Prédication du samedi 26 août 2017 à Môtiers et du dimanche 27 août 2017 à Buttes à l’occasion d’une série d’été sur le symbole des apôtres – Texte de la prédication à télécharger ici en format pdf
Lecture biblique :
Prédication
Alors : résurrection des morts, ou résurrection de la chair ?
Le papillon d’annonce pour cette série d’été a laissé la question en suspens…
Moi-même, quand adolescente j’ai consciencieusement appris le symbole des apôtres, je l’ai fait à partir du recueil “Psaumes et cantiques”, qui dit «la résurrection des morts». Cela paraît logique, quand on est chrétien, croire à la résurrection, cela n’a rien de surprenant !
Mais les premières fois que, dans un groupe, j’ai récité le credo avec d’autres personnes qui utilisaient une autre version, comprenant «la résurrection de la chair», je me suis dit : houlà, c’est quoi cette bizarrerie ?
De la chair, des corps qui reviennent à la vie, difficile à imaginer quand même. Il me revenait en tête la vision d’Ezéchiel, dans laquelle il décrit des ossements qui s’animent, sur lesquels poussent des nerfs, des tissus et de la peau… j’avoue que cela ne fait pas très envie, et que cela a même un côté effrayant !
J’ai appris plus tard que la formulation «résurrection de la chair» était bien la traduction originale, et «résurrection des morts» une liberté prise pour présenter les choses de manière plus “acceptable” pour un esprit rationnel.
Qu’importe. Je préférais quand même la 2ème formulation, que je pensais à la fois plus ouverte et plus compréhensible que la première, trop réaliste à mon goût…
… jusqu’à ce que notre collègue René Perret, un mercredi de colloque, nous propose une série de cultes d’été sur le sujet, que je me replonge dans les textes, et que je me laisse bousculer entre autre par un certain Alphonse Maillot qui, dans son livre, fait remarquer que «résurrection des morts», c’est un pléonasme, et que si les auteurs ont mentionné «de la chair», c’est que la précision est importante !
Bon. Mais qu’est-ce que ça veut dire alors ? Parce que des corps qui ressortent de la tombe, ça ne m’enchante toujours pas….
D’ailleurs les contemporains de Paul semblent avoir été confrontés à la même interrogation : «Mais, demandera-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Quelle sorte de corps auront-ils ? »
«Vaine question» ou- selon les traductions : «Insensés», «Réfléchissez»… leur répond l’apôtre. Autrement dit, vous prenez le problème par le mauvais bout !
Il faut dire que le français ne nous aide pas à comprendre cette notion.
Pour nous, “chair”, c’est une matière, ce sont nos muscles, la viande, ou encore la pulpe des légumes et des fruits que nous mangeons… c’est très concret.
Dans une perspective biblique, il s’agit d’une réalité beaucoup plus vaste, et plus symbolique aussi.
Elle a à voir avec notre statut de créature, d’être vivant.
Elle ne désigne pas seulement le corps, mais la totalité de l’être humain, sa personnalité.
Ainsi la chair n’est pas qu’une partie de moi, de mon corps, mais c’est tout ce qui fait ma vie, mon histoire humaine. Cela englobe les œuvres que je fais, mon comportement, mes relations avec les autres.
Cette chair est marquée par la faiblesse. Elle a des limites ; elle rappelle la fragilité de l’homme, sa finitude.
Par extension, elle en est arrivée à désigner nos faiblesses humaines, notre inclinaison au mal et au péché.
En gros, la chair c’est ce qui est terrestre, limité, en opposition à ce qui est spirituel, céleste, divin.
L’homme étant éphémère, peut-il donc subsister quelque chose de lui à sa mort ?
C’est le sens de l’interrogation à laquelle Paul se confronte : comment les morts ressuscitent-ils, sous quelle forme ? quelle sorte de corps aurons-nous ?
Va-t-on simplement être quelqu’un d’autre, quelque part, autrement, ou va-t-on rester soi-même, et comment ?
Paul répond par une image : cela ressemble à des semailles…
Voici sur ce plateau plusieurs graines (je les montre).
Et voici ce qu’elle va donner (je les montre aussi) : des haricots, des carottes, des courgettes… on dirait qu’il n’y a rien à voir entre les deux !
Cela veut dire deux choses :
- il y a bien – à l’évidence – transformation. Il y a peu à voir entre ces graines et ces légumes !
- et pourtant, tout de la graine n’a pas disparu : une graine de courgette ne peut donner un haricot, et une graine de haricot ne peut pas donner une courgette ! Tout ce qui permettra au légume de devenir ce qu’il est, est déjà contenu dans la graine. Comme si elle gardait sa personnalité (pour autant qu’on puisse dire qu’une graine a sa personnalité !), elle garde sa substance propre, ses caractéristiques.
Il y a donc bien à la fois continuité, et transformation.
L’homme nouveau engendré par la résurrection ne sera pas déconnecté pour autant de ce qu’il a été. Ce qu’il a vécu fera partie de lui… et pourtant il ne sera plus le même.
Ce qui va changer, c’est que tout ce qui faisait de lui un être terrestre, limité et soumis au péché, cela sera transfiguré.
Belle perspective d’avenir !
…
Mais voilà que l’on apprend que tout n’est pas pour plus tard ;
cette œuvre a déjà commencé, par la venue du Christ.
Quand on dit que le Christ s’est fait “chair”, cela signifie qu’il s’est incarné dans un être humain, avec toutes ses failles, ses limites et ses fragilités.
Mais il est venu aussi pour transformer nos réalités humaines de l’intérieur. Par le Christ, l’Esprit de Dieu est venu “habiter la chair de l’homme” et en faire de lui un homme nouveau.
Une réalité qui sera pleinement réalisée à la résurrection, mais dont la force de transformation est déjà à l’œuvre en nous maintenant…
“Celui qui croit en moi est déjà passé de la mort à la vie”, dit l’Evangile de Jean.
C’est en ceci que cette vie est éternelle. Pas seulement dans une perspective d’avenir… mais aussi parce qu’elle nous relie à notre passé, et à ce que nous vivons maintenant.
Durant cette série d’été, vous avez déjà entendu de notre part plusieurs citations d’Alphonse Maillot… mais en conclusion, aujourd’hui, j’aimerais vous lire celle-ci, de Pierre Descouvemont [dans “Guide des difficultés de la foi catholique”, Cerf, 1989, p. 522] :
Quand un enfant est dans le ventre de sa mère, il est bien. Il ne connaît pas d’autre univers. Bien sûr, il ne sait pas très bien pourquoi lui poussent des yeux, des bras, des jambes inutiles…
Et vient le jour où on le retire brutalement de ce qui pour lui était le monde. Nous appelons cela une naissance. Mais, pour lui, c’est une mort. Il hurle de peur.
Bientôt il se découvre toujours en vie. Merveilleusement adapté au monde nouveau où il se trouve. Ses yeux, ses bras, ses jambes inutiles, voilà qu’il comprend maintenant que tout cela, irrésistiblement, le préparait à sa vie nouvelle. Et de ses propres yeux, enfin, il regarde sa mère, qui ne l’a jamais quitté, mais dont il découvre seulement maintenant le visage.
Ainsi est notre monde. Ainsi est notre vie.
L’univers est un grand ventre. Vastes entrailles où l’humanité lentement prend forme humaine. Bien sûr, nous nous sentons chez nous. Mais nous sommes perplexes. Comme des jambes et des bras inutiles, traînent le long de nous-mêmes des désirs de vie infinie, d’amour fou et de fraternité absolue. Avec, malgré tout, cette immense attente de bonheur.
Un jour, l’univers accouchera enfin l’humanité parvenue à terme. Nous appellerons cela une mort. Nous hurlerons de peur. Mais Dieu appelle cela une naissance.
Avec des larmes, des larmes de joie, nous découvrirons. Nous découvrirons que tout, absolument tout de notre vie humaine, nos humbles amours, nos échecs et nos deuils, nos grandes joies, la grande et inutile souffrance, tout cela nous aura merveilleusement préparés à cette vie nouvelle. Rien ne sera perdu.
Et nous découvrirons le visage de Dieu. Comme un enfant a celui de sa mère, qui ne l’a jamais quitté.
Ce grand accouchement a commencé. Le Christ en a souffert les premières douleurs. Morte la mort ! C’est cela que nous appelons Pâques ou Résurrection. Passage de la mort à la vie.
Amen.