Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite-culte du 17 juillet 2016

17 juillet 2016 – Buttes 10h – Prédication de Patrick Schlüter à télécharger en pdf

Série de cultes d’été sur le « Notre Père »

Lectures de la Bible :

Luc 17, 20-37

Matthieu 21, 28-32

Prédication

« Que ton règne vienne » disait Jésus et nous après lui…

Plusieurs questions peuvent se poser face à cette demande. D’ailleurs, les pharisiens n’y ont pas manqué : « quand viendra-t-il ce Règne de Dieu ? » La réponse de Jésus pose même encore d’autres questions : « Le Règne de Dieu est au milieu de vous »

Donc, la prière du Notre Père demande quelque chose qui est déjà là!?! Mais où est-il ce Règne de Dieu ? Où était-il à Nice quand le camion fou a foncé dans la foule ? Où était-il quand les attentats frappent partout dans le monde ? Où est-il en Turquie dans les affrontements ? Où est-il ce Règne de Dieu quand le malheur frappe aveuglément et s’acharne même parfois ? Où est-il quand des migrants se noient en Méditerranée ou trouvent des frontières fermées ? Où est-il face à l’incertitude de l’avenir qui semble sombre ?

Et d’ailleurs, pourquoi demander quelque chose qui serait déjà là ? Un roi, il règne ou il ne règne pas. Et s’il règne, pourquoi demander la venue de son Règne ?

Oui, cette demande du Notre Père pose beaucoup de questions. Est-ce que nous réalisons vraiment ce nous disons quand nous demandons « Que ton Règne vienne » ?

L’annonce du Règne de Dieu ou du Royaume de Dieu est au cœur de la prédication de Jésus. Le Règne ou le Royaume de Dieu, c’est le même terme en grec. Cela signifie « l’exercice de la Seigneurie de Dieu » : c’est là où Dieu exerce son pouvoir. Ce Règne de Dieu est à la fois déjà là et encore à venir.

Pour nous, hommes et femmes modernes, c’est difficile à comprendre et cela peut même apparaître comme une contradiction. Nous pensons le monde à partir du présent. Et l’avenir se situe dans le futur : il n’est pas encore là. Et parfois même, nous sommes sceptiques face à l’avenir en disant : « on verra bien ! J’y croirai quand ce sera là. » Je crois qu’aujourd’hui, cette manière de penser conduit parfois au pessimisme : « quand on voit comment va le monde, cela n’augure rien de bon… ». Nous les occidentaux, nous pensons le monde à partir du présent et l’avenir, c’est souvent l’expression des possibilités ou des difficultés d’aujourd’hui. Mais, ce n’est pas la seule manière de penser !

Pour Jésus, dans la logique du Notre Père, le monde présent est envisagé à partir de son avenir et enraciné dans son passé. C’est Dieu qui a créé le monde et qui a une volonté de vie pour lui. Ainsi, le monde présent est pensé à partir à de son accomplissement dans l’amour de Dieu. C’est cet « à-venir » qui détermine le présent. Dans ce sens, le Règne de Dieu est déjà là, parce que l’ « à-venir » est à l’œuvre aujourd’hui. Il a déjà commencé.

C’est comme des parents qui attendent un enfant. Même s’il n’est pas encore né, l’enfant est déjà là : sa venue détermine le présent. Nous avons aussi tous fait l’expérience d’avoir un projet qui nous tient à cœur, une rencontre que nous attendons, quelque chose dont nous nous réjouissons. Cela nous habite tellement que nous y pensons sans cesse, nous en parlons autour de nous, nous organisons notre temps en fonction de ce projet : c’est comme s’il est présent et déjà là, tout en étant encore « à venir ».

Il en va ainsi du Règne de Dieu. Il est « à venir », mais Dieu est à l’œuvre dans le présent qui tend vers son accomplissement. Prendre conscience de cela, cela change complètement la manière d’envisager le présent et le monde dans lequel nous vivons. Il y a toujours plus que ce que nous voyons. C’est la logique de l’espérance, car l’histoire humaine tend vers un but : le Règne de Dieu déjà à l’œuvre aujourd’hui. Le monde dans lequel nous vivons ne suffit pas. Sans la logique de l’espérance, il peut se fermer sur lui-même, sur les seules potentialités humaines, sur des probabilités à calculer. La logique de l’espérance donne une perspective. Elle brise le déterminisme. Elle change le regard sur la vie et le monde.

Il y a plus de 20 ans, j’ai été marqué par une personne qui racontait une expérience de vie qu’elle avait vécu. Dans sa vie de foi, Anne, appelons-la ainsi, n’a un jour plus supporté la présence de Dieu dans a vie. Alors, elle a lui a demandé de partir, de s’en aller. Et elle racontait que Dieu avait fait ce qu’elle lui avait demandé : il était parti de sa vie. Et alors, elle avait fait l’expérience que son regard sur le monde avait complètement changé : il n’y avait plus rien derrière ce qu’elle voyait ! Simplement la réalité des choses sans autre perspective… Pour Anne, cela a été une expérience difficile, de solitude. Cela lui a fait prendre conscience de ce que Dieu apportait dans sa vie et elle lui a demandé d’y revenir.

Cette expérience partagée m’a marqué. Prier « Que ton Règne vienne », c’est s’inscrire dans cet horizon de Dieu qui change la vie. Et ce n’est pas une illusion. Découvrir le Règne de Dieu à l’œuvre aujourd’hui, cela change la perspective. Cela modifie le regard sur soi-même et sur les autres. Quand on regarde quelqu’un en voyant ses potentialités et qu’il le sent, cela peut changer son avenir. Nombreuses sont les personnes qui ont fait cette expérience : « si l’on avait pas cru en moi, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. »

Quand on prie « Que ton Règne vienne », on s’inscrit dans cette logique de Dieu : Dieu construit son Règne, son Royaume en agissant sur les êtres humains. En demandant « Que ton Règne vienne », j’inscris ma vie dans cette logique de l’espérance et Dieu agit à travers moi. Est-ce que j’ai conscience de cela quand je prie le Notre Père ?

Prier, c’est agir et agir, c’est laisser Dieu me mettre en route. Prier le Notre Père, cela a des conséquences.

C’est sans doute pour cela que, dans l’évangile de Matthieu s’ajoute la demande suivante : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». La volonté de Dieu, c’est avant tout les 10 commandements qui se résument dans le double commandement d’amour : aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même. Et cet amour mène loin dans l’évangile de Matthieu : jusqu’à aimer ses ennemis.

Le Dieu que nous prions dans le Notre Père, n’est pas un despote qui impose sa volonté. Il nous y appelle. Et parfois, c’est un débat, une confrontation quand je ne comprends pas ce qui m’arrive. La prière, c’est aussi le lieu de ce débat. Quand je prie « Que ta volonté soit faite », j’entre en débat avec la volonté de Dieu qui me sollicite. Parfois, je ne comprends pas Dieu comme Jésus qui prie à Gethsémané avec les mots du Notre Père. Parfois, j’ai envie de faire autre chose. Je reste libre face à cet appel de me situer dans la volonté d’amour de Dieu. C’est cette liberté que raconte cette parabole des 2 fils auquel un Père demande d’aller travailler dans sa vigne.

Dieu me sollicite, m’appelle à me situer dans la logique du Royaume. Quand je prie le Notre Père, je suis appelé à être conséquent avec ma prière. Il y a une forme d’urgence dans les textes que nous avons entendus : tout se joue aujourd’hui dans le face-à-face avec Dieu et dans ma manière d’agir. Tout se joue aujourd’hui et il n’est jamais trop tard pour faire la volonté du Père comme le premier fils de la parabole. Tout se joue aussi aujourd’hui pour le 2ème fils pour lequel il n’est pas trop tard pour aller travailler dans la vigne.

Prier le Notre Père, c’est en somme assez dangereux. On pourrait peut-être mettre un avertissement au début de la prière : « Attention ! Prière dangereuse ! ». C’est qu’on peut en sortir transformé ! On ne peut pas prier le Notre Père en restant indifférent au monde. Prier, c’est réaliser l’écart entre le monde et le Règne de Dieu. Prier, c’est se laisser transformer en laissant Dieu agir à travers nous. C’est être relié à tous ceux qui prient à la suite de Jésus.

Tout se joue dans l’aujourd’hui de la prière et de l’action. Le monde ne suffit pas. Face au pessimisme, face à l’autosuffisance du monde, nous prions « Que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »

Amen.