Marc 1, 14-20 (Trad. Nouvelle Français Courant, 2019)
Après que Jean eut été mis en prison, Jésus se rendit en Galilée ; il y proclamait la bonne nouvelle de Dieu. « Le moment favorable est venu, disait-il, et le règne de Dieu est tout proche ! Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle ! » Jésus marchait le long du lac de Galilée, lorsqu’il vit Simon et son frère André ; ils étaient en train de jeter un filet dans le lac car c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez à ma suite et ce sont des êtres humains que vous pêcherez. » Aussitôt, ils laissèrent leurs filets et le suivirent. Jésus s’avança un peu plus loin et vit Jacques, le fils de Zébédée et Jean, son frère. Ils étaient dans leur barque et réparaient leurs filets. Aussitôt Jésus les appela ; alors ils laissèrent leur père Zébédée dans la barque avec les ouvriers et partirent à sa suite.
Sources :
E. Trocmé, L’Evangile selon saint Marc, Genève, Labor et Fides, 2000.
Fr. John, Metanoia. La grammaire de la vie chrétienne, Taizé, Les Presses de Taizé, 2021.
Chers amis venus d’ici et d’ailleurs,
C’est en fait un condensé d’Évangile que nous livre le passage que nous venons d’entendre. C’est en fait un essentiel que l’auteur de l’évangile souhaite nous transmettre par ces quelques lignes. Alors cela annonce quelque chose de dense, et nous allons prendre cette densité au sérieux. J’espère seulement ne pas vous perdre en route, mais nous allons y aller pas à pas.
Voilà que se trouvent reliées par le fil du temps plusieurs réalités. Il y a celle de Jean le Baptiste, qui représente ici tout ce qui a précédé Jésus. Il y a la réalité de Jésus lui-même, le présent du texte. Puis celle des premiers disciples à suivre Jésus, eux resteront apôtres après lui. Enfin, il y a la réalité des lecteurs dont nous sommes. Ce fil du temps nous permet de prendre nous aussi au sérieux ce qui va suivre, puisqu’il nous place dans la suite logique des événements.
« Après que Jean eut été mis en prison, Jésus proclamait la bonne nouvelle de Dieu : ‘Le moment favorable est venu, disait-il, et le règne de Dieu s’est approché ! Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle !’ Puis il vit Simon, André, Jacques et Jean il leur dit : ‘Venez à ma suite’. Aussitôt, ils laissèrent leurs filets et le suivirent. »
Arrêtons-nous un moment sur le contenu que proclame Jésus. « Le moment favorable est venu… le règne de Dieu s’est approché » : Quelle bonne nouvelle ! Il y a 2000 ans, comme pour nous, savoir qu’au milieu d’un monde barbare et si violent, le règne de Dieu, un ordre des choses différent, un monde différent, basé sur le commandement d’amour, qu’un tel Royaume s’est approché, c’est une véritable Bonne nouvelle. Mais, devaient penser les disciples, ce règne de Dieu, où est-il ? On ne le voit pas tellement à l’œuvre… Des gens continuent à mourir par la faute d’autres, les guerres continuent malgré tous les efforts entrepris pour la paix, et malgré les promesses d’amélioration, des gens continuent à dormir dehors et à avoir faim.
Difficile à comprendre, donc, ce que signifie l’affirmation comme quoi le Royaume s’est approché. On est ici dans une subtilité de l’Evangile. Non, il n’est pas dit que le règne de Dieu est simplement là, comme un événement qui a eu lieu et qui serait une réalité depuis lors complètement présente.
Dans notre texte, le règne de Dieu se présente d’une manière particulière. C’est comme si le Royaume de Dieu se tenait désormais là, tout proche, comme prêt à surgir. Une réalité constamment en train de vouloir faire irruption. De même, lorsqu’il est écrit que le moment favorable est venu, ce n’est pas à comprendre comme si c’était une chose arrivée une fois pour toute, il y a 2000 ans. Ce moment décrit comme favorable à l’émergence du Royaume est, lui aussi, comme accessible de manière permanente. Le théologien Paul Tillich en parlait en disant que ce qui doit advenir, ce qui doit arriver est dans un état d’« éternel maintenant ». Quelque chose semble donc, pour les premiers disciples comme pour nous, toujours sur le point de faire irruption dans la vie…
Face à cette nouvelle réalité que Dieu met en quelque sorte « à notre disposition », cette irruption du Royaume, comment réagir ? Etrange réponse de Jésus, qui passe tout à coup à l’impératif : « Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle ».
Changer de vie. Le fait de changer de vie, en grec, c’est la métanoia. Littéralement, la métanoia exprime un changement d’avis, un changement de regard, un changement intérieur profond.
Changer de vie… cela a de quoi faire peur, et cette parole de Jésus a conduit à plusieurs mauvaises interprétations au cours de l’histoire.
Pourtant, la métanoia, le changement de vie que demande Jésus n’est ni de l’ordre d’un repentir aveugle, qui serait une sorte d’autoflagellation, ni de celui d’une conversion saisissante et instantanée. En réalité, et l’évangéliste le souligne, on ne peut changer que si l’on reconnaît par la foi que Dieu nous donne quelque chose de neuf.
J’ai toujours admiré la fluidité de ce récit avec Simon et André. En quelques lignes, cela semble si limpide, si évident : Jésus vient, leur demande de le suivre. Ils se lèvent et, là où ils en sont et tels qu’ils sont, ils le suivent.
Il faut une sacrée dose de foi pour se lever, abandonner les filets, qui représentaient toute leur vie et suivre Jésus. C’est là que l’on comprend que la foi que demande Jésus n’est autre qu’une confiance.
« Changer » de vie et « croire » en la Bonne nouvelle ne s’articulent qu’ensemble. Changer de vie n’a de sens que pour « aller vers », pour se mettre en mouvement, pour aller de l’avant. « Le moment favorable est venu, et le règne de Dieu est tout proche ! »… Si cela prend corps dans notre vie, si une confiance naît, jour après jour, quelque chose qui dirait que non, tout n’est pas fini, mais que la promesse de Dieu de toujours encore nous donner quelque chose de neuf devient vraiment une bonne nouvelle, vivante, alors, et alors seulement nous pourrons changer radicalement de vie.
Voilà en quoi consiste la foi que Jésus nous demande. Changer de vie, c’est comprendre en quoi il y a une bonne nouvelle pour moi et pour les autres. C’est découvrir comme une réalité intime la vie que Dieu est pour nous. C’est refuser de sombrer dans le pessimisme ambiant. C’est tout autant refuser un optimisme naïf qui fait office d’œillères posées sur les yeux face au mal dans le monde. Ce que nous demande, ce que nous ordonne Jésus, c’est d’avoir confiance.
Et c’est là un véritable changement de vie, une véritable métanoia qui se met au programme. Alors j’aimerais nous inviter dans ce mouvement, nous inviter à oser cette confiance qui voit au-delà, qui voit plus loin et qui rompt avec l’immobilité et la peur. Avoir confiance aussi en la force créatrice de Dieu, qui cherche encore et encore à faire irruption dans nos vies. La confiance, qui n’est autre que la foi, c’est cet élément fondamental sans lequel les premiers disciples ne se seraient probablement jamais levés.
Comment puis-je garder le lien vivant avec le Christ qui m’annonce un monde nouveau ? Comment puis-je, dans ma vie, changer de regard, aller vers la confiance ? Comment puis-je, autour de moi, témoigner un peu de ce règne d’amour ? Comment, pour répondre à Jésus, puis-je accueillir ce qui toujours se propose, mais jamais ne s’impose ?
Voilà quelques-unes des questions que nous pose ce texte. A nous de jouer. Dans la continuité de Jean, Jésus, des disciples, c’est à nous que revient la tâche d’accueillir la nouvelle comme une « bonne » nouvelle. Amen !