Prédication pour le 1er culte de Carême
8 & 9 mars 2025 – Môtiers et Les Bayards
Micha Weiss

Photo de Beyza Yalçın, Pexels
Lecture : Évangile de Luc 8,4-15
4De chaque ville, des gens venaient à Jésus. Comme une grande foule s’assemblait, il dit cette parabole : 5« Le semeur sortit pour semer du grain. Comme il semait, une partie des grains tomba au bord du chemin : on marcha dessus et les oiseaux les mangèrent. 6Une autre partie tomba sur un sol pierreux : dès que les plantes poussèrent, elles se desséchèrent parce qu’elles manquaient d’humidité. 7Une autre partie tomba dans les ronces qui poussèrent en même temps que les bonnes plantes et les étouffèrent. 8Mais une autre partie tomba dans la bonne terre ; les plantes poussèrent et produisirent des épis : chacun portait cent grains. » Et Jésus ajouta : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
9Les disciples de Jésus lui demandèrent ce que signifiait cette parabole. 10Il leur répondit : « Il vous a été donné de connaître les mystères du règne de Dieu ; mais aux autres gens, ils sont présentés sous forme de paraboles et ainsi « Ils ont beau regarder, ils ne voient pas ; ils ont beau entendre, ils ne comprennent pas. »
11Voici ce que signifie cette parabole : la semence, c’est la parole de Dieu. 12Certains sont au bord du chemin où tombe le grain : ils entendent, mais le diable arrive et enlève la parole de leur cœur pour les empêcher de croire et d’être sauvés. 13D’autres sont comme un sol pierreux : ils entendent la parole et la reçoivent avec joie. Mais ils ne la laissent pas s’enraciner, ils ne croient qu’un moment et ils abandonnent la foi quand survient l’épreuve. 14La semence qui tombe dans des ronces représente ceux qui entendent ; mais ils se laissent étouffer en chemin par les préoccupations, la richesse et les plaisirs de la vie, et ils ne donnent pas de fruits mûrs. 15La semence qui tombe dans la bonne terre représente les personnes qui écoutent la parole, qui la gardent dans un cœur bon et bien disposé, et qui portent des fruits grâce à leur persévérance.
L’image est claire, le sens l’est un peu moins
Un bon enseignant dit les choses de façon à ce qu’on s’en souvienne facilement. Et il faut dire que Jésus est un vrai maître de cet art. Il utilise des images claires, évidentes, de tous les jours pour nous faire réfléchir au sens de la vie, à Dieu, et à nos relations.
Dans notre texte, Jésus lui-même reconnaît que ce qu’il nous demande, ce n’est pas un exercice facile ! Ça demande une écoute particulière, comme on va le découvrir plus tard.
Dans ce sens-là, la réaction des disciples me rassure. Luc nous dit qu’ils demandent à Jésus ce que cette parabole signifie. Je m’imagine les disciples dire à Jésus : « Alors Jésus… Elle est percutante ton histoire des graines et des différents types de terre. Mais pourquoi tu nous racontes ça au juste » ?
Jésus fait une distinction ?!
À premier abord, la réponse de Jésus m’étonne. Il est en train de faire une sacrée distinction là ! « Il vous a été donné de connaître les mystères du règne de Dieu ; mais aux autres gens, ils sont présentés sous forme de paraboles » (Lc 8,10).
De qui est-ce que Jésus parle quand il parle des « autres gens » ? De la grande foule qui est venue de chaque ville pour voir et entendre Jésus ?
En tant que lecteur, on s’imagine rapidement les disciples prendre Jésus à part pour lui poser la question ! Mais c’est dit nulle part qu’ils lui demandent en privé ou qu’il leur répond en privé. En général, Jésus s’adresse à toutes les personnes présentes : les enseignements aux foules sont aussi adressés à ses disciples, comme les enseignements pour ses disciples sont adressé aux foules. Ça fait sens, parce que finalement, toutes les personnes présentes sont des disciples potentielles, et celles qui ont commencé à le suivre auront toujours besoin d’être instruites et formées.
Mais on n’a pas encore la réponse de qui pourraient être ces « autres gens »… Luc nous a déjà assez parlé de la carrière publique de Jésus pour deviner qui ils pourraient être : par exemple l’assemblée dans la synagogue de Nazareth qui veut jeter Jésus en bas d’une falaise (Lc 4,16-30), le pharisien qui invite Jésus chez lui et qui ne comprend pas du tout la manière dont Jésus agit (7,36-50), et un tas d’autres pharisiens et spécialistes des Écritures qui semblent convaincus d’avoir des choses bien plus importantes à vivre et à penser (7,31). Plus on avance dans l’Évangile de Luc, plus on va en rencontrer, des gens qui ne comprennent pas Jésus et qui le rejettent.
« Ils ont beau regarder, ils ne voient pas ; ils ont beau entendre, ils ne comprennent pas » (8,10).
Ces « autres gens », ça peut être nous
Mais attention ! Ces quelques exemples d’« autres gens » ne doivent pas nous leurrer. Ces « autres gens », parfois c’est nous. Ou en tout cas, ça peut être nous et on n’en est jamais loin – de choisir la haine, la violence et le rejet. Et ça me fait peur. De voir comment les discours de haine et de violence redeviennent de plus en plus normalisés aujourd’hui ! Aujourd’hui encore, on n’est pas à l’abri de vouloir clouer nos « ennemis » sur une croix.
Peut-être donc que Jésus avait des gens spécifiques en tête. Ou peut-être pas. Rappelons-nous comment Jésus enseigne : de façon à ce qu’on s’en souvienne. Ça doit être facilement mémorisable, percutant, et c’est encore mieux quand ça nous perturbe.
Dans quel type de sol est-ce que je me situe ?
Dans son enseignement, Jésus vient nous secouer dans nos croyances. Avant de chercher à voir où en sont les autres, Jésus nous renvoie à nous-mêmes (voir aussi la paille et la poutre – Lc 6,39-45). D’une part avec la question : de quel groupe est-ce que je fais partie – du « vous » ou bien de ces « autres gens », ou un peu des deux ? Et d’autre part, avec la question que j’aimerais qu’on se pose aujourd’hui : dans quel type de sol est-ce que je me situe ?
« Celui qui a des oreilles pour entendre (ce que la grande majorité des personnes ont), qu’il entende » !
La clé dans tout l’enseignement de Jésus, c’est l’écoute. Pour être encore plus précis, c’est la manière dont on écoute.
Et le signe d’une écoute authentique – le signe d’une bonne terre – c’est que non seulement les graines s’enracinent et poussent en profondeur, mais que ces graines finissent aussi par porter des fruits – des actions pour les autres dans la même veine que Jésus. Ces fruits, ils poussent avec le temps – il faut être patient·e, tenir bon, persévérer. Il n’y a pas de raccourcis, et l’enthousiasme ne mène qu’à un certain point.
L’écoute authentique, que Jésus nous invite à apprendre, elle conduit à la foi, et la foi conduit à des actions qui sont cohérentes avec la parole de Dieu.
Dès le début de son explication de l’histoire, Jésus nous rappelle que tout n’est pas entre nos mains – c’est le point « rassurant » avec le diable (8,12 – qui l’eut cru que le diable pouvait être rassurant). Il y a certaines forces qui nous dépassent, qui agissent contre nous et qui empêchent les graines de pousser en nous. Prendre conscience de ces forces nous aide à reconnaître que tout ne dépend pas de nous. Ça nous donne le courage de reconnaître nos limites et nos incohérences et de demander de l’aide – c’est entre autres pour ça que Jésus est venu et qu’il nous accompagne sur notre chemin de vie. « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal ».
Carêmes, un temps pour se re-situer
Il y a donc une part qui nous dépasse. Mais on a aussi une part de responsabilité, un rôle à jouer !
Depuis mercredi, nous sommes entré·e·s dans Carême, les 40 jours pour se préparer intérieurement à Pâques. 40 jours pour ralentir, pour laisser notre âme rattraper notre corps, pour remettre au jour le puits.
C’est un temps où on est chacun·e invité·e à écouter notre cœur et à réfléchir à notre terre.
Quelles pierres pèsent sur mon terrain : des soucis et épuisements, des épreuves qui me font douter, du sarcasme et du cynisme qui m’endurcissent le cœur ?
Quelles sont les ronces qui m’étouffent : des habitudes qui m’encombrent, des plaisirs qui ne me rendent pas heureux·se au final, un besoin de sécurité et de contrôle qui m’éloigne de Dieu et des besoins des autres ?
Par rapport à ces cailloux et ces ronces, il y a des choses que je peux entreprendre concrètement.
On a chacun·e été invité·e à réfléchir : Sur ces prochains jours jusqu’à Pâques, comment est-ce que je veux concrètement prendre soin de ma terre intérieure et en même temps de la terre que j’habite avec les autres ?
Qu’est-ce que je peux enlever et désencombrer de mon quotidien ? Où est-ce que je peux décroître dans ma consommation et dans mon impact sur l’écologie ?
Et aussi, qu’est-ce que je peux faire grandir dans ma vie qui m’aidera à écouter – écouter la parole Dieu qui murmure dans mon cœur et écouter la beauté et les besoins de la Création, des autres comme les miens ?
Comment est-ce que vous voulez vivre ces 40 jours de Carême ? C’est ce à quoi je vous invite à réfléchir maintenant, tranquillement chez vous.
Notez-vous vos idées sur un bout de papier ou un cahier, et discutez-les avec Dieu dans la prière. Peut-être que Dieu Lui-même vous murmurera certaines de ses intuitions…
Soyons à l’écoute et laissons-nous surprendre !