Cultes des 22 juillet à Môtiers et 23 juillet 2023 à Buttes
Prédication
(Matthieu 13/24-30)
Les paraboles des Evangiles sont de brèves histoires qu’inspirait à Jésus la vie ordinaire des gens de Galilée, labourant leur champ ou prenant soin de leur troupeau, jetant à l’eau leurs filets de pêcheur ou confrontés à des querelles d’argent ou de famille…
Histoires simples en apparence, qui interpellaient les gens sur leurs habitudes et leurs comportements.
En s’adressant à eux en paraboles, Jésus ne leur donnait pas des leçons de morale à la manière des maîtres de la Loi, ni des recettes de sagesse ou de félicité comme les philosophes, pas plus qu’il ne leur enseignait des vérités dernières sur Dieu, sur ce monde ou sur eux-mêmes.
‘Parabole’ : en grec, ce mot signifie littéralement ‘ce qui est lancé à côté’, – comme les graines que le semeur disséminait sur toutes les parties de son champ, même celles qui n’étaient guère prometteuses.
Les paraboles : des paroles jetées à tout vent et à tout venant, destinées à mettre en mouvement les gens plutôt qu’à les rassurer, pleines de questions plutôt que de réponses…
Celle du bon grain et de l’ivraie nous interroge à double titre : d’une part sur l’image que nous nous faisons du Royaume de Dieu dans son rapport au temps et au mal, et d’autre part sur nous-mêmes et notre rapport au temps et au mal.
1. En ce qui concerne le moment où adviendra enfin le Royaume promis et tant espéré de Dieu, la parabole rappelle ladurée incontournable, incompressible, entre les semailles et les moissons : il faut du temps pour que le grain mûrisse et que croissent les épis !
Durant ce temps, la parabole souligne qu’il y a place sur terre pour les bonnes comme pour les mauvaises herbes : de même que le semeur disséminait ses graines sur tous les recoins de son champ sans en exclure aucun au préalable, de même le champ accueille et fait croître toute sorte de grains, sans que le propriétaire opère à l’avance un tri entre les bons et les mauvais.
Mais les auditeurs de la parabole, – ceux du temps de Jésus comme nous aujourd’hui -, savent bien que tout ce qui pousse sur terre n’est pas utile ni bienfaisant, et qu’il n’est guère recommandé de moudre n’importe quels grains pour en cuire notre pain quotidien !
D’où la question immédiate des serviteurs qui sonne comme un reproche au maître :
Si tu as semé du bon grain, d’où provient donc cette mauvaise herbe ?
Et pourquoi la laisses-tu pousser sur ton champ ?
A ces questions, la parabole ne répond pas, – mais elle précise que ce n’est pas le maître qui a semé ces herbes malfaisantes, mais un ‘ennemi’ : un ‘ennemi’ a subrepticement disséminé des graines nocives au milieu des semailles de Dieu.
Et la parabole ajoute aussitôt qu’il n’est pas judicieux pour l’homme de se précipiter pour arracher dès à présent la mauvaise herbe, puisqu’elle côtoie la bonne : vouloir l’éliminer, ce serait porter atteinte en même temps au bon grain qui pousse juste à côté. Un triage prématuré finirait en saccage !
(Dans l’histoire de l’Eglise, croisades et inquisitions n’en ont donné que trop d’exemples…)
Jésus aurait ainsi pu conclure la parabole par une maxime bien connue :
Laissez le temps au temps ! Ne vous hâtez pas de faire le tri !
Contre les impatients et les fanatiques de son époque, Jésus n’a cessé d’appeler ses disciples et ses auditeurs à la patience et à l’acceptation de la réalité telle qu’elle était, avec ses beautés et ses laideurs, ses menaces, sans succomber à l’illusion qu’en prenant eux-mêmes l’épuration en main tout pourrait demain être parfait dans le meilleur des mondes !
Acceptez de vivre et de vous activer sur une terre où bonne et mauvaise herbe poussent côte à côte : ne sont-elles pas éclairées par un même soleil, fécondées par les mêmes pluies du Créateur ?
* * *
2. Voilà qui nous ramène à nous, – à notre responsabilité d’humains sur cette terre où poussent bonnes et mauvaises herbes.
Que pouvons-nous et que devons-nous faire – dans nos vies, nos relations, dans nos collectivités -, lorsque nous constatons que de l’ivraie a poussé juste à côté de l’orge et du blé, et qu’il n’est pas possible ni judicieux de l’extirper immédiatement ?
La parabole nous donne à ce propos une indication essentielle : celui qui a semé la mauvaise herbe dans le champ est désigné comme un ‘homme ennemi’.
Ce n’est donc pas un autre Dieu, – un Dieu du Mal, Satan ou le Diable -, mais un ‘ennemi humain’.
Celui qui sème la zizanie (c’est le mot grec de l’Evangile pour désigner l’ivraie !) n’est pas l’égal de Dieu : s’il sévit encore, semant ses graines de mort et de malheur,l’heure vient où sonnerala moisson. Alors il ne subsistera que ce qui est bon, – ce qui est source et force de vie aux yeux de Dieu.
Contre une vision d’un univers où lutteraient sans fin ni trêve un Bien et un Mal surnaturels, célestes, sans que l’humain puisse influer d’aucune manière sur l’issue de leur affrontement, la parabole fait mention d’un ‘homme ennemi’.
Et pour lui résister, rien de plus sûr ni de plus efficace que de nous rappeler toujours ce que l’apôtre Paul disait de lui-même et de la nature de l’humain :
‘J’ai la faculté de vouloir le bien, mais pas celle de le mettre en œuvre :
je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne voudrais pas…’
(Romains 7/18-19)
Si la mauvaise herbe qui pousse dans le champ est due à l’intervention d’un ’homme ennemi’, c’est que l’humain lui-même porte sa part de responsabilité dans cette dissémination du mal et du malheur, et cela d’autant plus lorsqu’il se laisse gagner par un angélisme trompeur, ignorant ou minimisant ses propres faiblesses, ses limites et ses ambiguïtés, et qu’il se met à vouloir épurer à sa manière la terre de toute ‘zizanie’. Car cette ‘zizanie’, c’est en lui-même qu’elle opère !…
* * *
Une dernière remarque encore sur notre parabole : s’il est salutaire de reconnaître et même d’accepter sans impatience la présence du mal et de l’’ennemi’ au milieu et au-dedans de nous, il serait faux et dommageable de ne rien voir d’autre sur terre que cette omniprésence du mal et de la mauvaise herbe.
Comment se fait-il que l’on parle le plus souvent de la ‘parabole de l’ivraie’, – comme si la mauvaise herbe était la seule présente, la seule qui pousse et qui se multiplie dans le champ qu’évoquait Jésus ?!
Pourquoi cet accent porté sur l’ivraie, – comme si, aux yeux de Dieu, la mauvaise herbe importait plus que le bon grain et qu’elle avait plus d’avenir que lui ?!
Or la parabole telle que la racontait Jésus suggère exactement le contraire, – tout comme dans l’histoire du semeur disséminant ses graines sur toutes sortes de terrains, même les moins accueillants, l’essentiel est que la parcelle fertile du champ porte tellement d’épis (trente, soixante et même cent pour un) qu’en fin de compte la moisson surabonde ! (Matthieu 13/1-8).
Voilà qui nous interpelle sur le regard que nous portons sur le monde et sur nous-mêmes :
à force d’être obnubilés par le mal, nous risquons d’avoir une vision déformée du monde, un jugement faussé sur la réalité, et de contribuer ainsi à faire croître et se répandre le malheur et la malveillance par la méfiance et par la peur…
Juste après la parabole du bon grain et de l’ivraie, l’évangéliste Matthieu a inséré celle d’une graine qui pousse toute seule : la graine de sénevé, l’une des plus petites qui soient, – mais en grandissant elle devient un imposant arbuste, la plus grande des plantes des potagers !
Et Jésus ajoutait que ‘les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches’…
(Matthieu 13/31-32)
C’est un appel à la confiance et à la foi: quoi que fasse l’’homme ennemi’ en nous et parmi nous, le dernier mot revient et reviendra à la vie dans le vaste champ du Royaume de Dieu.
Et il y a place en lui pour tout être vivant, avec ses faces d’ombre et – surtout -, de lumière…
Tel est l’avenir, promesse de l’Evangile !
* * * Ion Karakash