Prédication pour la journée de reconnaissance de l’engagement bénévole dans l’Église

Culte du 8 septembre 2024 à Couvet – Francine Cuche Fuchs

NB : Cette prédication est largement inspirée d’une réflexion de Michel Cornuz, pasteur à l’Église française de Bâle.

Depuis des mois, suite à la demande de Martine de participer à cette célébration, je pense à la journée que nous vivons, je l’imagine !!

J’ai eu le temps d’éplucher divers articles ou réflexions sur le thème de l’engagement dans l’Église, du bénévolat.

J’ai reçu aussi des conseils (bienveillants bien sûr !) pour m’adresser au mieux à l’assemblée présente au moment de la prédication : Moi, je serais toi, je parlerais de ceci ou de cela, je ferais comme ceci ou comme cela !

Alors…  j’ai quand même fini par réaliser l’enjeu sérieux qu’il y a à apporter une prédication aujourd’hui.

Quelle responsabilité de m’adresser à vous tous·tes qui vous engagez de 1000 façons pour que l’EREN vive.

Mon Dieu, pourvu que je ne fasse pas courir le risque à mon Eglise de perdre encore quelques forces au terme de mon message ??

Mais Seigneur, est-ce que je ne suis pas surtout en train de m’égarer ? De me mettre la pression inutilement ? De mal saisir le pourquoi de leur/de notre présence ici aujourd’hui ?

Voici une journée, une rencontre, une fête qui n’ont pas pour but de nous auto-rassurer, auto-féliciter, auto-proclamer, mais de nous retremper dans la reconnaissance à l’égard de Dieu, le Premier Grand Bénévole de la Vie et dans la reconnaissance à l’égard de chacun·e.

De nous retremper aussi dans la vocation, l’appel que nous avons reçus à être Eglise, une Eglise qui ne se préoccupe pas uniquement de son devenir, pire de sa survie, mais d’accomplir ce pour quoi elle est.

J’ai entendu durant l’été notre président Yves Bourquin utiliser l’image du désert pour décrire la situation de l’EREN, actuellement confrontée à des changements inévitables, à un manque des ressources, s’efforçant de mutualiser des tâches, bref, vous savez…

Alors je vous propose de méditer justement un texte où Jésus n’est pas tout à fait au désert, mais dans un lieu désert…

Nous lisons dans l’Evangile de Matthieu au chapitre 14, les versets 13 à 20.

Jésus se retira de là vers un lieu désert…

Cette indication au début du récit n’est pas neutre.

Le désert ou le lieu désert, c’est important dans la Bible. En effet, par définition il n’y a rien, c’est vide, pas de distraction et c’est justement là qu’il se passe quelque chose : une rencontre, une parole, un événement, une promesse qui peuvent avoir des résonances pour nous encore aujourd’hui.

Ici, dans cette histoire, le lieu désert est d’abord le lieu du retrait de Jésus, juste après avoir reçu la nouvelle de la mort de Jean.

C’est le lieu du deuil, de la tristesse face à ce qui a été et qui n’est plus, mais aussi certainement un lieu propice pour prendre du recul, pour reprendre des forces ou pour une prise de décision importante.

Mais, on le sait, le désert (parce qu’il est vide et nous renvoie à nous-mêmes) peut aussi être un lieu de confrontation avec quelques démons, le lieu des tentations.

Alors, nous vient vite en mémoire le fameux récit où Jésus, juste après son baptême est conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté !

Et parmi les 3 tentations que Jésus va vivre, il y en a une qui entre en écho avec cette histoire de multiplication des pains, c’est la tentation de transformer des pierres en pains pour subjuguer les foules et avoir un pouvoir sur elles.

Jésus, dans ce désert-ci, dans cette histoire-ci, aurait-il succombé à la tentation ?

En réalité, la manière de raconter le miracle va nous indiquer qu’il ne s’agit pas tant de l’acte magique d’un surhomme, rendant les foules dépendantes de lui,… non, le miracle est ailleurs.

Avant d’aller plus loin, encore une remarque concernant les personnages présents dans notre histoire. Notons bien ce paradoxe : dans ce lieu désert, Jésus n’est pas tout seul : il y a d’une part la foule qui l’y précède et d’autre part les disciples qui l’accompagnent.

La foule d’abord.

Quand il la voit, Jésus a compassion d’elle.

C’est un terme très fort, la compassion.

Nous avons là exprimé le cœur du ministère de Jésus : la compassion ou la souffrance partagée avec ceux·celles qui sont démunis, mis de côté, blessés par la vie, méprisés par les autorités religieuses et j’en passe…

Un peu plus haut dans l’Evangile (fin du chapitre 9), il nous est déjà dit que Jésus a compassion des foules, parce qu’elles étaient comme des brebis sans berger, désorientées, harassées.

Et tout de suite après cette description, Jésus institue le groupe des 12 disciples, comme s’il voyait clairement que pour accomplir sa tâche, il ne doit pas être seul, mais constituer une «équipe» qu’il intègre dans son ministère, une équipe de bénévoles.

En somme, l’Eglise ne naît pas seulement à la Pentecôte, mais c’est ici déjà une réalité voulue par Jésus.

La compassion de Jésus se manifeste, durant tout son ministère, par des rencontres, par des guérisons, par des paroles qui restaurent la personne, qui nourrissent spirituellement… et ici, elle va se manifester par le partage du pain qui nourrit physiquement.

Pour cela, Jésus ne veut donc pas agir seul, il va mettre les disciples à l’ouvrage. Nous sommes en train de nous approcher du cœur du miracle et du sens qu’il peut encore et toujours avoir pour nous qui sommes engagés dans l’Église.

Ce récit, ce n’est pas le reflet d’un acte solitaire pour éblouir ou dominer, mais Jésus fait entrer les disciples dans cette compassion pour les foules et va leur donner les moyens d’agir à partir du peu qu’ils ont, du peu qu’ils sont !

Alors, observons maintenant la figure, le comportement des autres personnages importants de ce récit : les disciples.

Voici des hommes bien, réalistes, sensibles et aussi responsables : ils viennent vers Jésus pour le rappeler à l’ordre en quelque sorte, le rappeler à la réalité, à l’heure qu’il est : «Jésus, il se fait tard, les gens sont fatigués et affamés, renvoie-les…»

A quoi Jésus rétorque cette fameuse phrase, pour le coup, tout-à-fait incongrue et culottée : « Pas besoin de les renvoyer, donnez-leur vous-mêmes à manger ! »

Oui, les disciples, c’est nous tout craché : ils ont le sens des réalités, des responsabilités, ils sont raisonnables, ils font une pesée d’intérêts, ils regardent à l’immensité de la tâche, des besoins et à la faiblesse de leurs moyens.

Or Jésus va leur révéler le secret d’une vie, d’une parole, d’un engagement non seulement raisonnables, réalistes et responsables, mais aussi féconds, généreux, ouverts, et pour cela il part de ce qu’ils ont les 5 pains et les 2 poissons.

Jésus ne part pas de rien pour ce miracle et ce faisant, il permet à ses compagnons d’accomplir leur tâche à partir du peu qu’ils ont.

Voilà un sacré encouragement pour nous aujourd’hui qui pouvons aussi être obsédés/écrasés par l’immensité de la tâche, dans une société tellement affamée de sens, d’espoir, de confiance et en même temps tellement fragile, individualiste, éparpillée, sécularisée…. Il y a face à tout cela : le manque évident de moyens, notre faiblesse, la timidité de notre témoignage, notre insignifiance sociale, nos maladresses ou découragements.

Oui, la tentation est grande aussi pour nous : Seigneur, renvoie-les !

Or une Eglise qui ne s’ouvre plus à la compassion, au témoignage en paroles et en actes démissionne (littéralement, abandonne sa mission) et ne peut que disparaître.

Ce récit d’Evangile, ce récit de miracle, c’est une Bonne nouvelle pour nous et une invitation obstinée à la confiance.

Si nous avons le sentiment que notre parole, nos actes, notre foi, nos ressources sont dérisoires, face à toutes les faims, face à tous les soucis, les douleurs du monde, nous avons raison !

Mais Jésus nous apprend une bonne utilisation du peu que nous avons : rendre grâce et partager.

Voilà la Bonne Nouvelle : la grâce divine veut transformer notre peu, notre dérisoire, notre infime en source de fécondité pour beaucoup.

Voilà la Bonne Nouvelle : Jésus n’a pas besoin autour de lui de supermen ou wonderwomen.

Dans l’Église, chacun·e est accueilli avec le peu qu’il ou elle a, qu’il ou elle est ; tout cela mis ensemble, cela fait beaucoup, cela fait beaucoup plus qu’on ne le pensait au départ.

Voilà la Bonne Nouvelle, le secret de ce texte, le message que nous pouvons entendre aujourd’hui.

Dans chacune de nos vies, de nos histoires de vie et aussi dans la vie de l’Église, quand il s’agit de nous engager : penser, agir, aider, écouter, soutenir, construire, ce que nous faisons peut paraître dérisoire, infime… et souvent il l’est.

Ce récit nous apprend que le dérisoire, quand il est partagé, avec action de grâces, peut faire beaucoup plus qu’on ne l’imagine.

Alors, ce récit nous rassure au fond. Tout ne dépend pas de nous seulement, des petits moyens qui sont les nôtres.

C’est sans doute cela être disciples, et permettez-moi d’extrapoler, c’est sans doute cela être engagés dans l’Église : avoir suffisamment confiance en la confiance que Dieu nous/me fait.

Et nous mettre en marche avec notre dérisoire, nos petits moyens, notre fragilité, nos questions, ouvrir les mains, offrir tout cela dans la confiance que Dieu saura rendre possible ce que notre raison voit encore comme impossible.

Amen