Vendredi Saint: à la croisée des chemins

Culte du 14 avril 2017 au temple de Saint-Sulpice69077124-chemin-du-calvaire-vector-illustration-de-la-crucifixion

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Lecture de la Bible: Luc 23, 26-49

Prédication

Voici donc Jésus sur son “chemin de croix” – via crucis en latin. J’ai été interpellée récemment sur une manière possible de traduire cette expression : “voie de croisements”.
Les croisements, c’est là où on se rencontre. Les rencontres ont été au cœur de l’existence de Jésus ; il a croisé nombre d’hommes, de femmes, et d’enfants, et la vie de beaucoup en a été bouleversée.
Il n’a pas seulement croisé la route de ces personnes, il a été au carrefour de leurs rencontres, cherchant à les faire se rencontrer, à les mettre en lien. En lien les uns avec les autres, en lien aussi avec ce Dieu qu’il appelait “Père”, comme pour le rendre plus proche et accessible à ses contemporains. Avec lui, Dieu a pris visage humain.
Mais maintenant la vie de Jésus a subi un tournant décisif, et tout cela est fini, au point mort. C’est la croix qui domine.
En ce vendredi Saint, nos pas nous ont ramenés vers les souffrances et la mort de Jésus, la mort de celui qui, il y a 5 jours seulement, était fêté aux Rameaux comme un roi, comme un sauveur, comme un libérateur.
A cette croix sont crucifiés nos attentes, nos espoirs, notre confiance et les promesses que Dieu nous a faites.
A cette croix nous sommes mis face à face aussi avec tous les êtres qui souffrent et qui meurent injustement autour de nous : les victimes de la guerre, de la maladie, d’accidents, de la pauvreté…
A cette croix nous sommes mis encore en face de nos propres limites, en face de notre mortalité, en face de nos défauts, de nos incapacités, de nos doutes, de notre impuissance, de notre faiblesse.
Cela nous renvoie à tous ces jours où demain ne ressemble à plus rien, ou tout est vide, où l’on n’a plus goût à rien, où l’on ne voit plus d’issue, où l’horizon paraît bouché.
Avec la foule, les amis de Jésus et les femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée, nous sommes là avec notre impuissance et nos questions. Pourquoi ? Pourquoi faut-il passer par là ? Pour quoi souffrir ainsi ?
Pourquoi ce Dieu qui d’abord montre sa puissance en guérissant les malades, qui redonne espoir aux opprimés, qui remet en route les découragés, si c’est pour être ainsi cloué à une croix ?
Pourquoi… la réponse viendra peut-être plus tard, mais pour l’instant, ne reste que le vide, le silence, et l’incompréhension.
Nous sommes laissés à nos interrogations. Des interrogations qui peut-être pourraient prendre la forme de ce texte publié il y a 20 ans par les éditions du Signe (Chemins de Pâques 1997) :
L’ont-ils confectionnée exprès,
la croix du Christ au Golgotha? Qui sait?
Le bois était rare en Judée
et les Romains étaient des gens économes.
Alors ils lui ont donné une croix
qui avait déjà servi pour d’autres.
Une croix d’occasion!
où le sang du Christ se mêle
à celui d’autres condamnés avant lui
— et après lui, car elle servira encore, cette croix!
Sur le même bois,
indistinctement et intimement mêlés
le sang du Juste et le sang des pécheurs,
la souffrance de Dieu
et la souffrance des humains,
d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Sur le Golgotha, ce jour-là,
ne fut pas plantée une croix divine
entre deux croix humaines,
mais une croix pleinement humaine
que Dieu voulut prendre pour lui
et faire sienne
pour y offrir le sacrifice de sa vie
donnée pour tous.
C’est alors que Jésus, dans un cri, remet son esprit au Père, que le soleil cesse de briller, que l’obscurité se fait, et que le rideau du temple séparant le saint des saints du reste du monde se déchire.
Le divin se mêle au monde des humains. Et la croix est comme l’intersection de cette rencontre.
Ainsi, au milieu du vide, de l’incompréhension, du silence et de l’absence, quelque chose nous est donné. Sur cette croix se dessine aussi le visage de Dieu.
Ce Dieu qui a choisi de nous rejoindre là, dans nos souffrances, dans nos limites, dans nos désillusions, dans nos deuils.
Un Dieu qui, plutôt que de nous laisser seul dans nos épreuves, a choisi au contraire de les vivre avec nous, de nous accompagner jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix…
En contemplant cette croix, c’est Dieu que nous voyons, un Dieu incompréhensible pour notre sensibilité d’hommes et de femmes, mais un Dieu aussi qui est présent, partout, dans les moindres recoins de notre existence, là où, peut-être, nous n’attendions pas de le rencontrer…
Dieu marche sur notre route, et même si nous ne le voyons pas encore, guettons, guettons le bruit de ses pas, à la croisée de nos chemins…
Amen.

Intercession

Prière pour un jour de ténèbres
Seigneur, à Toi je peux bien le dire:
il y a des jours où le brouillard me submerge,
des jours hermétiques, sans avenir,
des jours où tu disparais
et derrière le brouillard
je ne vois que le brouillard
encore à l’infini, pour l’éternité…
Ces jours-là Seigneur,
j’en ai un peu honte après coup,
honte d’avoir cru que Tu désertais,
que mon sort T’était indifférent,
que Tu ne me voyais même pas,
derrière mon rideau de brouillard…
Mais je crois, oui je crois
que Tu étais au rendez-vous sur la colline,
présence invisible dans le brouillard de ce Vendredi-là
Alors me revient le souvenir du cri
le grand cri de Jésus déchirant la nuit
et quelque chose monte en moi
que je voudrais aussi crier
O Seigneur, accueille mon cri aujourd’hui,
ce cri que j’ai si longtemps étouffé
parce qu’il ne fallait pas,
parce que je ne voulais rien montrer
parce que personne n’entendait
Accueille ce cri que je ne contrôle plus
Qu’il déchire enfin ma nuit
et parvienne jusqu’à Toi
Car je crois, oui je crois
que Tu étais au rendez-vous sur la colline,
présence invisible
dans le brouillard ce Vendredi-là
Alors me revient le souvenir des ténèbres,
les ténèbres épaisses sur toute la terre,
et je m’y sens englouti avec le Christ…
des ténèbres à n’en plus finir….
Mais non, “de la sixième à la neuvième heure”
O Seigneur donne-moi de croire
ce que racontent les évangélistes
…que les ténèbres sont épaisses sur toute la terre
mais qu’elles ne sont pas éternelles,
qu’elles durent jusqu’à la neuvième heure
et pas au-delà…
Je crois, oui je veux croire
que Tu étais au rendez-vous sur la colline,
présence invisible
dans le brouillard de ce Vendredi-là
Alors Seigneur,
moi aussi je remets mon esprit entre Tes mains.
(Lytta Basset, Vie et Liturgie n°22)
C’est alors qu’à travers le brouillard, j’entrevois mes frères et sœurs eux aussi en souffrance : ces personnes moquées, violentées, méprisées, malmenées par la vie… qui ont besoin de ton soutien et de ma prière. Je te les remets Seigneur, et je veux les voir à travers ton regard, ton regard d’amour qui traverse tout.
Amen.