Les marchands du Temple

Culte du dimanche 3 mars 2024 – 10h Les Bayards

Prédication

De Cyprien Mbassi

Lecture : 1 Corinthiens 1, 22-25 et Jean 2, 13-25

Chers frères et sœurs,

Le récit que nous venons d’écouter est l’un des passages les plus perturbants de l’Evangile. Nous savons qu’il y a de la violence dans la Bible. Nous savons aussi qu’en général, c’est Jésus qui est victime de violence. Mais ce qui peut nous paraître perturbant, c’est que Jésus réagisse avec violence. Il est dit que Jésus fait un fouet avec des cordes et chasse du Temple les marchands de bétail et les changeurs. Il jette par terre leur monnaie et renverse leurs comptoirs…

Le contraste est saisissant avec ce que Jésus dit de lui-même : « Je suis doux et humble de cœur » dit-il (Mt 11, 29).

Le contraste est aussi saisissant avec son attitude durant la Passion : jamais il ne s’oppose à la souffrance qui le mènera à la mort.

Mais alors, pourquoi cette violence dans le Temple ? Surtout que les marchands et les changeurs qui sont expulsés sont très utiles aux croyants. Le bétail qu’ils vendent est nécessaire pour les sacrifices rituels. Et les comptoirs de change sont nécessaires parce que seules les devises juives sont acceptées au Temple. Les marchands et les changeurs ne font donc rien d’illégal, au contraire, ils offrent leurs services aux croyants qui viennent au Temple. Si leur présence était illégale, les autorités religieuses en charge du Temple les auraient expulsés avant même que Jésus n’ait eu à le faire. 

Remarquons encore quelque chose de particulier. Ce récit est rapporté par les quatre évangélistes : Mathieu, Marc, Luc et Jean. Mais seul Jean parle de l’usage d’un fouet par Jésus. Certains commentateurs disent que le fouet est destiné aux animaux. Mais c’est peut-être ignorer que l’usage du fouet était courant dans la culture religieuse juive. Le fouet était prescrit dans la Loi juive.

Voici ce qu’on peut lire dans le livre du Deutéronome : « Si le coupable mérite d’être frappé, le juge le fera se coucher par terre et lui fera donner, en sa présence, le nombre de coups proportionné à sa faute ». (Dt 25, 2). Pensons à l’apôtre Paul. Dans sa lettre aux Corinthiens, il dit que « cinq fois » il a « reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet » (2 Co 11, 24). Il est encore dit dans le livre des Proverbes que « le châtiment est fait pour les insolents, et les coups pour le dos des insensés » (Pr 19, 29).

Brandir un fouet sur des marchands et leur bétail peut nous choquer aujourd’hui. Mais il n’y avait là rien d’extraordinaire dans la culture de l’époque. Le fouet était décidé par une autorité religieuse pour punir dans le cas d’une faute, ou corriger dans le cas d’un désordre.

Dans cet évangile, Jésus dénonce une situation qui, pour lui, est un désordre. Le fait que l’évangéliste Jean lui attribue l’usage d’un fouet place Jésus dans une posture d’autorité religieuse. Et Jésus confirme cette posture d’autorité en appelant le Temple la maison de son Père : « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce », dit-il. Jésus se donne le droit de mettre de l’ordre dans le Temple parce que c’est la maison de son Père. Il agit en vertu de son autorité de Fils de Dieu.

Les Juifs qui assistent à la scène l’ont compris. Ils ne lui demandent pas pourquoi il se sert d’un fouet. Ils constatent sa posture d’autorité et l’entendent dire de Dieu qu’il est son Père. C’est pourquoi ils réagissent en demandant un « signe », une preuve : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Autrement dit, prouve-nous que tu as autorité pour exclure les marchands du Temple.

La réponse que Jésus leur donne nous introduit dans le sens de cet évangile : « Détruisez ce sanctuaire, leur dit-il, et en trois jours je le relèverai ». Et l’évangéliste explique qu’il « parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ».

La résurrection est le signe que Jésus a autorité sur le Temple. Elle est le signe que le Temple est la maison de son Père. Elle est le signe qu’il est réellement Fils de Dieu. La réaction de Jésus au Temple est un message symbolique fort. C’est une réaction prophétique. C’est pourquoi les disciples ne l’ont comprise qu’après la résurrection.

Car, après la résurrection, on n’a plus besoin des sacrifices d’animaux pour être sauvé. La souffrance et la mort de Jésus sont désormais l’unique sacrifice qui nous réconcilie avec Dieu. On n’a plus besoin de répandre du sang de bétail pour être purifié. Le sang versé de Jésus est désormais le seul qui répare nos inconduites et nous donne accès à Dieu.

Cela signifie que ce ne sont pas nos efforts qui nous rapprochent de Dieu, mais plutôt les efforts de Jésus en notre faveur. Ce ne sont pas nos mérites qui nous rendent agréables à Dieu, mais plutôt les mérites de Jésus quand il se sacrifie pour nous. Si le sacrifice du Christ suffit pour nous réconcilier avec Dieu, alors « les marchands de bœufs, de brebis et de colombes » deviennent inutiles. On comprend que Jésus les écarte du Temple. C’est un geste hautement symbolique, un geste qui annonce que leur temps est révolu.

On comprend aussi que Jésus renverse les comptoirs de change et jette par terre la monnaie des changeurs. Avec la résurrection, On n’a besoin de rien payer. Nous sommes sauvés par amour, et donc gratuitement. Nous n’avons qu’une chose à faire en retour : c’est d’accueillir avec reconnaissance cet amour qui se donne.

Ce qui nous apparaît comme une violence dans le Temple n’est donc pas une action de Jésus visant à nuire, à faire du mal. Jésus nous signifie que le salut qu’il apporte ne se fera pas seulement avec sagesse, mais aussi avec puissance ; une puissance de bienveillance ; une puissance au service de l’amour. Nous l’avons entendu en première lecture : « Nous proclamons un Messie crucifié… Un Messie qui est puissance de Dieu et sagesse de Dieu ».

Alors, avançons vers Pâques dans un esprit de reconnaissance, mais aussi dans un esprit d’ouverture à ce Sauveur crucifié. Parce que son unique sacrifice a une portée définitive, il demeure solidaire de nos malheurs quand nous sommes crucifiés dans notre vie quotidienne. Il nous accompagne dans nos peines, dans nos douleurs, dans nos souffrances pour que la vie continue de jaillir de toutes ces logiques de mort.

Amen.