Tu me verras de dos !

Cultes des 8 et 9 février 2025

Prédication de Sébastien Berney

Lectures :  Exode 33, 17-23 et Mathieu 28, 16-20

Étrange texte. Qui est ce Dieu qui refuse de se montrer de face ? Qui est ce Dieu qui reste caché devant la demande pressée des hommes ? Ce Dieu, c’est le Dieu de Moïse, donc le nôtre… Comme Moïse, nous sommes parfois à bout, nous en avons marre, et comme Moïse nous avons souvent envie de dire, ou même de hurler : ô Dieu, montre-toi une fois pour toutes, que l’on en finisse avec ce jeu de cache-cache…

Ô Dieu, montre-toi une fois pour toutes !

C’est peut-être ainsi que nous pourrions résumer cet épisode du dialogue entre Moïse et Dieu.

Moïse demande à Dieu de lui montrer sa face, sa gloire, sa présence manifeste ; bref, Moïse a envie de voir Dieu, de pouvoir lui poser des questions, et surtout de recevoir des réponses, comme vous et moi dans bien des cas ! On peut imaginer que la réponse de Dieu, n’engendre que de la déception chez Moïse… « Tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir » !

Déception amplifiée par le fait que tout n’est pas rose dans notre histoire. Pour Moïse tout d’abord, souvenons-nous un instant du parcours éprouvant qu’il vient d’endurer : une sortie d’Egypte éprouvante, un buisson énigmatique, un peuple rebelle, un veau d’or… Le chemin est semé d’embûche. Pour vous et moi ensuite : soucis familiaux, soucis financiers, soucis sur le sens de notre vie, soucis sur notre avenir et surtout sur la façon de le construire… Et que dire des soucis de notre monde : lui qui va si mal, lui qui s’embrase ou qui s’endort, lui qui ne croit plus en rien, qui prend peur et se referme sur lui-même, lui qui ne croit plus en l’avenir. Ce que nous dit le texte c’est bien que l’homme ne peut voir de Dieu que les conséquences de son passage, comme s’il le voyait de dos !

Mais voilà, que ce soit pour Moïse, pour nous ou pour le monde, c’est la déception, la face de Dieu nous est refusée. On peut alors se poser la question suivante : Dieu n’a-t-il pas compris que sa présence manifeste était plus que recommandable à notre époque, comme à celle de Moïse également ? Mais voilà :« Tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir » !

J’imagine qu’en demandant à Dieu : « Fais-moi donc voir ta gloire », Moïse a dû se dire : Si seulement cela pouvait marcher cette fois. Ah si seulement…

            Si seulement le monde allait mieux…

            Si seulement la vie était plus facile…

            Si seulement…

Faut-il en rester là ? Dieu nous tourne-t-il le dos définitivement ? Ou alors l’idée que sa présence puisse être manifeste et positive n’est-elle pas tout simplement un mensonge ou une tromperie ?

N’y a-t-il pas autre chose qu’une tromperie dans cette face refusée et ce dos donné comme un os à ronger en attendant mieux la prochaine fois. Déception il y a, mais est-elle vraiment le bout du chemin ?

« Tu me verras de dos, mais ma face, on ne peut la voir ».

En pensant au mot dos, deux souvenirs vécus me sont revenus à l’esprit. Le premier prend place dans le cadre de la randonnée à ski en haute montagne. Décors sublimes, mais sueur et fatigue… Après une demi-heure d’effort, je suis déjà vanné, et il ne reste plus qu’environ six heures de montée… Entre le regret d’être là et l’envie d’atteindre le sommet, mon regard se fixe sur un dos, celui du guide qui est devant moi. C’est ce dos qui m’empêche de m’arrêter, qui me pousse en avant, qui me guide, qui me dirige, sans lui je suis perdu… Joli souvenir, mais bon, cela peut-il me suffire. Ici et maintenant, cela est-il suffisant…

Le deuxième est un souvenir de vacances, il y a une vingtaine d’années en Bolivie. L’altiplano, une immense plaine située à plus de 4000m d’altitude entre les deux cordillères… Un ciel bleu d’une grande pureté, un vent glacial, une terre aride où rien ne pousse si ce n’est quelques patates…  Et dans ce décor un peu surnaturel avec des sommets enneigés à plus de 6500m d’altitude, des femmes campesinos (des paysans des montagnes) marchant vers je ne sais où… Dans leurs dos, des enfants tenus et emmitouflés grâce à des couvertures, mais dormant comme des bienheureux, bien au chaud… Un dos sur lequel on a confiance, un dos solide comme la pierre, un soutien, un support pour aller de l’avant malgré le froid ! Un dos qui vous porte vers l’avenir… Mais voilà, je ne suis plus un enfant, et de plus, je ne suis pas bolivien…

« Tu ne peux voir ma face, car l’homme ne saurait me voir et vivre » !

Pourtant, avec mes deux souvenirs, l’on pourrait rajouter : la vue d’une face qui tue ; la vue d’un dos qui ouvre un avenir, qui soutient, qui ouvre une promesse…

Arrêtons-nous et réfléchissons. Je me pose une question. Dieu ne serait-il pas en train de m’utiliser pour vous faire avaler la pilule ? Possible… Mais un autre possible est le suivant : et si ce dos offert gratuitement ne pouvait-il pas transformer mon « si seulement » (le si seulement du début) en un « malgré ». Passer du si seulement au malgré. Croire malgré le fait que je ne puisse pas tout expliquer… Croire malgré le vide laissé par Dieu… Croire malgré le mal comme l’a dit un jour le philosophe Paul Ricœur… Dieu a dévoilé sa présence en se manifestant de dos à Moïse. De cette manière, Dieu me soutient, m’ouvre un avenir, mais garde son secret.

Ce « malgré » ne doit pas être compris comme un échec, mais bien plutôt comme un élan vers l’avenir. Après son dialogue avec Dieu, Moïse a sûrement dû le penser, Dieu garde son secret, mais lui doit continuer son chemin. Job, également, croit malgré, malgré les mystères de la souffrance. Pouvons-nous, nous, ici et maintenant, dire que nous croyons en lui malgré le fait qu’il ne se manifeste pas selon nos volontés humaines. C’est là ma foi et je m’y accroche. Sommes-nous capables de dire ces paroles, tirées de la confession de foi que nous allons réciter ensemble après, pouvons-nous la faire vraiment nôtre :

« Je crois en Dieu malgré son silence et son secret. (Pas facile)

Je crois qu’il a fait le monde pour le bonheur et pour la vie. (Encore moins facile)

Malgré les limites de notre raison et de notre cœur, je crois en ce Dieu-là, Père de Jésus-Christ, notre Dieu. »

Croire malgré, croire et avancer dans le dos de celui qui nous précède, c’est peut-être là une première chose à retenir du texte qui nous habite en ce moment. Mais cela est-il suffisant ?

Le doute pourtant reprend le dessus. Ce « malgré » est-il libérateur ou manipulateur ? Ne suis-je pas en train d’essayer de me rassurer bêtement face à ce qui me fait peur, face à mon entourage angoissant ? Reprenons la suite de la confession de foi citée avant :

« Je crois en Jésus-Christ.

Malgré les siècles qui nous séparent de sa vie terrestre, je crois en sa parole.

Malgré son échec et son humiliation, je crois qu’il n’est pas mort pour rien.

Malgré nos incompréhensions et nos refus, je crois en sa résurrection. »

Voilà autre chose. Ne serait-ce pas la face de Dieu qui nous est dévoilée dans la figure de Jésus-Christ. En nous rejoignant dans notre humanité par Jésus-Christ, Dieu nous dévoile un aspect de sa gloire, un aspect de sa face, celui qui nous touche le plus, celui de la faiblesse et du pardon. Dieu le dit bien à Moïse, si tu vois ma face, c’est la mort qui t’attend. Accepter ma faiblesse et le fait d’être pardonner, n’est-ce pas une sorte de mort, la mort d’une certaine vision de l’homme tout puissant.

Suis-je prêt à accepter cette face, cette face d’un Dieu qui donne son fils pour me racheter ? Dans le message de la croix, Dieu me propose peut-être son vrai visage… (Cette face de faiblesse et de pardon qui aurait peut-être tué Moïse).

Peut-être… Qui peut être sûr de reconnaître quelqu’un en le voyant de dos ? Un dos est signe d’anonymat… La face, quant à elle inscrit son porteur et le sort de l’anonymat ! Sommes-nous capables de reconnaître Dieu dans le visage du Christ crucifié ? C’est là que la foi entre en action… Notre foi, celle qui nous réunit aujourd’hui !

En ce début de nouvelle année, souvenons-nous de la femme campesino, du guide de randonnée ; l’énigme de la face de Dieu, de sa présence dans notre vie ne s’est pas volatilisée pour autant… Pourtant, à la lumière du message de la croix, mon « si seulement » s’éclipse, et mon « malgré » s’en trouve alors enrichi. Enrichissement qui porte en son sein un nouvel élan, un nouvel espoir et une nouvelle promesse pour mon existence tout entière.

Cette nouvelle promesse nous en avons le reflet dans le texte de l’évangile que nous avons lu. « Je vais être avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

À la question de la présence manifeste de Dieu que nous nous posons, Christ a répondu par la croix. À l’aide de cette lumière sur nos existences, c’est avec un « croire malgré » nourrit d’espoirs que nous pouvons suivre le dos de Dieu…

                                                           Amen

Confession de foi :

Je crois en Dieu, malgré son silence et son secret.

Je crois qu’il a fait le monde pour le bonheur et pour la vie.

Malgré les limites de notre raison et de notre cœur, je crois en ce Dieu-là, Père de Jésus-Christ, notre Dieu.

Je crois en Jésus-Christ.

Malgré les siècles qui nous séparent de sa vie terrestre, je crois en sa parole.

Malgré son échec et son humiliation, je crois qu’il n’est pas mort pour rien.

Malgré nos incompréhensions et nos refus, je crois en sa Résurrection.

Je crois en l’Esprit de Dieu, insaisissable et surprenant comme le feu, le vent et l’eau.

Qui germe au plus secret de l’être humain et qui surgit au cœur des foules.

Il est dans la brise légère et dans les tempêtes qui soulèvent qui soulèvent les groupes pour réclamer la justice.

Il est sève d’amour qui ouvre les yeux et délie les langues, vie débordante qui nous rassemble, créateur de liberté, garant de vérité.

L’église des baptisés est une, sainte et ouverte à toute personne qui vient.

Elle est composée de membres qui tombent et qui, chaque fois, se remettent debout, grâce au pardon, à l’amour de Jésus et l’espérance en son retour.

En cette Eglise-là, je crois.