Pierre et la foi boomerang

Culte du dimanche 3 septembre 2023 à Couvet

Texte biblique : Matthieu 16,21-27

Prédication : « Pierre et la foi boomerang »

De René Perret

     J’aime intituler mon message « Pierre et la foi boomerang ».

     Nous connaissons bien ce passage de l’Evangile selon Matthieu, et c’est peu de dire qu’il est « musclé » ! Il se compose de deux parties :  la confrontation entre Pierre et Jésus ; et l’appel exigeant à être disciple de Jésus.

     Ce texte d’Evangile forme un tout : après la réaction de Pierre et son remontage de

bretelles par Jésus, l’appel de Jésus à le suivre d’une façon radicale est nécessaire ;

le compagnonnage continue, mais sur d’autres bases.

     Or, en écrivant ma prédication, j’ai remarqué que je débordais de trop mon temps

de prédication, tout en n’allant pas assez au fond de ces deux parties.

     J’ai donc décidé, pour ce matin, de ne prendre que le face-à-face de Pierre et Jésus.

Je reprendrai une autre fois l’appel de Jésus. 

     Avant la confrontation entre le porte-parole des disciples et Jésus, on connait la foi confessée par Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».

     Seul Matthieu cite la louange que Jésus adresse à son bouillant disciple, lui confiant les clés du Royaume et lui promettant de bâtir son Eglise sur lui. Don et promesse uniques pour celui qui vient de dire tout haut ce que les autres n’osaient formuler.

     Ensuite, seuls Matthieu et Marc citent l’altercation qui suit, et qui est au début de notre récit de ce matin. Luc, l’historien, n’en dit rien. Étonnant, son choix de passer sous silence cette scène si forte, qu’il connait puisqu’il a lu l’Evangile de Marc, paru avant qu’il n’écrive le sien !

     Jésus a cheminé depuis un moment avec ses disciples ; il les a peu à peu formés à voir ce que Dieu lui confiait. Pour reprendre une image que donne l’apôtre Paul aux Corinthiens, Jésus passe maintenant du lait à la nourriture solide pour ses disciples. Comme pour un enfant qui grandit et dont l’alimentation se diversifie nécessairement, le croyant aussi passe maintenant, avec ce message de départ, à une nourriture « solide », qu’il lui faudra apprendre à digérer. Cette nourriture solide, cette annonce, c’est que Jésus, vraiment Christ, le Fils du Dieu vivant, va manifester un Dieu « autrement puissant » que ce que ses adorateurs attendent, et ici, ses disciples.

     Les Juifs attendaient un Christ démontrant la toute-puissance libératrice du Dieu d’Israël.

Jésus a montré l’autorité que Dieu lui a donnée, avec des signes de cette puissance de Dieu contre le mal et la mort. Mais, rejeté par les religieux de son pays, il va devoir passer par la souffrance et la mort la plus indigne qui soit. Puis Dieu le ressuscitera au troisième jour.

     Pierre, comme ses collègues, ne peuvent comprendre cette annonce. Si nous avions été avec eux à ce moment-là, aurions-nous réagi différemment ? Je ne le pense pas.

     Il y a les onze, qui ont assisté à la confession magnifique de Pierre, qui a exprimé tout haut ce que leur cœur contenait et qu’ils ne pouvaient dire.

     Et maintenant, face à cette annonce incompréhensible, par leur raison mais encore plus par leur cœur, par leurs tripes ! c’est à nouveau Pierre qui dit tout haut ce qui les retourne complètement.

     Nous, aujourd’hui, nous sommes des disciples d’après Pâques. Nous connaissons l’histoire, cet abîme de Vendredi-Saint et cette victoire de Pâques. Et même quand nous vivons la Semaine de la Passion, même en nous imprégnant au mieux du parcours de Jésus et les siens en ces jours décisifs, nous savons que Pâques viendra. Comme quand nous chantons, la bouche fermée, le « À toi la gloire » à la fin du culte de Jeudi Saint.

     Déjà nous, en vivant ces temps-là, en les imaginant, nous sommes bouleversés. Mais ça n’a rien à voir avec ce que Pierre et ses compagnons ont ressenti le jour où Jésus, pour la première fois, leur annonce son chemin, tellement à l’opposé de leur attente, et surtout après qu’il ait accepté d’être reconnu comme le Messie.

     Mais revenons à notre récit. À Pierre qui se cabre et proteste aussi fortement qu’il venait de confesser sa foi, Jésus répond violemment, d’un « Arrière de moi, Satan ! » qu’il n’a utilisé que face au diable, dans le désert, lors de son duel avec le Tentateur. Ni Pilate le livrant à la mort, ni Judas le trahissant ne seront traités aussi durement ! C’est que Pierre, ici, touche au cœur de la foi de Jésus, qui deviendra la foi chrétienne. Notons que Jésus ici se sent absolument seul, face à ses disciples.

     C’est clairement sur la croix que se joue l’Evangile. C’est à partir de la croix que l’Eglise se fonde ou se perd. J’aime bien cette formulation d’André Nouis :

– la croix seule est la non-puissance de Dieu ;

– la résurrection seule est la toute-puissance de Dieu ;

– la croix et la résurrection ensemble sont « l’alter-puissance » de Dieu, sa puissance autrement, à laquelle nous devons convertir notre intelligence et notre raisonnement.

     Terminons cette première partie avec cette remarque : Pierre, sur qui Jésus construira son Eglise, est déclaré ici Satan.

     L’Eglise, dans son histoire, sera à l’image de Pierre, capable du meilleur et du pire (pensons aux inquisitions, croisades, conversions forcées, moralisme, etc, y compris dans notre Eglise réformée), et son histoire mêlée continue !

     Nous qui confessons le Christ mort et ressuscité, vivant et présent aujourd’hui, gardons l’humilité de disciples engagés sur une crête, capables du meilleur et du pire. Que Jésus notre Maître nous donne de comprendre sa volonté jour après jour, quel que soit le chemin qu’il nous donne de suivre.

Amen.