Accepte qu’il en soit ainsi pour le moment

Culte des 11 et 12 janvier 2014, Môtiers et Travers, prédication de David Allisson

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Lecture de la Bible

Esaïe 42,1-7

Matthieu 3,13-17

Prédication

Si Jésus est le Christ, pourquoi a-t-il besoin de se faire baptiser lui aussi par Jean? Elle est bien compréhensible, la réaction de Jean quand il voit s’approcher celui qu’il avait annoncé comme Messie. Jean s’efforce de rendre les gens attentifs à Dieu. Il leur demande de se convertir, c’est-à-dire de changer la direction de leur vie pour la réorienter en direction de Dieu. Et Jean les invite à manifester cette conversion, à la vivre dans le baptême. Et voilà que Jésus s’approche et demande ce baptême de conversion ! On pensait qu’il n’en avait en tout cas pas besoin, puisqu’il vient directement de Dieu et qu’en tant que Messie, il est Dieu lui-même !

Nous voulons un Dieu fort et sûr de lui. Nous voulons un Dieu qui dirige notre monde au lieu de le laisser se débattre avec les forces du mal et de la mort. Nous aimerions que Dieu détruise le mal et protège les croyants.

En fait, nous voulons un Dieu fort et puissant, mais en même temps, nous voulons le maîtriser, ce Dieu fort et puissant ! Quand nous nous imaginons Dieu, nous savons toujours très bien ce qu’il fait et ne fait pas, mais surtout : ce qu’il devrait faire.

Non, décidément, les êtres humains n’aiment pas être surpris par Dieu.

Et lorsqu’il se révèle en Jésus, Dieu nous surprend. Au lieu de prendre le destin du monde en main, il demande à recevoir le baptême de Jean !

Il n’y a pas que les gens ordinaires qui ne veulent pas être surpris par Dieu. Même les modèles de la foi ont des réactions de ce type. Nous le voyons aujourd’hui avec la réaction de Jean-Baptiste.

Les évangiles de Matthieu et de Marc décrivent Jean comme un personnage grand par sa foi. Il a un message à transmettre aux humains de la part de Dieu. Il est habillé d’un vêtement de poils de chameau, retenu par une ceinture de cuir : c’est le costume classique des prophètes, et en particulier du grand prophète Elie. Jean-Baptiste est montré dans les évangiles comme le dernier prophète, celui qui annonce et présente le Messie. Et le Messie sera celui qui rétablira le lien entre les humains et Dieu lui-même.

Comme prophète, Jean est donc plus important que tous ceux qui l’ont précédé, puisqu’il annonce un message de la part de Dieu qui vaut non seulement pour la situation présente et future, mais en plus, ce message est définitif. Avec la venue du Messie qui invitera tous les humains à se tourner vers Dieu, c’est la révélation finale complète et définitive de Dieu qui est annoncée.

Alors voilà Jean qui annonce le Messie et qui annonce que son baptême d’eau sera remplacé par celui qu’apportera le Messie : le baptême dans l’Esprit Saint et le feu.

En attendant la venue de celui qu’il annonce, Jean continue de baptiser et de proclamer son message à tous ceux qui veulent venir l’écouter dans le désert.

Et c’est là que commence notre texte : « Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu’au Jourdain auprès de Jean pour se faire baptiser par lui » (Mt 3,13).

Jean le reconnaît bien comme celui dont il annonce la venue avec tellement d’énergie. Mais en même temps, il ne le reconnaît pas. Il est tout étonné de ce que lui demande le Messie.

Jésus veut se faire baptiser par Jean !

Et Jean-Baptiste, le grand prophète, le modèle de la foi, Jean-Baptiste va vouloir s’opposer à cette demande.

Celui qui sera aussi appelé le Fils de Dieu veut lui aussi recevoir le signe de sa conversion. Il vient tout simplement vers Jean pour manifester à celui qui lui a préparé le chemin, et aux témoins de la scène, qu’il a choisi de participer en tant qu’homme à la vie du monde. Jésus ne vient pas pour faire éclater d’un seul coup toute la gloire et la force de Dieu. Non, il vient d’abord pour participer à la destinée humaine. Ce n’est que lorsqu’il aura réellement pris part à la vie des humains que Jésus deviendra leur Sauveur.

Dans cette scène, Jésus ne s’impose pas en tant que sauveur, mais il se pose en tant qu’homme.

Et cette manière de faire dérange complètement Jean. Il envisageait sa prédication et sa pratique du baptême comme quelque chose de provisoire. Il allait s’effacer au moment de la venue du Christ. Et voilà que le Christ lui-même veut le placer au premier rang en lui demandant le baptême. Jean reconnaît ses limites. Il sait que c’est du Christ qu’il doit recevoir le baptême qui sera le signe d’une vie retrouvée en Dieu et avec Dieu. Ce ne serait que justice si Jean s’inclinait devant Jésus pour recevoir le baptême de lui. C’est pour cela qu’il s’oppose à la demande de Jésus. Jésus va trop loin. Jean ne peut tout de même pas baptiser le Messie !

Mais Dieu ne vient pas faire une démonstration. Son accueil des humains est tel qu’il accepte de recevoir beaucoup d’eux. Dieu vient jusque dans le monde pour y chercher son peuple. Il accepte de se reconnaître dans les fautes des humains, dans leurs faiblesses et leurs incapacités. La seule présence de Dieu ne transforme pas d’un seul coup l’être humain imparfait en créature parfaite et infaillible.

L’amour de Dieu pour nous s’exprime dans le fait qu’il accepte de nous recevoir tels que nous sommes, avec les fautes, les incapacités, les faiblesses qui nous habitent et qui nous pèsent. Dieu ne vient pas simplement nous les enlever comme si ce n’était rien du tout. Il prend très au sérieux notre condition et il nous rejoint dans nos préoccupations, notre manière de voir le monde, de s’y sentir bien, ou de le subir.

Cette manière de faire nous surprend comme elle a surpris Jean. Nous voudrions être transformés pour pouvoir transformer à notre tour ou sortir de ce qui nous dérange dans la condition humaine. Et au lieu de cela, Jésus, l’envoyé de Dieu nous invite à nous abandonner en lui. « Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » (Mt 3,15). Le texte grec dit bien que cet abandon de soi à Dieu est la manière « d’accomplir toute justice ». La Bible en français courant interprète cette notion de justice en traduisant la phrase par « C’est de cette façon que nous devons accomplir tout ce que Dieu nous demande. »

La volonté de Dieu, ce que Dieu nous demande, c’est d’accomplir toute justice. Notre foi chrétienne exige de nous un engagement pour la justice. Nous ne pouvons pas prétendre faire la volonté de Dieu sans nous engager pour la justice.

La justice est un terme qui revient régulièrement dans l’évangile de Matthieu. Pour Matthieu, est chrétien celui qui pratique la justice. Dans cet évangile, on voit Jésus développer longuement ce que c’est que la justice et comment on accomplit la justice de Dieu. C’est important pour Matthieu d’affirmer que la justice se pratique. C’est bien plus qu’un engagement d’intention, c’est vraiment une manière de vivre.

Dans le sermon sur la montagne, Jésus développe encore ce que cela signifie que de vivre dans la justice. Les béatitudes, où Jésus déclare « heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés » (Mt 5,6) et les enseignements qui suivent aux chapitres 5, 6 et 7 de l’évangile de Matthieu invitent tous à la pratique de la justice.

C’est dans ce monde ci et pour une vie possible dans ce monde que nous sommes appelés à mettre en pratique la justice de Dieu. La foi chrétienne n’est pas une fuite du monde qui rend insensible aux aléas. La foi est pour les chrétiens une force venant de Dieu qui leur permet de vivre intensément dans ce monde et de s’y engager pour qu’il soit le meilleur possible.

La situation sociale et économique actuelle chez nous nous invite à assurer les acquis et à se soucier surtout de notre confort ou de notre survie personnelle. Une fois que cela est fait, nous nous tournons éventuellement vers les autres.

Je crois que l’évangile nous invite au contraire à soigner les relations humaines, de manière à s’entraider et à se soutenir les uns les autres. Concrètement cela veut dire être attentif aux relations avec nos voisins, nos collègues, nos connaissances. Tous ceux que nous rencontrons sont dignes de l’amour de Dieu et méritent notre considération et notre intérêt. En soignant toutes ces relations et en les entretenant, de la relation la plus banale à la plus construite, nous pratiquerons la justice.

Cet effort pour soigner nos relations commence dans notre quotidien, avec ceux que nous côtoyons tous les jours : notre famille, nos voisins. Mais cela va plus loin.

Des hommes, des femmes et des enfants ont dû fuir leur pays abîmé par la guerre ou des destructions. Certains d’entre eux cherchent un refuge aussi en Suisse. Ces personnes ont besoin de notre respect et de notre amitié pour que notre pays soit pour eux une terre d’asile. Ils en ont besoin pour soigner les blessures de l’intérieur, que l’on ne voit pas, mais qui marquent profondément. L’accueil est un geste difficile, à cause des différences, des habitudes prises, des réputations à maintenir ou à changer. L’accueil est un geste difficile, mais c’est un geste nécessaire.

Des solidarités seront affermies ou créées.

Il y aura des moments d’enrichissement mutuel.

Il y aura des découvertes, de soi et de l’autre.

Les beautés et aussi les difficultés des relations humaines nous feront découvrir que le royaume des cieux peut déjà être perçu dans notre monde et à notre époque.

En guise de conclusion, je vous invite à entendre le texte des béatitudes. Il porte à la fois la force que Dieu met en nous pour établir sa justice et un appel à nous engager pour que cette justice de Dieu dans notre monde devienne une réalité.

Lecture de Matthieu 5,3-10.

« Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.

Heureux les doux : ils auront la terre en partage.

Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.

Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.

Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le royaume des cieux est à eux. »

Amen