Prédication de David Allisson, 29 septembre 2013:
Les textes bibliques du jour:
Prédication:
« Ils ne se laisseront pas persuader même si quelqu’un se relevait d’entre les morts. » Lc 16,31
C’est une phrase terrible parce qu’on sent bien que le héros de la parabole, le riche mort et enterré est mis par cette histoire dans le même panier que ses 5 frères encore en vie.
Est-ce que le riche a la moindre chance de s’en sortir, dans cette histoire ?
Cela nous arrangerait bien que oui en tant que citoyens d’un pays riche, même si probablement peu d’entre nous sont à compter parmi les riches de notre contexte.
La parabole est complétement fermée par rapport au riche. Ce personnage est décrit comme centré sur lui-même sans aucun accès à ce qui pourrait se passer autour de lui. Pas de problème pour lui de vivre dans la soie et les bons repas tout en ayant sous les yeux le pauvre si mal en point qu’il doit rester couché devant la maison du riche !
Le riche ne change pas son fusil d’épaule. C’est la dure loi du monde qui fait qu’il y a des riches et des pauvres. Tant mieux pour moi, je suis du côté de l’abondance. Tant pis pour l’autre qui n’a pas eu la même chance dans la vie.
Ranger le riche parmi les irrécupérables, c’est assez courant et plutôt attendu.
Mais il y a quelque chose qui cloche.
Cette parabole se trouve au chapitre 16 de l’évangile selon Luc. Elle est donc racontée juste après une série de paraboles qui ont été appelées les paraboles de la miséricorde. Pour mieux vous situer : les 3 paraboles du chapitre 15 de Luc racontent, pour la 1e, l’histoire d’un berger qui laisse ses 99 moutons pour aller chercher partout le 100e de son troupeau qui s’était perdu. La deuxième est celle d’une femme qui, ayant perdu une pièce d’argent, fouille sa maison et range tout jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé la pièce. La troisième histoire raconte comment un fils, qui avait réclamé son héritage à son père, a dépensé tout ce qu’il avait et, mourant de faim, a décidé de revenir chez son père pour lui demander de l’engager comme ouvrier. Le Père n’écoute pas cette demande et l’accueille comme fils, à bras ouverts, en organisant une telle fête que son frère aîné, jaloux, se met dans une grande colère.
Il y a de la miséricorde pour le mouton perdu qu’il faut retrouver pour lui permettre de rejoindre les 99 autres.
Il y a de l’intérêt pour la pièce perdue qui doit retrouver sa place parmi les 9 autres.
Il y a de la miséricorde pour le fils perdu que le père accueille à son retour dans une grande fête.
Difficile de se dire que l’évangile de Luc passe de ces histoires de miséricorde à la dure condamnation des richesses, et surtout des riches, dans la parabole que nous lisons aujourd’hui.
Il doit y avoir une clé. Une autre issue doit apparaître quelque part.
Cette clé se trouve au verset 29 : « [ils] ont Moïse et les prophètes pour les avertir : qu’ils les écoutent ! »
L’écoute, voilà la clé. Et ce n’est pas nouveau. Déjà aux temps de l’Ancien Testament, c’est autour de l’écoute que se joue la relation à Dieu et l’ouverture à la Vie.
« Ecoute, peuple d’Israël : Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt 6,4)
Jésus renvoie à cette écoute quand on vient lui demander quel est le commandement le plus important de la loi.
Jésus rappelle ce commandement bien connu de tous les croyants de son époque, qui demande de se mettre à l’écoute de qui est le Seigneur Dieu et de ce qu’il demande aux siens. Il en ajoutera un deuxième dont il dira qu’il lui est semblable : « aime ton prochain comme toi-même. »
Quand Dieu s’exprime par ses témoins que sont les textes bibliques, les croyants et les événements de nos vies, il s’agit pour nous d’entendre sa voix en la distinguant des autres voix du monde. Nous sommes appelés à l’écouter, c’est à dire à y porter notre attention pour la comprendre et l’intégrer. Nous avons aussi à y obéir, c’est-à-dire à réaliser dans nos vies ce que nous en avons compris quand nous l’avons intégrée en nous-mêmes.
Cette écoute, tout le monde y est appelé et tout le monde peut la réaliser.
Lazare, le pauvre, a peut-être moins d’obstacle pour accueillir en lui la résonnance de cette foi.
Le riche, lui, a toutes sortes d’interférences.
Ces interférences peuvent surgir parce qu’on est riches d’argent, comme dans la parabole. Nous pouvons aussi avoir des difficultés d’écoute quand nous sommes riches de foi et de quête de Dieu et cela rend la chose un peu plus compliquée.
Dans les évangiles, nous trouvons la trace de personnes comme cela, riches de foi et riches de leur désir de chercher Dieu et de vivre proches de lui.
Jésus fait partie de leurs proches. Il discute volontiers avec eux. Et pourtant les évangiles s’en souviennent d’une façon plutôt négative. Ils sont les membres actifs de la paroisse, et même souvent parmi les responsables et les enseignants. Ils ont une grande culture religieuse et cherchent dans leur façon de vivre à être au plus près de ce qu’ils ont compris de ce que Dieu leur demande.
Ils ont tellement approfondi leurs recherches qu’ils ont souvent le sentiment d’être arrivé et d’avoir trouvé. Leurs convictions et leur culture les rendent imperméables à ce qui pourrait arriver de nouveau. Ils deviennent incapables d’écoute et incapables de faire autrement que cela s’est toujours fait.
Vous qui avez assisté au spectacle de la Marelle vendredi soir, vous vous souvenez de cette scène ou les 2 africains sont accueillis par une paroisse romande pour partager des idées et des conseils pour revitaliser sa vie d’Eglise. Le pasteur et peut-être une conseillère paroissiale doivent dire comment ils voient leur paroisse dans 30 ans.
Ils font la liste assez précise et complète de ce qu’ils essaient de vivre aujourd’hui.
Impossible pour eux d’imaginer l’Eglise autrement.
Et pourtant ils sentent bien que le contexte est en train de changer et qu’il faut ouvrir l’imagination et la boîte à idées.
Ces personnages du spectacle de la Marelle correspondent bien à ces grands connaisseurs de la Bible et de la loi de Dieu avec qui Jésus a débattu. Dans les évangiles, ce sont les Pharisiens et les maîtres de la loi. Des bons types, bien au clair sur les choses de Dieu, mais incapables d’écoute, complètement figés et enfermés dans leur compréhension de Dieu et de la foi. Le renouvellement que Jésus apporte, ils ne peuvent pas le recevoir.
…et nous non plus. Quand nous sommes bien dans notre compréhension de la foi et de l’Eglise et que nous cherchons à construire le fonctionnement de la communauté tel que nous imaginons qu’il marchait bien dans le temps.
La richesse de ce qui nous a fait grandir et de ce qui nous a nourri risque de nous rendre sourds à la nouveauté de Dieu. Le riche et ses frères connaissaient bien la langue de la Bible et du Seigneur. Ils ont tellement intégré cette langue qu’ils se la sont appropriée et qu’elle est devenu leur langage à eux et cela les a empêché d’entendre autre chose que ce qui venait d’eux-mêmes.
Nous ne sommes pas à l’abri de ce risque.
C’est pour cela que nous sommes appelés à une écoute. « Ecoute, EREN ! » « Ecoute, paroisse du Val-de-Travers ! » « Ecoute, chrétienne et chrétien ! ».
Nous souffrons de celles et ceux qui manquent d’écoute quand nous voulons nous adresser à eux ou confier quelque chose d’important. L’écoute, c’est tout un « entraînement », comme une habitude qui se cultive dans la durée. Cela nous permettra dans la durée de rester dans une attitude d’ouverture aux autres et à la Vie plutôt que dans un enfermement dans des habitudes sourdes.
Et voilà. Les auditeurs de la parabole se retrouvent un peu comme moi à la fin de cette prédication. Il n’y a pas de fin. On n’arrive pas forcément très bien à imaginer la suite, ni ce qui pourrait bien se passer.
Nous avons bien compris que Lazare a été un pauvre homme dans la vie, bien maltraité par les événements et par les hommes.
Nous avons compris que la fermeture de ce riche, dont on ne sait rien d’autre que sa fortune, fait de lui aussi un pauvre homme. Son enfermement sur lui-même et ses richesses l’a tellement coupé des autres qu’il s’est trouvé en même temps coupé de Dieu.
L’un est reconnu comme faisant partie de la famille. Il est des fils d’Abraham, le pauvre. Et il est en paix, du côté de la lumière.
Le riche, qui s’exprime plus, qui a fait beaucoup de choses justes dans sa vie, le voilà dans une situation de manque et de détresse.
Il aimerait faire profiter les autres de son expérience. Il aimerait faire envoyer le pauvre Lazare, maintenant bienheureux, chez ses frères qu’il imagine vivre avec les mêmes soucis que lui, attachés à leur richesse.
Mais tout a été dit. Les frères ont Moïse et les prophètes. Qu’ils les écoutent !
Si cela ne leur suffit pas, ils n’écouteront pas mieux quelqu’un qui se serait relevé d’entre les morts.
Et voilà.
Nous avons les deux : Moïse et les prophètes, et ensuite Jésus, crucifié, mort et qui s’est ensuite relevé d’entre les morts.
Qu’avons-nous besoin de plus ? Toute la Vie est là !
Recevons-la, cette Vie, partageons-la avec nos proches et avec celles et ceux qu’il nous est donné de rencontrer. Ces personnes sont nos prochains, ces personnes s’approchent de nous. Que notre écoute des paroles de Vie nous incitent à les rencontrer et à partager avec elles et avec eux cette vie qui est notre seule richesse, indépendamment des biens que nous avons ou que nous n’avons pas.
La parabole n’a pas de vraie fin.
Cette prédication n’a pas de vraie fin non plus parce que nous sommes à nouveau appelés à l’écoute.
« Ecoute, EREN ! » « Ecoute, paroisse du Val-de-Travers ! » « Ecoute, chrétienne et chrétien ! » :
« Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » Dt 6,4.
Ecoute, souviens-toi et transmets.