Un drôle de type, qui me ressemble un peu ! 

Cultes des 16 et 17 novembre

Môtiers et La Côte-aux-Fées

Lectures : Jonas 1,1-3 ; 3, 1-3 et Jonas 3,10 – 4,11

Message

De Sébastien Berney

Un tout petit livre dans la Bible… Une toute petite histoire (dont nous avons lu une bonne partie), mais qui me parle, moi, être humain du XXI siècle. Dans une première lecture du récit, je me dis la chose suivante : drôle de type ce Jonas. Drôle dans tous les sens du terme… Drôle parce qu’il me fait rire… Drôle parce que comme nous le verrons, c’est un tout malin… Drôle de type parce que si je regarde au fond de moi-même, j’ai un peu l’impression que je lui ressemble à ce Jonas…

Eh oui, moi, Jonas me fait rire, ou en tout cas sourire… Je l’imagine en train de partir en courant alors qu’il vient de recevoir une mission de la part de son dieu. Plus que courir, je le vois sprinter… Mais vous savez, sprinter en zigzag, en essayant de se cacher sous chaque arbre, en espérant que son dieu n’arrive pas à suivre sa trajectoire… Il sprint jusqu’à la mer, et là, hop, il saute dans le premier bateau qu’il voit… Objectif : partir, mais alors, partir très loin, très loin des ennuis et des soucis qui lui enveniment l’existence… partir très loin de ses responsabilités…

Ensuite, j’imagine encore Jonas sous l’ombre de son arbre… c’est le moment farniente de l’histoire… Une ombre réparatrice de toutes ces aventures… Une ombre bien méritée… Si l’histoire était à réécrire je verrais bien Jonas sur une chaise longue à siroter un petit cocktail… Et voilà que l’ombre disparaît et que l’arbre se dessèche, et qu’il commence à faire vraiment chaud, non, torride… C’en est trop pour Jonas… Si nous étions dans une bande dessinée, je verrais bien l’image d’un petit bonhomme bougon et transpirant, les points sur les hanches, avec un gros nuage noir au-dessus de la tête, le nuage représentant son humeur présente…

Comme je l’ai dit au début, Jonas me fait rire, mais il me semble aussi être un homme très malin et intelligent. Ne dit-il pas à la fin : « ah, Seigneur, voilà bien ce que je craignais »… Car sous ses airs fuyants, Jonas avait déjà imaginé le pire : son dieu est trop bon… Ce qu’il m’a dit de proclamer ne prendra jamais racine dans la réalité… Dieu va de nouveau pardonner, alors moi, je préfère fuir plutôt que de passer pour le nigaud de service… Jonas anticipe bien les événements. Le résultat de ses calculs lui montre que la meilleure solution pour préserver son honneur et son identité est dans la fuite… Nous reparlerons de cela…

A la fin de cette première lecture, que me reste-t-il ? Un Jonas qui me fait rire, un Jonas qui fuit devant la parole qui lui est adressée, un Jonas bougon et énervé par ce qu’il lui arrive, un Jonas qui calcule pour se protéger… Bref, ce Jonas est bien humain, trop humain peut-être… l’humanité de Jonas me frappe, elle me rejoint et me touche… Car dans son humanité, Jonas me rejoint… son humanité rejoint la mienne… Ce Jonas, en fait, me ressemble beaucoup sur bien des points…

Le récit de Jonas… Je pense que vous le connaissez tous… Si ce n’est pas le cas, je vous le conseille… Prenez une fois une quinzaine de minutes, cela en vaut la peine…

Que faut-il retenir de ce message ? Certains y verront le récit d’un miracle fabuleux… Un homme engloutit par un poisson et ensuite miraculeusement recraché sur la plage, cela sous l’impulsion de son dieu… Vient alors la question de la rationalité, cela est-il possible scientifiquement ? Ou alors vient la question biologique, mais quelle sorte de poisson peut donc avaler un homme tout rond…

Pour moi, le récit de Jonas n’est pas l’histoire d’un homme face à un poisson, mais bien plutôt l’histoire d’un homme face à une parole, une parole qui vient de Dieu…  Mon intérêt n’est pas focalisé par la faisabilité du récit en tant que tel, mais bien plutôt par la rencontre d’une parole et d’un homme. C’est cette rencontre qui me parle, qui parle à mon existence… Une rencontre d’où émergent chez Jonas les réactions telle que la fuite, le calcul, la colère, la bouderie, l’envie de se protéger, l’acceptation… Bref, toutes ces réactions, je les vis dans mon quotidien, et je pense que vous aussi…  Alors, arrêtons-nous un moment sur certaines de ces réactions et gardons le poisson pour notre repas du vendredi…

« Debout, pars pour Ninive, la grande ville. Prononce des menaces contre elle, car j’en ai assez de voir la méchanceté de ses habitants. » Face à cette parole reçue, l’option prise par Jonas est celle de la fuite… Pourquoi ? Par peur de prêcher dans cette immense ville pour l’époque, Ninive (trois jours à pied pour la traverser, certains parlent de 120000 habitants) ! Peut-être… Parce qu’il pense que Ninive est trop corrompue pour être sauvée… Peut-être aussi…  De mon côté, la raison de cette fuite s’explique plus loin : « Ah, Seigneur, voilà bien ce que je craignais lorsque j’étais encore dans le pays et ce pourquoi je me suis dépêché de fuir vers Tarsis ».  Jonas à peur pour son identité… Il refuse de trahir les siens en proclamant la parole de Dieu aux ennemis de sa nation. Je rappelle ici que Ninive est une ville étrangère et païenne aux yeux d’Israël. Ce refus est donc lié à l’attachement pour son peuple, à l’attachement pour son identité profonde. Jonas est scandalisé à la pensée que Ninive la sanguinaire puisse échapper au châtiment qu’elle mérite…  Jonas craint la réussite de sa mission… Le mystère de la bonté de Dieu lui échappe, ou plutôt l’énerve… Alors il fuit… il n’est pas question que les autres profitent de ce que lui il mérite… Jonas vit une crise d’identité… Lui, membre du peuple élu se voit assigner la mission de parler aux païens et par la même occasion, vu la bonté de son Dieu, de les sauver… C’est trop pour lui, trop pour son identité profonde…

Alors en voyant cette réaction de Jonas, je pense à moi… Quelle est mon identité ? Suisse, Neuchâtelois de cœur, chrétien, réformé… Que suis-je prêt à faire pour les défendre… Que ce soit au niveau spirituel, politique ou sociologique, l’autre mérite-t-il de partager les bons côtés de mon identité ? Jonas me parle, parce que moi aussi, je cherche à protéger mon identité, mon bonheur n’est pas forcément partageable… Deux exemples me viennent à l’esprit ici : les matières premières que j’utilise tous les jours, et … mon salut… Deux choses bien différentes mais pour lesquels, si je suis sincère avec moi-même, le syndrome de Jonas prend souvent forme chez moi…

Pour Jonas, la vocation finira par prendre le dessus sur l’identité… Mais le chemin fut pénible… Marqué par la fuite, la colère et pour finir la transpiration… Et c’est dans sa vocation que Jonas va se réaliser, trouver un sens à son existence…  Alors pour moi et pour vous, posons-nous la question… Où se trouve la bonne proportion entre la défense de mon identité et ma vocation de chrétien qui se veut être rencontre de l’autre… Cette question, je vous la laisse…

Un deuxième acteur est très important dans le livre de Jonas, cet acteur, c’est Dieu. Un des aspects du vrai visage de Dieu nous est révélé ici. Dans un sens, le Dieu d’Israël devient le Dieu de tout le monde… Ce paradoxe est d’ailleurs insoutenable pour notre ami Jonas. Ce paradoxe est le fait que le Dieu d’Israël prend soin de tous les hommes et qu’il les appelle tous au salut. Historiquement, le regard de pitié que le Seigneur a porté sur la maison d’Israël s’étend désormais de la même façon aux païens. Dieu prend également pitié des païens… Cette révélation, Jonas a beaucoup de peine à la faire sienne… Comme tout homme, comme nous, l’esprit de Jonas avait posé des limites humaines à la miséricorde de Dieu… Ces limites viennent de se briser… Dieu a pardonné à Ninive la sanguinaire, cette ville qui était le lieu de tous les désordre…

Et maintenant, réfléchissons pour nous… Que représente pour nous, aujourd’hui, Ninive la sanguinaire… Je crois que nous avons tous notre Ninive personnelle… Même parfois notre Ninive collective… C’est peut-être oublier le vrai visage, ce visage que, comme Jonas, nous avons parfois de la peine à accepter, ou plutôt de la peine à imaginer… Je crois que ce qu’il nous faut retenir de l’histoire de Jonas, c’est que Dieu reste toujours à découvrir, et son amour pour les hommes dépasse notre imagination…

Pour finir, j’ai envie de vous relire la petite parabole de la fin, elle est belle, et je crois, elle dit tout :

« Ecoute, cette plante ne t’a donné aucun travail, ce n’est pas toi qui l’as fait pousser. Elle a grandi en une nuit et a disparu la nuit suivante. Pourtant tu en as pitié. Et tu voudrais que moi, je n’aie pas pitié de Ninive, la grande ville où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ignorent ce qui est bon pour eux, ainsi qu’un grand nombre d’animaux ?

Amen