Méditation de Marie Cénec, tirée de C’est tous les jours dimanche. Méditations chrétiennes, Editions Salvator, Paris, 2013

Tout cela, j’y ai réfléchi;
ce que j’ai constaté,
c’est que les justes, les sages et leurs labeurs
sont dans la main de Dieu;
l’amour comme la haine, l’être humain ne les connaît pas;
tout est devant lui.
Tout arrive également à tous:
même sort pour le juste et pour le méchant,
pour le bon,
pour le pur et pour l’impur,
pour celui qui sacrifie et pour celui qui ne sacrifie pas;
il en est du bon comme du pécheur,
de celui qui prête serment comme de celui qui craint le serment. […]
J’ai encore vu sous le soleil
que la course n’appartient pas aux rapides,
ni la guerre aux vaillants,
ni le pain aux sages,
ni la richesse aux intelligents,
ni la faveur à ceux qui savent,
car tous sont à la merci des temps et des circonstances.
L’être humain ne connaît pas plus son temps
que les poissons qui sont pris au filet, pour leur malheur,
ou que les oiseaux qui sont pris au piège;
comme eux, les humains sont attrapés à l’heure néfaste qui s’abat sur eux à l’improviste.
Le livre de l’Ecclésiaste ou Qohéleth 9,1-2.11-12
Que pouvons-nous réellement prévoir? « Tout est devant nous », rien n’est sûr en ce qui concerne demain. Accepter l’incertitude et l’inconnu est une épreuve pour tous les cœurs, même les plus confiants.
Les catastrophes naturelles nous rappellent avec cruauté que nous ne pouvons pas tout contrôler. Tout peut s’écrouler d’un instant à l’autre: soudain, la terre peut vaciller sous nos pieds ou une mauvaise nouvelle peut nous submerger comme un raz de marée… Le malheur s’annonce rarement, nous sommes à la merci de son irruption soudaine, funeste personnage apparaissant sur la scène de notre vie, ne nous laissant plus que le masque du deuil ou de l’effroi, les mots de la tristesse.
Mais un autre personnage peut arriver parfois sans crier gare, revêtant les traits de l’amour, porteur d’un projet inattendu, annonçant un nouvelle voie inespérée. Quelle surprise!
Un autre avenir s’annonce et nous allons là où nous n’aurions jamais pensé aller, revêtant alors les vêtements de la joie et un sourire aux lèvres.
Certains coups de théâtre nous étonnent et nous laissent pantois: nous n’aurions jamais pu prévoir ce qui nous arrive. Avions-nous oublié que malheur ou bonheur, haine ou amour… « tout est devant nous »?
Nous pouvons tendre les bras, espérer en un avenir heureux, rêver, croire que demain nous pourrons saisir le bonheur à pleines mains… mais nous savons que rien ne peut nous assurer le bonheur de demain. Nos actes d’aujourd’hui ne nous garantissent rien.
Ainsi, nos bonnes actions ne sont pas récompensées de manière mécanique et nous ne payons pas toujours nos erreurs. Comme le dite Qohélet, nous sommes « tous à la merci des temps et des circonstances ».
Que reste-t-il alors à l’être humain quand seule l’incertitude semble sûre? Comment construire sa vie alors que seule subsiste l’impression de marcher sur des sables mouvants?
Il reste un lieu où poser ses pas avec confiance: le moment présent. Un moment à déguster comme un fruit mûr: on ne peut le garder dans ses mains sans le voir pourrir, mais on peut le goûter et se nourrir de ce qui nous est donné à l’instant: le bon comme le mauvais, la douceur de l’amour comme l’acidité de la haine.
Nous ne pouvons rien prévoir, nous ne pouvons pas retenir les rayons de soleil de la joie, mais nous pouvons changer la météo de notre cœur. Au lieu de nous battre contre ce qui nous dépasse et semble nous menacer… au lieu de refuser l’incertitude, il nous appartient de consentir à ce qui nous est donné maintenant ainsi qu’à l’étonnement de demain, car lui seul est certain.
