Culte du 20 octobre 2019 – Les Bayards
Lecture de la Bible
Prédication de David Allisson
Depuis maintenant quelques minutes, Nataniel est baptisé. Depuis plus longtemps, nous aussi, nous sommes baptisés. Qu’est-ce que cela change pour Nataniel ? Qu’est-ce que cela change pour nous ?
Cela ne change rien.
Nataniel va grandir dans un monde incertain. Comme nous, il aura froid en hiver. Comme nous, et peut-être même plus que certains d’entre nous, il aura peur de ne pas trouver d’emploi. Comme nous, et peut-être plus gravement que beaucoup d’entre nous, il devra affronter la maladie, le deuil ou la souffrance.
Le baptême, cela ne change rien.
Mais le baptême, cela change tout.
Cela change tout, parce que le baptême signifie qu’il peut, comme nous le pouvons tous, se mettre au service du propriétaire de la parabole de Matthieu. Cela change tout, parce qu’il est appelé enfant de Dieu, comme nous venons de le chanter. Oui, quand nous baptisons, nous reconnaissons que ce n’est pas nous qui décidons du salut des autres. Nous affirmons que nous croyons que c’est Dieu qui est le maître de la vie. Il la donne aussi bien à ceux qui sont croyants depuis toujours, enfants et petits-enfants de croyants, qu’à ceux qui n’arrivent qu’à la fin de l’après-midi, comme les derniers employés de la parabole. Ce qui compte, c’est que nous reconnaissions que le propriétaire de la vigne peut nous embaucher et que nous acceptions de nous mettre à son service, quelle que soit l’heure à laquelle nous arrivons.
Ce qui fait que nous nous engageons, ce n’est pas la qualité, ni la quantité du travail accompli par nos collègues, mais l’engagement que nousavons pris vis-à-vis du patron. Le propriétaire de la vigne prétend être juste en payant aux premiers ouvriers ce qui était convenu et, selon ses propres paroles : « un juste salaire » à ceux qui ont été engagés ensuite.
Le problème, c’est que ce n’est pas très humain comme justice. Nous avons beau vivre dans un monde qui se fait de plus en plus individualiste, il y a des aspects de la vie en commun que nous ne sommes pas prêts de laisser tomber.
Les inégalités de salaire nous font réagir, surtout quand elles nous défavorisent. Les femmes réclament avec raison que pour un travail égal, elles puissent toucher un salaire égal.
C’est aussi avec raison que les ouvriers de la parabole réagissent et s’indignent contre le propriétaire. Il est normal, en vertu du principe « à travail égal, salaire égal », que les ouvriers qui bossent depuis le matin gagnent plus d’argent que ceux qui ne sont arrivés qu’en fin d’après-midi. Exactement de la même manière qu’il est parfaitement normal qu’une femme gagne le même salaire qu’un homme qui fait un travail équivalent.
On peut bien dire que le propriétaire de la vigne applique la justice de Dieu, et qu’elle est plus généreuse que la justice des humains. Mais je ne peux pas enlever de mon esprit en disant cela que je préfère nettement être un ouvrier de la dernière heure que de la première, puisque de toute façon les deux gagnent la même chose. Alors, pourquoi se fatiguer à travailler depuis le matin, s’il n’y a aucun avantage ? « C’est nous qui avons supporté la fatigue d’une journée entière de travail sous un soleil brûlant ! » disent les ouvriers du matin. Ils veulent un dédommagement.
La logique de ce patron va à rebours de toute logique économique.
Voilà qui va peut-être nous toucher dans la manière d’expliquer le rapport que Dieu établit entre lui et les êtres humains. En fait, Dieu est profondément injuste.
Il est injuste, parce qu’il ne se préoccupe pas des rapports de force humains. Il ne se préoccupe pas de la logique économique des ouvriers de la parabole. C’est une logique qui est aussi la nôtre, et nous ne comprenons pas la manière d’agir de ce propriétaire.
Face à Dieu, nous perdons toute maîtrise des événements. Exactement de la même manière, les ouvriers de la parabole perdent toute maîtrise des événements vis-à-vis de leur patron.
Quand il voient sa manière de faire, ils sont complètement déboussolés. Ils ont l’impression que la confiance qu’ils avaient mise en ce patron a été trahie. Ils se sont donnés pour lui plus que les autres et voilà comment ils sont récompensés : ils n’ont pas un sou de plus que ceux qui ont commencé leur journée à cinq heures de l’après-midi.
Et en plus, le patron affirme qu’il sait très bien ce qui fait. « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon argent ? », dit-il.
Mais franchement, aujourd’hui, quelqu’un qui s’occupe de ses affaires financières de cette manière, il court à la faillite !
Ce que Jésus dit, c’est que chacun reçoit la même chose, indépendamment de son travail. Remarquez que le propriétaire ne donne pas à chacun le minimum. Mais il donne à chacun le salaire correct d’une journée de travail, ce qu’il faut pour vivre. En termes théologiques, c’est ce qu’on appelle la grâce.
La grâce, c’est recevoir ce dont nous avons besoin, quel que soit ce que l’on a donné pour le mériter.
La grâce est donnée.
Mais elle n’est pas facile à recevoir.
Dans la parabole, elle est mal reçue par les ouvriers qui ont travaillé le plus longtemps et n’ont pas plus que ceux qui ont peu travaillé.
En tant que Suisses honnêtes et travailleurs, embauchés parmi les ouvriers de fin d’après-midi, nous aurions envie de refuser le salaire parce que nous n’aurions pas assez travaillé. Si tout travail mérite salaire, tout salaire doit correspondre à un travail fourni. On ne peut pas le recevoir comme ça.
Il va pourtant falloir réfléchir autrement. Avec l’automatisation croissante des tâches et la concentration des richesses, l’humanité va peut-être devoir inventer une manière de partager ses ressources indépendamment d’un travail fourni. C’est une réflexion de ce genre que mènent le militants d’un revenu de base inconditionnel. Est-ce que cela ressemblerait à ce que la théologie appelle la grâce ?
Les humains ne peuvent rien faire pour s’approcher de Dieu. C’est Dieu qui fait le chemin, c’est lui qui vient à notre rencontre.
Dieu réalise cette rencontre, cette manifestation de lui-même aux humains en la personne de Jésus. Pour les chrétiens, cet homme est l’occasion de rencontrer Dieu directement.
Dans sa lettre aux Galates, contenue dans la Bible, Paul le rappelle de cette manière : « Car c’est par la foi que vous êtes fils de Dieu dans l’union avec Jésus Christ. Vous tous, en effet, avez été baptisés pour être unis au Christ et vous vous êtes ainsi revêtus de la condition nouvelle qui est dans le Christ. Il n’y a donc pas de différence entre les Juifs et les non-Juifs, entre les esclaves et les hommes libres, entre les hommes et les femmes ; vous êtes tous un dans l’union avec Jésus Christ. » (Ga 3,26-28)
Les chrétiens de Galatie pensaient qu’il valait mieux être Juifs ou au moins respecter les lois religieuses juives pour être proches de Dieu. Mais ce n’est pas le cas. Non pas que les Juifs y perdent quelque chose, mais c’est plutôt tous les autres qui y gagnent. Même ceux qui n’ont jusqu’ici pas respecté la loi et les rituels peuvent être accueillis dans le peuple des croyants. « Si vous appartenez au Christ, vous êtes alors les descendants d’Abraham et vous recevez les biens que Dieu vous a promis. » (Ga 3,29)
Les biens que Dieu nous promet, c’est son salut. C’est-à-dire l’assurance de sa présence auprès de nous dans les bons moments et dans les moments pénibles. Sa présence est plus forte que la maladie et que la mort. Cela ne signifie pas que les chrétiens n’affrontent pas la maladie et la mort, mais nous avons l’assurance du soutien et de l’accompagnement de Dieu au travers de ces épreuves. De la même manière que nous sommes appelés à nous soutenir les uns les autres.
Notre présence les uns aux côtés des autres, les uns avec les autres est nécessaire. Que ce soit pour nous réjouir de la naissance d’un enfant et pour souhaiter son bonheur, ou aussi pour accompagner et aider ceux qui se trouvent en difficulté, qui luttent contre la maladie, la solitude ou la tristesse.
Nous avons l’assurance de la présence et de l’amour de Dieu pour nous. Cette espérance est exprimée dans la Bible et dans les témoignages des croyants.
Cette espérance est à vivre et à expérimenter dans nos relations les uns avec les autres.
C’est au travers de nos gestes et de notre présence les uns pour les autres que cette parole d’Esaïe devient force de vie en nous : « Même si les montagnes venaient à changer de place, même si les collines venaient à s’ébranler, l’amour que j’ai pour toi ne changera jamais, et l’engagement que je prends d’assurer ton bonheur restera inébranlable. C’est moi le Seigneur, qui te le dis, moi qui te garde ma tendresse. »
La foi, cela ne change rien à notre vie. Mais cela change tout, parce qu’elle met en nous l’espérance, la force de vivre et du sens à ce que nous faisons.
Amen.