Introduction Anna – André – Francis – René ; narratrice : sœur Odette
Madeleine: Eh! Valentin…
Valentin: Que veux-tu, Madeleine ?
Madeleine: As-tu entendu dire , chez Bernard-Louis?
Valentin: Je n’en sais rien, qu’est-ce qui se raconte encore… ? Je vais demander chez mon ami Paul. Paul, as-tu entendu dire quel drame se passe chez Bernard- Louis?
Paul: J’ai vaguement entendu quelque chose de bizarre. Mais tu sais, la Madeleine , c’est une pipelette ! Je vais me renseigner auprès de mon ami Samuel, tu sais le sage de la montagne… Salut Samuel, peut-être que toi, tu sais quelque chose. On raconte que Louis a pris la clé des champs avec sa part de butin !
Samuel: Oui, c’est est vrai, je viens de rencontrer le père, Bernard-Louis. Il est tout « déconfituré ». Une voix venant d’ailleurs peut nous transmettre le vrai récit… qu’en pensez-vous?
Les quatre: oui! comme ça on sera au clair.
Lecture biblique: Luc 15,11-32 et Prédication forment un tout
– Narratrice – sœur Odette : Jésus dit encore : Un homme, Bernard-Louis avait deux fils. Le plus jeune, Louis, dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui doit me revenir. » Bernard-Louis partagea son bien entre eux.
– Valentin le voisin – René : « Mais qu’est-ce qui se passe dans cette famille ? C’est quoi cette vente, tout ce branle-bas de combat, comme s’ils allaient arrêter le domaine ? Le père n’est pas à l’article de la mort, ou quoi ? D’autant plus que c’est pas des petits paysans ! Il faut que je me renseigne à la laiterie, c’est très louche, tout ça ! »
– Madeleine la voisine – Anna : « Je ne connais pas ce fils cadet, Louis, mais je connais le sentiment que mes parents ne me comprennent pas. Je n’avais pas envie d’accepter une profession comme institutrice pour enseigner les enfants à coudre et à tricoter, ou travailler dans le bureau de l’entreprise de mon père. C’était mon frère cadet qui était désigné pour se former à succéder à notre papa dans l’entreprise. Moi, j’étais intéressée à étudier la musique ou à comprendre le fonctionnement secret des choses. Oui, je sais que pas tout le monde pense que des études ont la même valeur que de travailler dans une production ou un service. Je suis partie pour apprendre l’anglais et travailler dans un home pour personnes âgées, et c’était une année très heureuse pour moi. Je vivais une liberté et j’apprenais les règles de la vie dans ce pays étrange. Combien je comprends Louis, qui est parti ! »
Peu de jours après, Louis convertit en argent tout ce qu’il avait et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en vivant dans la débauche. Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à manquer de tout. Il se mit au service d’un des citoyens de ce pays, qui l’envoya dans ses champs pour y faire paître les cochons. Il aurait bien désiré se rassasier des caroubes que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait. Rentré en lui-même, il se dit : « Combien d’employés, chez mon père, ont du pain de reste, alors que moi, ici, je meurs de faim ? Je vais partir, j’irai chez mon père et je lui dirai : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes employés.” »
– Oncle Paul – Francis : « Je suis aussi éleveur, comme Bernard-Louis. Ça ne m’étonne pas de ce qui est arrivé à ce gamin. Trop d’amour rend la jeunesse exigeante et inconsciente. Résultat des courses : un grand gâchis de la fortune… et une vie foutue dans les conditions qu’on sait. Ah ! si on pouvait revenir en arrière… mais voilà… »
– Samuel le fromager – André : « On voit bien que Paul connait ses neveux, et surtout son frère qui doit digérer ce crève-cœur. Pour moi, acheteur de lait, il me semblait bien qu’il y avait anguille sous roche. Un peu moins discipliné avec l’heure du coulage et un lait plus sensible à travailler. Ah ! ces jeunes qui ont tout, jamais satisfaits de leur sort, quels égoïstes ! Enfin, c’est la vie… … élever des enfants, c’est comme fabriquer du fromage : même soin, même attention pour tous. Et voilà une pièce qui est fichue. Sans en connaître les vraies raisons… Là, c’est quelques francs de perdus… mais un ado qui déraille, quelle misère. Ce n’est pas la bourse qui en prend un coup, c’est les tripes ! Je connais Bernard-Louis, il a le cuir solide, il peut cacher sa peine. Mais la maman… c’est pour ça qu’on ne la voit plus : elle a honte comme si c’était de sa faute. Quand Louis se sera cassé les dents sur la dureté du monde, il reviendra sûrement pleurer à la maison… Mais dans quel état ! et quels dégâts dans l’équilibre familial ! Ah ! si ces jeunes étourdis connaissaient les conséquences de leurs actes, ils mettraient du plomb dans leur cervelle. Pour moi, j’ai la chance que le fils Bernard soit le pilier de l’exploitation, il va rapidement assumer sa place. Donc, pour ma production de fromages, pas de souci. Mais c’est malheureux pour cette famille. »
Il partit pour rentrer chez son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému ; il courut se jeter à son cou et l’embrassa. Louis lui dit : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. » Mais le père dit à ses esclaves : « Apportez vite la plus belle robe et mettez-la-lui ; mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Amenez le veau engraissé et abattez-le. Mangeons, faisons la fête, car mon fils Louis que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! » Et ils commencèrent à faire la fête.
– Valentin le voisin – René : « Vous entendez ce chahut ? C’est la fête, et une bien grande en plus ! Tout ça pour fêter le retour du cadet qui avait quitté sa famille dans des conditions intolérables chez nous ! Et mon voisin, presque un contemporain, que je croyais sensé, vous parlez ! Non seulement il a couru vers son vaurien de cadet – chez nous, y’a que les esclaves qui courent ! Par les chaleurs qu’il fait, les gens respectables, nous, on marche posément ! – mais ensuite, à ce qu’on a raconté à la laiterie, il l’a même pas grondé, son chenapan, il lui a rendu sa place de fils, sans condition ! Il aurait pourtant mérité qu’on lui remonte sacrément les bretelles, non ?! Même le jeune s’y attendait, à une « branlée » bien méritée ! Et il a été surpris par cet accueil. Et maintenant, la fête ! Ils vivent sur la tête, ces voisins, je n’aurais pas pensé ! Ça va jaser sec tout à l’heure, à la laiterie ! »
– Madeleine la voisine – Anna : « J’avais souvent ce sentiment de ne pas avoir réussi avec mon projet de l’expérience de la nouveauté, malgré le fait que j’avais acquis un diplôme en chimie après six ans d’études, un mari que j’appelais « mon prince de Galles », et mon travail chez Givaudan à Dübendorf. Après trois ans, nous avons trouvé du travail à Berne. Mon travail avec les brevets d’invention correspondait mieux à mon caractère, mais avec mon mari, les difficultés grandissaient. Mon rôle de « belle-mère » pour sa fille qui nous avait rejoint à l’âge de 12 ans et demi n’était pas facile, et la situation familiale devenait insupportable pour moi. Le divorce est venu, mais le chemin dans la détresse continuait. J’étais toujours convaincue que c’était possible de sortir de mes problèmes. Ce sont les chats, la musique et le travail dans un jardin qui avait été négligé qui m’ont aidé. J’ai commencé de jouer de la flûte à bec dans des cultes le dimanche, et j’ai été invité à travailler avec un groupe d’enfants qui intervenait dans les cultes en famille dans l’église de la Trinité de Berne. J’espère que Louis va aussi retrouver son équilibre intérieur après cette fête. »
Or l’ainé, Bernard était aux champs. Lorsqu’il revint et s’approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. Il appela un des serviteurs pour lui demander ce qui se passait. Ce dernier lui dit : « Ton frère est de retour, et parce qu’il lui a été rendu en bonne santé, ton père a abattu le veau engraissé. » Mais il se mit en colère ; il ne voulait pas entrer. Son père sortit le supplier. Alors il répondit à son père : « Il y a tant d’années que je travaille pour toi comme un esclave, jamais je n’ai désobéi à tes commandements, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je fasse la fête avec mes amis ! Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a dévoré ton bienavec des prostituées, pour lui tu as abattu le veau engraissé ! » Le père lui dit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ; mais il fallait bien faire la fête et se réjouir, car ton frère que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! »
– Valentin le voisin – René : « Vous voulez que je vous dise ? Sans même en avoir parlé à la laiterie, moi j’en viens à me dire que mon voisin, il est plus que spécial – moi qui croyais le connaître ! À son grand qui fait la tête rapport au petit qui revient en fanfare alors qu’il a été le contraire du bon gamin bosseur et tout, voilà que le père se plie en quatre pour tenter de réunir ses deux fils ! Là encore, soit c’est un père comme il faut, et il « emmène » le grand à la fête, parce que c’est sa volonté qui prime, et pas de discussion ; soit il comprend la position de son aîné et il le laisse tranquille, ruminer dans son coin jusqu’au lendemain, quand tout sera rentré dans l’ordre. Mais bon, rentrer dans l’ordre, on peut pas dire que c’est la devise de cette famille, ou bien ?! »
– Madeleine la voisine – Anna : « Mon père n’a pas pu nous réconcilier. Chacun restait dans sa vie choisie, la déchirure était visible mais l’origine n’était plus connue. Finalement, c’est mon frère qui a décidé de fêter. Il a invité beaucoup de personnes de sa parenté et des amis. Comme nos parents et frères étaient déjà décédés, j’ai voulu être présente à cette fête. Je savais que mon frère, malade, était à l’article de la mort, mais le revoir ainsi a été un choc pour moi. C’était pour lui un Adieu à tous ses invités, une joie de se revoir et une grande tristesse en même temps. C’était une vraie fête malgré tout. »