Culte du Souvenir du 25 novembre 2023 – Môtiers

Lectures bibliques : 1 Rois 19, 16b 19-21 / Luc 9, 57-62

Chers frères et sœurs,

Dans l’espérance et la prière, nous nous souvenons aujourd’hui de nos proches qui nous ont quittés récemment. Pourtant, l’Evangile que nous venons d’écouter semble en décalage avec la raison de notre présence ici.

Un homme est en deuil. Il vient de perdre son papa. A ce moment-là, Jésus l’appelle à le suivre : « suis-moi », lui dit-il. L’homme répond à Jésus : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père ». Il n’a pas dit non à Jésus. Il demande simplement de participer d’abord aux funérailles de son papa. Et que lui répond Jésus ? « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va et annonce le règne de Dieu ».

On peut être choqué par la réponse de Jésus. Elle paraît totalement indélicate. Jésus n’a-t-il donc aucun respect pour les personnes endeuillées ? Comment peut-il traiter de « morts » ceux qui enterrent leurs morts ? Et puis, avons-nous à choisir entre Dieu et nos proches ? Est-ce que suivre le Christ signifie renoncer à des besoins et à des activités légitimes dans notre vie ?

D’un autre côté, dans un autre passage de l’Evangile, on voit Jésus pleurer à la mort de son ami Lazare (Jn 11). Le texte précise que Jésus est « saisi d’émotion » et « bouleversé » quand il voit la tristesse et les pleurs des proches de Lazare. Puis, à son tour, il se met à pleurer.

Jésus a donc conscience de la réalité de la mort. Il est sensible à la souffrance que provoque le départ d’un proche. Quand il répond à l’homme de l’Evangile : « laisse les morts enterrer leurs morts », ce n’est sûrement pas sur un ton de reproche, mais de conseil. Jésus ne s’oppose pas à sa demande, mais il la corrige et lui fait une recommandation.  

L’homme endeuillé demande d’aller d’abord enterrer son père avant de suivre Jésus. « D’abord » signifie que suivre Jésus et enterrer son père sont deux choses qui se succèdent, et donc qui ne peuvent pas avoir lieu en même temps. Jésus le corrige en montrant que c’est tout le contraire. Le suivre n’est pas une activité qu’on planifie dans son agenda. Suivre Jésus, c’est avant tout une attitude que l’on garde dans les situations de la vie. Jésus suggère à l’homme endeuillé qu’il peut déjà le suivre en allant enterrer son papa. Il lui suggère une manière de vivre son deuil à sa suite.

« Je suis la vie », dit Jésus dans l’évangile de Jean (Jn 11, 25 ; 14, 6). Marcher à la suite du Christ, c’est garder une attitude favorable à la vie. « Laisse les morts enterrer leurs morts », autrement dit : vis ton deuil en moi qui suis la vie. Et Jésus continue en disant à cet homme : « Va, et annonce le règne de Dieu ». Or, « Dieu est amour », nous dit l’apôtre Jean (I Jn 3, 6). « Dieu est amour » ; « Dieu est vie ». : « Va et annonce le règne de Dieu », autrement dit : va et garde l’attitude de quelqu’un qui est sous le règne de l’amour, le règne de la vie.

Suivre le Christ n’est donc pas une question de mouvement physique, mais de mouvement du cœur. Jésus invite cet homme à aimer pleinement, et par conséquent à vivre pleinement, malgré le deuil. Il l’invite à témoigner du règne de la vie qui est règne de Dieu. Il l’invite à témoigner du règne de l’amour qui est règne de Dieu.

Et nos proches qui nous ont quittés, parce qu’ils nous ont aimés, voudraient certainement que nous continuons de vivre pleinement et d’aimer vraiment. Les souvenirs que nous avons d’eux sont des souvenirs de leur présence parmi nous. Ce sont des souvenirs de paroles et de gestes, de temps de partages. Ce sont des souvenirs de vie ensemble qui nous inspirent pour poursuivre le vivre ensemble, poursuivre nos efforts de bienveillance, d’amour, de réconciliation.

Oui, c’est bien d’amour qu’il s’agit quand on parle de vivre pleinement. Aristote disait : « Sans amis, personne ne choisirait de vivre » (Ethique à Nic.). C’est parce que le Dieu en qui nous croyons est un Dieu de vie, qu’il met l’amour au cœur de notre existence. Vivre pleinement, c’est donc vivre pour aimer. Et vivre pour aimer, c’est vivre en Dieu parce que « Dieu est amour ». L’apôtre Jean nous dit : « Celui qui aime est né de Dieu et [il] connaît Dieu » (I Jn 4, 7).

Nous sommes croyants pratiquants, pas parce que nous allons régulièrement à l’église ou au temple, mais parce que nous avons le souci de garder l’amour au cœur de notre vie. Le temple est un lieu de ressourcement. Il est comme une borne de recharge pour que la batterie de l’amour alimente le réseau de notre quotidien.

Et si nous avons du mal à aimer, si nous avons du mal à surmonter nos différences, nos tensions, nos disputes, rappelons-nous que « Dieu est amour », et que rien de contraire à l’amour n’est plus fort que lui. Invitons Dieu dans notre cœur et dans le cœur de l’autre afin qu’il établisse son règne en ouvrant les vannes de l’amour.

Si nous avons du mal à aimer, faisons nôtre la prière de Saint Augustin : Tu me demandes d’aimer, Seigneur, donne-moi ce que tu demandes et demande ce que tu veux (Les Confessions – citation paraphrasée). Dieu nous appelle à faire face aux défis de l’amour parce qu’il est prêt à soutenir nos efforts d’aimer. Il stimule nos cœurs et nos pensées en faveur de l’amour. Il nous inspire des paroles de bienveillance. Il soutient notre dévouement au service des autres, au travail, dans la vie sociale, à la maison. Dieu s’invite à nos multiples tâches du ménage parce que nous y mettons du cœur pour la vie et le confort de nos proches.

            Nos engagements et nos activités ne sont donc pas en concurrence avec la relation à Dieu. Nos liens avec les vivants comme avec nos proches décédés, ne sont pas en concurrence avec la relation à Dieu. Si nous suivons le Christ, il nous invite simplement à faire régner l’amour dans notre vie et dans nos liens aux autres. Car, là où est l’amour, Dieu est présent.  

Cyprien Mbassi