Prédication pour la veille des Rameaux

Culte du 23 mars 2024 à Môtiers – Les Rameaux

D’Ion Karakash

Lecture Marc 11/ 1-11

La foule chantait Hosanna lorsque Jésus entrait à Jérusalem : acclamation de joie pour accueillir Celui qui vient au nom du Seigneur accomplir les prophéties et les promesses de Dieu.

Mais cette foule en adoration allait bientôt se retourner contre ce visiteur et le faire crucifier hors des murs de la ville : les rameaux fleuris du dimanche se transformèrent le vendredi en bâtons et en couronne d’épines, et aux vêtements déposés sous la monture du Bienvenu se substituèrent le manteau pourpre de la moquerie et la tunique du condamné que les soldats se jouèrent aux dés…

Après lui avoir chanté ‘Sauve-nous’, – c’est le sens de Hosanna en hébreu -, les gens mettaient Jésus au défi : ‘Sauve-toi toi-même, descends de ta croix, et nous croirons en toi !…’

Voilà l’horizon humain de la semaine sainte : une foule comme tant d’autres, rapide à passer du Oui le plus enthousiaste au Non le plus violent, tandis qu’au milieu de ses compagnons en fuite Simon Pierre pleurait ses engagements reniés lorsqu’un coq s’était mis à chanter…

Gardons-nous pourtant d’accabler cette foule versatile et ce Pierre censé être un roc solide et s’avérait plutôt sable mouvant : non seulement ils nous ressemblent, mais, à lire l’Evangile, Dieu semble préférer ceux qui sont feu ou glace, – voire même feu puis glace, parfois -, à la tiédeur prudente et calculée d’un autre acteur de cette histoire : Ponce Pilate, le gouverneur romain rivé à son pouvoir ! C’est que Pilate espérait une promotion et suivait volontiers la direction que lui indiquaient les vents de l’opinion et de l’opportunisme. D’où sa question que cite l’évangile : ‘Qu’attendez-vous de moi ? que puis-je faire pour avoir vos faveurs ?’

Dans notre société où les sondages d’opinion et les slogans tiennent souvent lieu de critères de justice ou de justesse d’une cause, de pertinence d’une vérité, nous sommes appelés à affirmer nos convictions, notre aspiration à la justice et à la vérité, – même si nos actes et nos paroles d’humains restent toujours fragiles et fragmentaires, faillibles, fluctuants…

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C’est là le premier enseignement, sur le plan humain, de l’Evangile de la Semaine-sainte.

Mais les événements survenus entre le dimanche des Rameaux et l’aube de celui de Pâques nous invitent à aller au-delà de cet horizon humain pour en découvrir un autre, à une plus vaste échelle, cosmique : celle de la Création de Dieu.

A l’heure où Jésus entrait à Jérusalem, la foule et ses disciples l’accueillaient avec les paroles d’un psaume des Ecritures :

‘Voici le jour que le Seigneur a fait : exultons, réjouissons-nous-en lui !

 Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !

 Le Seigneur est Dieu : il nous donne la lumière !’ (Psaume 118/24-29, extraits)

‘Le jour que le Seigneur a fait, qui nous donne la lumière.’ Comment ne pas entendre dans ces paroles un écho du premier jour de la Genèse, lorsque Dieu dit : ‘Qu’il y ait lumière !’ – et qu’il y eut lumière, condition préalable à toute vie dans une création que Dieu disait et voulait ‘bonne’ ?! 

Avec les rameaux fleuris et l’ânon détaché, avec les vêtements de tissu, de laine ou de peau déposés aux pieds du Bienvenu de Dieu, n’était-ce pas un peu de la création entière, – le végétal et l’animal… et tout ce que l’homme sait en faire -, qui s’unissait à Jérusalem pour acclamer le visiteur venu au nom de Celui qui est lumière et vie ?

Comme un hommage de la création à son Créateur !

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Le dimanche des Rameaux ouvre ainsi une semaine particulière, unique, décisive, de l’histoire de Dieu et de la terre, – une semaine qui en lien avec les sept jours de la création qu’égrène la Genèse. 

Ainsi, au premier jour, on a chanté et célébré le Bienvenu du Dieu qui donne la lumière, – celle qui rend possible la vie sur terre, non seulement aux humains, mais à l’ensemble des êtres qui la peuplent.

Et c’est au sixième jour de cette semaine, – le vendredi -, qu’est révélé, tout comme dans la Genèse, l’être humain, – et plus précisément, en l’occurrence, l’Homme nouveau, le véritable humain, celui qui incarnait l’image de Dieu sur terre et au cœur de la création.

N’est-ce pas à l’instant même où expirait Jésus, – acclamé le dimanche, conspué le jeudi et crucifié le vendredi -, qu’un humain, pour la première fois d’après l’évangile, reconnut en lui le Fils deDieu ? ‘Cet homme étaitvraiment un Fils de Dieu !’ s’écria l’officier romain de garde au pied de la croix.

Un soldat, un païen et même un collaborateur de la mise à mort de Jésus, … même si sa confession de foi inattendue résonne plutôt comme un remords ou un regret, ou l’aveu d’une rencontre manquée : ‘Cet homme était…’

C’est sur la croix, le sixième jour de cette semaine décisive, que Jésus révélait ainsi sur la croix le vrai visage de l’humain tel que le voulait son Créateur : celui d’un être lié à son prochain par des relations qui ne sont pas de quête ni de conquête de popularité et de pouvoir, mais de compassion librement consentie, – pour que la vie l’emporte sur la mort et qu’une lumière, une aube nouvelle, se lève au plus noir des nuits de haine et de violence, d’exclusion…

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Le parallèle entre ces deux semaines marquantes des Ecritures ne s’arrête d’ailleurs pas là : si la semaine créatrice de la Genèse aboutit à la joie divine du septième jour, le sabbat où Dieu interrompt son œuvre pour contempler son ouvrage, celle de Jérusalem au temps de Ponce Pilate, de Simon Pierre et de Jésus se termine en vérité par le silence stupéfait des femmes dans un tombeau désormais vidé,    – signe d’un Dieu de vie qui avait décidé de reprendre son œuvre encore inachevée pour contester à la mort et au mal la prétention d’avoir le dernier mot sur la vie et l’avenir de l’humain et de la création… 

Telle est la Bonne Nouvelle de la semaine qui s’ouvre devant nous en cette veille des Rameaux : Pâques fut et reste l’aube imprévue, mais promise, du huitième jour d’une création nouvelle, toujours encore en devenir, animée par le Souffle du Dieu créateur, – une création dont le baptême est aussi un signe et un témoignage dans la vie des fidèles.

A la lueur du jour levant de la Résurrection, la confession du centenier romain se conjugue désormais au présent, – comme un Hosanna sans fin :

‘Cet homme, – ce crucifié du sixième jour de la violence humaine dévoilée et vaincue – cet homme n’‘était’ pas seulement : il est vraiment – et pour toujours – le Fils de Dieu, le Sauveur, le Vivant, – il est l’Humain à l’image de Dieu !…’

Entrons alors avec confiance et avec joie dans la semaine-sainte !