Culte du souvenir – 25 novembre 2017
Texte biblique : Mt 25,31-46
Prédication de Julie Paik
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Dans cette église, un peu comme dans l’histoire de Jésus, nous sommes nombreux à être rassemblés. Nous sommes venus chacune et chacun avec notre parcours, avec notre histoire de vie, avec toute la diversité de ce qui nous rend uniques et différents. Et l’histoire de Jésus, qui nous parle de la fin des temps, de son retour en roi-berger qui juge, nous fait inévitablement nous poser la question : Et moi ? Quel regard ce roi portera-t-il sur moi, sur les fils multiples et contrastés qui tissent la toile de ma vie ? Est-ce que je suis plutôt une chèvre ou une brebis ? Et mes proches, ceux que j’aime et qui sont partis avant moi ? Ces questions, ce retour sur nous-mêmes et sur ce que nous vivons dans l’intimité de notre existence, ce récit est fait pour les provoquer.
Mais ce soir, j’aimerais vous proposer de les laisser pour l’instant de côté et d’approcher le texte par un autre chemin.
Ce récit de la venue en gloire du Fils de l’Homme, c’est le dernier récit que fait à ses amis un homme, Jésus, qui sait que la fin est proche et qu’il va bientôt mourir. Deux jours plus tard, il en a conscience, il sera trahi, arrêté, jugé et mis à mort. Et dans ce dernier enseignement qu’il donne à ses disciples, il parle de la vie humaine et de ce qui en constitue l’essentiel.
Ce soir où nous faisons mémoire de ceux qui nous ont quittés cette année, j’ai envie de retenir deux choses de ce récit.
La première, c’est celle-ci : à son retour en gloire, nous dit Jésus, les êtres humains seront jugés selon la manière dont ils auront nourri, vêtu, visité les plus petits d’entre leurs frères ; c’est-à-dire selon la manière dont ils auront répondu aux besoins fondamentaux d’une vie humaine : le besoin d’assurer sa survie, le besoin de dignité, le besoin d’être entouré et aimé, en particulier dans les moments difficiles.
Or, ce qui est étonnant dans notre récit, c’est que ni les uns ni les autres – ni les chèvres ni les brebis – n’ont vraiment conscience d’avoir fait ce qu’elles ont fait, de la portée des actes qu’elles ont pu poser durant leur vie. Dans une vie humaine, il y a les grands tournants, les moments marquants, et tous les petits actes du quotidien. Nous avons tendance à garder les premiers en mémoire et à oublier les seconds. Nous les oublions, et pourtant c’est cela dont Dieu se souvient. Tous ces moments furtifs où une main posée sur une épaule, un sourire, un regard, un silence partagé, une offre d’aide, un mot glissé au passage ont fait du bien, un bien que souvent nous n’imaginons même pas, tous ces moments-là sont gravés précieusement dans la mémoire de Dieu. Et j’ai envie de garder cela comme une parole de réconfort : parce que si c’est vrai, alors il n’y a aucune vie humaine qui soit vécue en vain, qui passe sans laisser de trace, si même le plus petit de ces gestes-là demeure dans le cœur de Celui qui nous a toujours aimés et qui nous aime au-delà du temps.
Et la deuxième chose que j’aimerais retenir, c’est que, peut-être, si ces moments-là restent, c’est parce que Jésus nous dit que les offrir à un des plus petits, c’est les lui offrir à lui. Mais qui sont ces plus petits ? Pour l’Evangile, ce sont tous ceux qui sont vulnérables : vulnérables parce que les circonstances de la vie ont rendu leur existence matérielle précaire, ou bien vulnérables parce que leur intériorité vacille. Tout à l’heure, j’ai dit que nous avions sans doute tendance, quand nous entendons ce récit, à nous demander où nous nous situons – si nous prendrons place à la droite du Christ, avec les brebis, ou à sa gauche avec les chèvres. Et je pense que cette question est inévitable. Mais peut-être que ce soir, où beaucoup d’entre nous sont rassemblés parce qu’ils ont connu un deuil dans l’année qui vient de s’écouler, l’Evangile nous invite plutôt à nous identifier à ces petits : parce que l’absence et la peine nous ont rendus vulnérables, parce que nous avons besoin d’un réconfort et d’une présence aimante, parce que nous cherchons sur quoi nous appuyer pour continuer la route au quotidien. Et, plutôt que de poser un regard qui juge sur notre existence, peut-être pouvons-nous simplement oser dire : Je fais partie de ceux qui ont besoin qu’on leur fasse du bien.
Dans cette vulnérabilité, Jésus nous le dit, nous ne sommes pas seuls. Il est lui-même avec nous, il s’identifie à nous, il vit ce que vivent les plus petits d’entre ses frères. Et c’est de cette manière paradoxale qu’il est le roi : en restant fidèlement aux côtés de ceux qui ont besoin qu’on leur fasse du bien, pour qu’un jour, à leur tour, ils soient eux aussi capables de tendre la main.
Amen.