Donner un visage à l’autre et à soi-même – Prédication des 28-29 septembre 2019

Samedi 28 septembre 2019, Môtiers 17h30

Dimanche 29 septembre 2019, Saint-Sulpice 10h

 Prédication de Patrick Schlüter

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Textes bibliques :

Prédication sur « donner un visage à l’autre et à soi-même »

Parfois, il y a des textes sur lesquels on n’a pas envie de prêcher ! Parce qu’ils ne nous disent rien ou alors parce qu’ils sont désagréables à entendre et nous dérangent. Les textes bibliques de ce jour font partie pour moi de cette 2èmecatégorie.

Le prophète Amos qui vient du Royaume du sud s’en va prêcher dans le Royaume du nord. On situe son action pendant une courte période vers 750 avant Jésus-Christ. C’est le plus ancien prophète dont les oracles ont été conservés dans un livre qui porte son nom. Au début, Amos prononce des oracles contre les nations alentours. Jusqu’ici tout va bien pour ses auditeurs, puis les oracles d’Amos sont dirigés contre les Royaumes de Juda au sud et d’Israël au nord. Il dénonce l’injustice sociale et ici, Amos s’en prend aux dirigeants vautrés dans leur luxe, leurs convictions religieuses d’être bénis par Dieu et leurs certitudes que tout va bien et même mieux que dans les nations alentours. Amos annonce alors une déportation et, dit-il, cette « bande des vautrés » n’existera plus. L’histoire donne un relief particulier au message d’Amos car le Royaume du Nord disparaitra une trentaine d’années après. Le Royaume du Sud connaitra encore une existence autonome pendant 1 siècle et demi avant de connaître le même sort.

Jésus lui est aux prises avec les Pharisiens et leur certitude d’être justes devant Dieu. Au court du débat, il raconte cette histoire d’un homme riche et du pauvre Lazare qui meurt. Le fossé qui existait entre eux pendant leur vie se retrouve dans le séjour des morts, mais la situation est inversée et malgré les regrets du riche, il n’y a plus rien à faire. Il ne sert même à rien dit Abraham d’envoyer Lazare ressuscité aux frères du riche. Ils ne l’écouteraient pas plus que Moïse et les prophètes.

Autres temps, autres lieux. Nous sommes en Suisse en septembre 2019. L’actualité de ces derniers jours nous montre plus d’un million de jeunes dans la rue pour le climat ce vendredi, cela sur le fond d’un rapport alarmant du groupe d’expert international sur l’évolution du climat. Cette semaine aussi, le Conseil des États a décidé de repousser le traitement de l’initiative sur les multinationales responsables après les élections fédérales, ceci malgré les 2 ans de travaux à ce sujet. Ces dernières semaines, nous assistions aussi à la question des incendies en Amazonie et au va-et-vient des bateaux des migrants que les pays européens se renvoyaient de l’un à l’autre.

Face à tout cela, il y a en moi, toutes sortes de sentiments : de la tristesse, de la colère, mais aussi de la résignation, du découragement et peut-être même un peu d’indifférence à force d’entendre des nouvelles similaires au fil des semaines.

Et voilà, ce week-end, le lectionnaire que nous suivons, nous propose d’entendre cet oracle d’Amos dénonçant les dirigeants de son peuple vautrés dans leur luxe, certains d’être du bon côté et cette histoire de Jésus sur le pauvre Lazare et l’homme riche qui regrette son comportement alors qu’il est trop tard pour lui.

Sommes-nous, nous les bons Suisses, vautrés dans nos certitudes que c’est mieux chez nous et que les problèmes viennent d’ailleurs ? Sommes-nous, nous les Suisses, plus soucieux de garder ce qui a fait notre richesse que d’être vraiment solidaires avec les pauvres de ce monde, ceux d’ici et d’ailleurs ?

En tant que prédicateur, si je suis honnête avec les textes bibliques entendus, je dois nous poser cette question ! Les textes entendus me dérangent et m’interpellent. Je ne peux pas me sentir assis bien confortable sur mon banc d’Église en les entendant. Restons dérangés, car c’est le signe que nous ne sommes pas encore endurcis comme le dénoncent Amos et Jésus.

Il y a aussi, dans le message de Jésus, avec l’interpellation et ce jugement dur, une offre de vie. Jésus nous interroge sur quel maître nous nous donnons dans nos vies. « Nul serviteur ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » disait Jésus, quelques versets auparavant.

L’histoire du riche et du pauvre Lazare nous demande aussi de qui nous sommes les frères et les sœurs. Peut-être sommes-nous parmi les 5 frères de l’homme riche. Sommes-nous aussi les frères du pauvre Lazare ?

Jésus promet qu’en le suivant, il est possible de devenir libre par rapport à l’argent et aux autres pouvoirs. Il a vécu, il est mort pour nous et il est ressuscité d’entre les morts pour être présent à nos côtés. Son message nous interpelle aujourd’hui encore. Pouvons-nous l’entendre dans ce qu’il a de dur, mais aussi dans cette promesse de vie ?

Il nous dit : tu peux devenir véritablement humain en me suivant. Tu peux, en t’attachant à moi, devenir véritablement libre face au pouvoir de l’argent et de la renommée. La vie, c’est autre chose que posséder et réussir. La vie, c’est se savoir aimé de Dieu, retrouver son visage d’enfant de Dieu et oser regarder l’autre avec ces yeux-là, ceux de l’amour. La vie, c’est oser regarder la réalité en face dans ce qu’elle a de plus dur, en sachant aussi que le dernier mot sur les êtres et les choses est celui de l’amour de Dieu.

J’aime dans ce récit du pauvre Lazare et de l’homme riche que le pauvre a un nom. Jésus lui donne un nom et un visage. Nous aussi pour vivre, nous avons besoin qu’on nous nomme et qu’on nous regarde. Quelle que soit notre situation sociale, nous avons ce besoin. En donnant un nom au pauvre, Jésus nous invite aussi à nous reconnaître en lui en reconnaissant notre besoin de Dieu et notre pauvreté intérieure notamment quand nous mettons notre sécurité dans ce qui est matériel.

Oser regarder l’autre comme il est, voir son visage et le nommer, c’est là notre rôle à nous les chrétiens, pour nous-mêmes et pour les autres. D’ailleurs, le nom de Lazare est lui-même une offre de vie, car il signifie « Dieu aide ».

J’aimerais terminer ce message par une histoire :

Un vieux rabbin qui demande à ses élèves à quoi l’on peut reconnaître le moment où la nuit s’achève et où le jour commence.

— Est-ce lorsqu’on peut sans peine distinguer de loin un chien d’un mouton ?

— Non, dit le rabbin.

— Est-ce quand on peut distinguer un dattier d’un figuier ?

— Non, dit encore le rabbin.

— Mais alors, quand est-ce donc ? demandent les élèves.

Le rabbin répondit :

— C’est lorsqu’en regardant le visage de n’importe quel homme, tu reconnais ton frère ou ta sœur. Jusque-là il fait encore nuit dans ton cœur.

C’est pourquoi, nous pouvons prier avec les paroles du chant : « Jésus le Christ, lumière intérieure, ne laisse pas mes ténèbres me parler.

Jésus le Christ, lumière intérieure, donne-moi d’accueillir ton amour ! »

Amen.