Prédication de Ion Karakash
Marc 5/21-43 : deux femmes guéries par Jésus
L’évangéliste Marc a imbriqué l’un dans l’autre deux récits de guérisons opérées par Jésus.
Ces récits ont plusieurs caractéristiques en commun, mais aussi quelques différences, comme s’ils se complétaient l’un l’autre.
° Tous deux concernent des femmes : l’une en état de mort sociale à cause d’écoulements de sang qui la rendaient impure aux yeux de la Loi, l’excluant de toute vie de famille et de toute communauté ; l’autre sur le point de mourir jeune encore, à l’aube de sa vie.
° Tous deux mentionnent une période de douze ans : douze ans de vain combat contre la maladie pour l’une ; douze ans d’une brève vie d’enfant pour l’autre.
° Et tous deux ont un caractère miraculeux souligné par l’immédiateté des guérisons : à peine la femme qui perdait son sang touche-t-elle le vêtement de Jésus que ses écoulements s’arrêtent, et à peine Jésus touche-t-il la main de la fille de Jaïros qu’elle se relève et se met à marcher !
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Mais ces deux récits divergent sur trois points.
° D’abord en ce qui concerne le statut social des femmes guéries : l’une est adulte, mais solitaire, séparée des autres par une maladie qu’elle aura combattue en vain, dépensant son argent en médecins et en thérapies qui n’ont fait qu’aggraver son état ; l’autre est toute jeune, entourée d’affection et d’attentions, fille d’un homme respecté de tous, membre influent de la synagogue.
° Il en découle une autre différence quant à la manière dont Jésus est appelé à intervenir : il est sollicité d’abord par un homme connu et apprécié dont Marc indique l’identité : Jaïros (en hébreu : ‘Dieu rayonne’) ; habitué aux convenances, ce notable s’adresse à Jésus comme à un autre notable, s’agenouillant et le priant d’agir en faveur de sa fille ;
puis c’est une femme anonyme, isolée par sa maladie, qui s’approche de Jésus subrepticement et sans rien dire pour toucher son vêtement dans l’espoir d’être guérie, – c’est comme si elle venait dérober à Jésus un peu de ses pouvoirs !
° La troisième différence résulte des deux premières : c’est la manière dont Jésus intervient.
Pour la fille de Jaïros, c’est lui qui agit, lui qui mène les opérations : suivi par la foule, il se dirige vers la maison du chef de la synagogue puis, lorsqu’on annonce à ce dernier que sa fille est morte et qu’il est donc inutile de déranger plus longtemps le ‘maître’, il dit à Jaïros de garder confiance et se rend chez lui en ne se laissant accompagner que par trois de ses disciples ; trouvant là des gens en larmes qui ricanent lorsqu’il déclare que l’enfant n’est pas décédée, mais dort, il les expulse tous et va vers elle en ne prenant avec lui que les seuls parents et ses trois disciples ; enfin, arrivé auprès de la fillette, il saisit sa main et lui dit de se réveiller, ce qu’elle fait aussitôt, se mettant à marcher.
Avec la femme aux pertes de sang, on pourrait dire que Jésus n’agit pas par lui- même, mais qu’il réagit ; cette femme avait agi en cachette, sans dire un mot, et elle est parvenue à ce qu’elle espérait depuis longtemps : elle est délivrée de sa maladie quasiment malgré Jésus, – du moins sans son consentement préalable. Mais Jésus, sentant qu’une force est sortie de lui, demande qui l’a touché par surprise, forçant l’inconnue à se présenter au milieu de la foule, au risque d’être malmenée, puisque jugée impure…
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Et nous, aujourd’hui, quand nous sommes confrontés au mal ou à la maladie sous leurs multiples formes avec leurs effets sur notre vie personnelle et sur nos relations, que pouvons-nous apprendre de ces récits de guérison ?
Premièrement, ils soulignent tous deux le rôle essentiel de la confiance, de la foi :
° à Jaïros qui aurait pu perdre courage et espoir lorsqu’on vint lui annoncer que sa fille était décédée, Jésus déclare : N’aie pas peur, mais crois seulement, garde confiance ! ;
° et à la femme qui perdait son sang, il dit: Ta foi t’a sauvée! Va en paix et sois délivrée de ton mal !.
‘Ta foi…’ : c’est bien la foi, la confiance tenace de cette femme qui aurait pu désespérer après douze ans de vaines tentatives pour être guérie qui lui a permis, – par l’entremise de Jésus ou même seulement d’un vêtement de Jésus -, d’être enfin délivrée de son infirmité. Marc précise d’ailleurs que ses écoulements de sang s’arrêtent à l’instant même où elle touche le vêtement de Jésus : avant même que Jésus ait parlé, c’est le geste audacieux de cette femme refusant de céder au désespoir qui auront transformé sa vie !
Par ailleurs, dans chacun de ces récits, Jésus pousse les personnes guéries à assumer la responsabilité de leur vie rétablie :
° en obligeant à s’avancer et à s’identifier la femme qui perdait son sang et qui était à cause de cela mise au ban de la société, Jésus lui permet de devenir pleinement elle-même parmi les autres et devant Dieu ; en la contraignant à prendre la parole ouvertement au milieu de la foule, Jésus lui permet d’être non seulement guérie de sa maladie physique, mais rétablie également dans son identité sociale pour pouvoir vivre désormais ‘en paix’ avec les autres, – comme en elle-même et devant Dieu.
° quant à la fille de Jaïros, en demandant qu’on lui donne à manger, – la nourriture est importante dans l’évangile de Marc ! -, Jésus élargit le cadre temporel de la guérison qu’il vient d’opérer: il n’en va pas seulement d’un rétablissement momentané, mais d’une vie nouvelle appelée à durer; et lorsqu’il prend (littéralement : saisit) sa main, Jésus lui dit Jeune fille, réveille-toi !, – Marc conjugue le verbe à l’actif : Réveille-toi ! (ou relève-toi !), comme un commandement ou une exhortation, et non pas au passif, comme lorsque l’ange dans la tombe vide s’adresse aux femmes venues rendre hommage à un défunt : Ne vous effrayez pas : celui que vous cherchez, Jésus de Nazareth, le crucifié, n’est pas ici : il a été réveillé, – il a été ressuscité des morts ! Dans la maison de Jaïros, c’est une fillette destinée à être active et responsable que Jésus appelle à s’éveiller et se lever pour prendre en mains sa vie à venir de femme.
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Nous concernant, j’en retiens notamment ceci : quelles que soient notre situation et notre manière de le faire, il nous est possible et permis de solliciter l’aide de Jésus, – ou celle de Dieu, son Père et notre Père.
Que ce soit en communauté, entourés de gens qui sont au courant de notre malheur et nous soutiennent, – comme la foule accompagnait Jaïros dans sa douleur de père venu appeler Jésus au secours de sa fille,
ou que ce soit dans une totale solitude et à l’insu des autres, – comme la femme inconnue que son mal isolait et qui agit de façon presque violente par nécessité, faute d’une autre solution,
nous pouvons remettre à Jésus notre détresse – ou celle d’un être cher – avec la conviction qu’il nous délivre de nos malheurs, – ou qu’il nous aide, du moins, à leur faire face avec confiance.
Parfois nous nous adressons à Jésus (ou à Dieu) en le priant explicitement de nous aider, – comme le fait Jaïros -, lorsqu’une maladie ou un malheur mettent en péril notre propre vie ou celle d’un être cher ;
mais parfois nous le faisons presque en catimini, – comme la femme anonyme -, sans parvenir à formuler une prière, que ce soit par excès de douleur ou
d’inquiétudes du présent ou à cause de cicatrices qu’ont laissées en nous les attentes et les espérances déçues du passé…
Quoi qu’il en soit, – que nous soyons dans l’une ou l’autre situation de vie et de prière -, Jésus nous dit : Croyez seulement et gardez confiance !
Gardez confiance … en attendant de l’entendre vous dire, à votre tour : Réveille-toi, relève-toi et marche, reprends la route de ta vie à venir et va en paix avec toi-même, avec les autres et avec Dieu !…