême, je me suis senti tiraillé et interrogé en profondeur par ce texte. Prononcer une parole m’a semblé tout à la fois extrêmement difficile et absolument nécessaire. Nous avons aujourd’hui à entendre l’Évangile, la parole du Christ pour ce qu’elle est.
Ce message aura 2 parties conclues par un moment musical. Dans un premier temps, j’aimerais méditer sur cette parole sur le plan individuel et interpersonnel, puis dans la 2ème partie sur le plan collectif et communautaire.
Pour les premiers chrétiens, l’appel de Jésus à l’amour des ennemis a constitué une nouveauté fondamentale et radicale qui les différenciaient des autres mouvements religieux et de la société d’alors. Dans le Judaïsme, on peut être magnanime et porter secours à un ennemi en détresse, mais aimer ses ennemis, ceux qui nous persécutent, c’est une nouveauté radicale apportée par Jésus que les premiers chrétiens ont vécue et mise en avant parfois au prix de leurs vies.
Aimer, dans la Bible, c’est une attitude de vie, c’est bien plus large qu’un sentiment. C’est impossible à vues humaines, mais c’est rendu possible par l’amour de Dieu qui nous est donné. Sans lui, ce commandement est impossible. Il s’agit de se laisser aimer par Dieu, de l’introduire comme personne supplémentaire dans la relation à l’autre pour donner une chance à une ouverture. Prier pour ses ennemis, c’est introduire Dieu dans la relation pour passer de la confrontation à une sorte de médiation. Je ne suis plus seul face à mon ennemi, mais je peux parler à Dieu de ce que je vis.
Une collègue me disait que Jésus ne dit pas comment prier pour ses ennemis. Le contexte nous incite à imaginer une prière bienveillante pour l’ennemi, mais la Bible regorge de prières pour l’ennemi qui ne sont pas bienveillantes du tout :
Psaume 58 : « O Dieu, casse-leur les dents »
Psaume 139 : « O Dieu, tu devrais supprimer les méchants. (…) Ma haine pour eux est totale. »
Et même dans le nouveau testament, en Apocalypse 6, les âmes des chrétiens martyres crient vengeance à Dieu !
Je crois profondément que la prière pour l’ennemi peut prendre plusieurs formes, bienveillantes ou non et que nous sommes appelés à vivre devant Dieu dans la prière, la vérité de ce qu’il y a dans notre cœur. Crier sa douleur, crier vengeance à Dieu, cela peut être le premier pas parce c’est renoncer à faire justice soi-même, c’est introduire l’amour et l’accueil de Dieu dans ce que nous vivons et nos relations avec les autres.
Pour avoir vécu l’expérience de prier certains psaumes de cette manière quand je tournais en rond dans ma colère, je peux témoigner que c’est libérateur pour soi-même et aussi dans la relation.
C’est le premier pas vers un pardon peut-être possible. C’est une ouverture pour avancer et ne pas s’enfermer dans le mal. Quand nous ouvrons la porte de nos cœurs au Dieu de Jésus-Christ, son pouvoir de vie peut faire son chemin en nous.
Comme le dit le cantique : « Nul hiver ne désespère qu’un printemps nouveau renaisse. Ainsi l’homme en sa misère qui attend que Dieu se dresse. Ce qui meurt dans nos vies, Dieu lui offre sa tendresse. »
Orgue
La situation actuelle de guerre en Ukraine nous interroge sur la bonne manière de résister au mal et à l’agression. Pour de nombreux pays, l’heure est à l’augmentation des budgets militaires. L’objecteur de conscience que j’ai été se sent tiraillé, parce que, d’un côté, je comprends cette logique de résistance et d’un autre côté, je me sens appelé à agir autrement par le Christ. Dans nos vies aussi, quand nous faisons face à une agression, nous nous interrogeons sur la bonne manière de réagir. Tendre l’autre joue, n’est pas un signe de faiblesse, la porte ouverte à l’agresseur pour aller plus loin encore ou alors est-ce l’ouverture à une solution ?
Ces questions ne sont pas simples et je ne peux prétendre y répondre dans cette méditation.
Je suis appelé cependant à être honnête face à l’Évangile : Jésus a prononcé cet appel à l’amour de l’ennemi et au renoncement à la violence pour qu’il soit accompli. Il invite ses disciples à vivre cela comme lui-même l’a vécu jusqu’à la croix.
Dans l’histoire de l’humanité, plusieurs mouvements comme ceux de Gandhi pour l’indépendance de l’Inde et le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis avec Martin Luther King ont compris la non-violence, non pas comme une passivité, mais comme une forme de résistance au mal pour le dénoncer et le mettre en lumière. Des personnes préparées et convaincues ont été prêtes à donner leurs vies pour défendre leur cause par la non-violence. Nous pouvons constater le prix humain de cette démarche, mais aussi une efficacité dans l’histoire de l’humanité.
La situation actuelle est bien sûr différente. Elle nous questionne, nous touche et crée aussi un certain sentiment d’impuissance, autant que des initiatives pour réagir comme la prière pour la situation en Ukraine qui a été vécue ce vendredi à l’église catholique de Fleurier.
Je crois que nous sommes appelés comme chrétiens à résister avec lucidité au mal, qu’il soit en nous ou autour de nous. Quelle que soit la voie que nous choisissons, nous sommes appelés à toujours donner une chance à l’autre en refusant la logique de la vengeance aveugle, à ne pas rester enfermés dans une logique de rejet de l’autre. Nous sommes appelés à prier, à accueillir, à être solidaires.
Cet appel de Jésus à aimer, même son ennemi, résonne aujourd’hui encore depuis la croix, parce le Christ a vécu lui-même jusqu’au bout ce qu’il a enseigné. L’Évangile nous dit qu’il est ressuscité et qu’il est avec nous dans tout ce que nous vivons. Un collègue me disait un jour que, même si les forces du mal et de la mort semblent dominer et prendre toute la place, les forces de résurrection et de vie étaient à l’œuvre même si nous ne les voyons pas. Elles sont les plus fortes parce qu’en Jésus-Christ ressuscité, le mal et la mort sont vaincus.
Comme le dit le cantique, « Nulle branche ne s’effeuille sans espoir d’une autre sève. Ainsi l’homme qui accueille l’espérance que Dieu lève. Au couchant de notre vie, Dieu nous prend et nous relève. »
Amen.
[1] Paroles d’un cantique de Claude Duchesneau, prêtre catholique, sur les variations de Jean-Sébastien Bach, « Sei gegrüsset, Jesu gütig », Vwv 768. Mélodie originale de Gottfried Vopelius (mort en 1715). Le cantique et les variations de Jean-Sébastien Bach ont été joués durant la célébration.