Eté 2016 dans la paroisse du Val-de-Travers: série de prédications sur le « Notre Père »
Lecture de la Bible
Message
…comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Pardonne-nous nos offenses… …comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Pourquoi est-ce que nous avons partagé en 2 cette 5e demande du Notre Père dans la répartition des thèmes de notre série de prédications de cet été ? Comme le relevait René Perret dimanche dernier, on doit lire ensemble Pardonne-nous nos offenses et comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Mon collègue le disait dans sa prédication, les deux éléments sont liés et peuvent nous rendre hésitants au moment de prier cette 5e demande : le pardon de Dieu donne son sens au pardon humain. Le pardon humain est une des manières qui rendent Dieu présent dans notre monde.
Et nous prions : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Le pardon offert par Dieu appelle notre pardon les uns pour les autres.
Notre pardon offert est une manifestation de la présence de Dieu.
Mais c’est plus compliqué que cela ! La question est délicate : lorsqu’on pense aux offenses subies ou commises, nous voyons bien que nous avons envie d’ajouter qu’il y a quand même des actes que nous ne pouvons pas pardonner.
Hé, bien ! c’est justement là la force et en même temps la contradiction du pardon. On ne peut pardonner que l’impardonnable. Si on pouvait effacer le tort commis par l’offenseur, on ne parlerait plus de pardon, mais de rétablissement ou de compensation. Ce serait comme s’acquitter d’une facture et la dette n’existe plus.
Et cette compensation, ce rétablissement, c’était bien le but de la loi du talion : œil pour œil et dent pour dent. Cette loi a permis un apaisement des relations humaines parce qu’elle invite à passer d’une logique de vengeance à une logique de compensation. Le tort subi appelle une réparation et non plus une vengeance comme précédemment. Pour un œil crevé, il suffit de crever un œil à l’auteur, au lieu de lui crever les deux yeux et de lui couper en plus la main qui tenait l’arme !
Quand on évoque le pardon, on parle d’une dette qui ne pourrait être remise. Il s’agit d’une blessure qui ne se refermera pas, ou du moins qui laissera une cicatrice bien visible.
Offrir et recevoir le pardon, c’est apprendre à vivre ensemble ou à revivre ensemble après quelque chose que l’on ne peut pas laisser passer. C’est accepter une manière possible de vivre après l’inacceptable.
C’est pour cela que Dieu est toujours présent dans le pardon. Pour supporter de continuer de vivre après que quelque chose d’insupportable s’est passé, il faut une force qui vient d’ailleurs. Il faut un soutien qui dépasse nos propres forces. Il faut un souffle qui inspire notre respiration alors que nous manquons d’air. Le pardon ouvre une liberté qui appelle aussi une exigence de responsabilité. Cet appel d’air que réalise le pardon implique l’engagement à faire circuler cet air frais qu’il fait bon respirer.
Le pardon fait offense à notre compréhension de la justice. Et même plus grave : le pardon fait offense à la victime et favorise l’auteur. Si une faute a été commise, il doit y avoir punition, amende ou compensation.
Cela s’exprime dans la parabole du débiteur insolvable. Le maître auprès de qui le serviteur s’est endetté laisse parler son cœur et n’accède pas à la demande du débiteur insolvable. Quand on entendait en grec « Le maître eut pitié de son serviteur » ou « Emu de compassion, le maître remit la dette », on comprenait un engagement entier de la personne, avec sa volonté et ses émotions. C’est plus fort et profond que le français qui pourrait laisser entendre qu’il s’agit d’un coup de cœur motivé par le sentiment du moment.
La remise de dette du roi pour son serviteur est portée par la volonté autant que par l’émotion.
Il va plus loin que ce qui lui est demandé. Il n’accorde pas un délai supplémentaire pour le paiement de la dette, il l’annule. Et c’est pourtant comme si elle était encore là, cette dette. Cela apparaît quand ce premier serviteur se montre intransigeant vis-à-vis du deuxième, qui avait une petite dette envers lui : au moment de rendre des compte, il n’est pas jugé que sur sa dureté. Il est repris et jugé d’après sa propre dette qui venait pourtant de lui être remise. Cela aggrave son cas ! Son intransigeance est aggravée du fait qu’il venait de bénéficier de cet élan de cœur et de volonté de la part de son maître pour sa dette à lui.
Pardonner, cela ne peut se faire que de tout son cœur, comme le souligne la fin du texte, c’est à dire de toute sa personne : C’est ainsi que mon Père qui est au ciel vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur (Mt 18,35)
Vous êtes en train de vous dire que vous n’y arrivez pas ? Moi non plus !
Moi aussi, je garde des blessures ou des rognes bien longtemps avant de savoir comment faire pour pardonner.
Et c’est bien pour cela que je peux prier le Notre Père toujours à nouveau : Notre Père… pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Prier ainsi, c’est renverser complétement la situation. C’est annuler dans la prière même la reconnaissance de dette de son débiteur. Pour ceux qui se joignent à cette demande du Notre Père, il se produit un retournement de la situation initiale, et le non-pardon devient maintenant une impossibilité. [Magdalene L. Frettlöh, in Qu’est-ce que croire ? Réponses du Notre Père, Labor et Fides, 2014, p.173]
Prier comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, c’est demander que le ciel vienne sur la terre. C’est prier que le Règne de Dieu s’approche et que sa volonté soit faite. C’est aussi reconnaître que c’est à lui qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour toujours.
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Quand nous faisons ce que Dieu fait, quand Dieu agit dans ce que nous faisons, nous n’agissons pas de notre propre spontanéité. Nous nous laissons déborder par quelqu’un qui est plus grand que nous. Nous débordons d’une vie qui dépasse les dimensions de notre vie. En nous et de nous coule alors la vie du Christ, mort et ressuscité.
Ceux qui pardonnent sont les guérisseurs de l’humanité.
Plutôt que de rêver de revanche ou de vengeance, ils arrêtent le mal d’eux-mêmes…
Pardonner, c’est l’acte le plus puissant qu’il soit donné aux hommes d’accomplir.
Les êtres blessés qui pardonnent transforment leur propre blessure.
Ils guérissent – là où ils sont – la plaie qui défigure l’humanité depuis ses origines : la violence.
Celui ou celle qui pardonne ressemble à Jésus.
Celui ou celle qui pardonne rend Dieu présent.