Prédication sur Jean 10 : ‘Je suis le bon berger / Je suis la porte
Quelle est la première image qui vous vient à l’esprit lorsque vous entendez le mot berger ?
Probablement celle d’un homme paisiblement assis sur une pierre ou un tronc d’arbre et qui surveille ses brebis avec, peut-être, une flûte en bois à la bouche.
Une image champêtre de douceur et de sérénité, répondant à notre rêve d’un retour à la nature !
Mais il se peut qu’une autre image vienne bientôt se superposer, autrement plus dure et inquiétante : celle des gardiens de troupeaux décharnés en de lointaines régions arides, – ou même sur les prairies verdoyantes de nos montagnes, depuis que le loup y a fait son retour…
Ces bergers-là demeurent sur le qui-vive : avec leur chien ou leur fusil, ils guettent les dangers possibles menaçant leur troupeau…
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Dans la Palestine de l’époque où cheminait Jésus, le berger était une figure ambiguë, voire même contradictoire.
D’une part, les bergers faisaient partie des petites gens : nomades saisonniers sans domicile fixe ni salaire assuré, leur parole n’était guère prise en compte. Ainsi, lors d’un procès, le témoignage d’un bergern’avait quasiment aucune valeur… (C’étaient, en quelque sorte, les Roms d’un autre temps !)
A côté des mages respectables dont Matthieu raconte la visite à Bethléhem, l’évangéliste Luc choisit ainsi quelques humbles bergers de Galilée comme premiers témoins de la Nativité !
Mais la figure du Berger était aussi celle d’un chef dont dépendaient la prospérité, la sécurité et la vie même de sa communauté : n’était-il pas tout à la fois le protecteur et le médecin, le guide et le père nourricier (ou la mère nourricière) de celles et ceux qui lui étaient confiés ?!
Moïse comme David avaient commencé par garder des troupeaux avant d’être appelés à mener le peuple, et Dieu lui-même est célébré comme Berger dans l’un des Psaumes. (Psaume 23)
Dieu se présente ainsi comme le vrai berger dans une prophétie du livre d’Ezéchiel, celui qui prend soin de son peuple, alors que les rois qui se prétendaient ses bergers l’abandonnent à la dispersion et aux bêtes sauvages… (Ezéchiel 34)
Parmi les premières représentations chrétiennes de Jésus, la figure du bon Berger était l’une des plus courantes, à une époque où la croix n’était pas encore un symbole, mais un instrument bien réel de torture…
Portant une frêle brebis sur ses fortes épaules et entouré de son troupeau, le Berger figurait à la fois la force et la bienveillance du Christ, présence fidèle et rassurante pour la communauté.
Ce qui est particulier dans le texte de l’Evangile de Jean, c’est que l’auteur n’attribue à ce bon Berger aucun signe de gloire ni de puissance surhumaine : l’accent porte plutôt sur la proximité et la confiance intime qui le lient à chacune de ses brebis. Elles connaissent sa voix et elles la reconnaissent entre toutes, – et lui connaît chacune d’elles !
Aucun sceptre n’est ici associé au Berger, aucun bâton magique, aucune cohorte d’anges gardiens : son outil de travail, c’est avant tout sa voix, – et son mérite principal, c’est qu’il est prêt à s’exposer pour elles, faisant don de sa propre vie.
Parce qu’il sait parfaitement, ce Berger, que le mal ne cesse de menacer, – et que des loups guettent la brebis qui se serait égarée…
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Ce matin, j’aimerais mettre en évidence trois éléments qui me semblent caractériser la manière dont l’Evangile parle de ce bon Berger.
Au premier élément, je viens de faire allusion : c’est que la relation de confiance évoquée passe avant tout par la voix du Berger, – par ses paroles qu’écoutent ses brebis, parce qu’elles le reconnaissent.
Et cette écoute confiante des brebis n’est pas passive ; elle s’accompagne d’une mise en route, d’un cheminement personnel : écouter la voix du Berger, c’est aller vers lui et marcher à sa suite !
La foi n’est pas une connaissance apprise ni une vérité à réciter : elle est une relation personnelle avec ce Berger qui n’use jamais de la contrainte ni de la menace, mais qui ne cesse de nous adresser son appel, invitant à le suivre !
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Deuxièmement, je relève que le Berger de l’Evangile permet et fait en sorte que ses brebis demeurent en mouvement : il veut qu’elles puissent, chaque jour, ‘sortir et entrer’.
C’est probablement la raison pour laquelle l’évangéliste Jean associe ici deux images, deux figures symboliques dans la bouche de Jésus : ‘Je suis le bon berger’ et ‘Je suis la porte’.
‘Je suis le bon berger : le bon berger fait don de sa vie pour ses brebis…’
‘Je suis la porte des brebis. Si quelqu’un entre par moi, – par mon entremise -, il sera sauvé : il entrera et sortira et trouvera du pâturage.’
Curieusement, dans ce texte, Jésus se présente comme le vrai berger que le portier autorise à entrer dans l’enclos par la porte, – alors que brigands et voleurs essaient d’y pénétrer subrepticement en passant par-dessus la muraille.
Mais Jésus s’identifie aussi à la porte elle-même, – celle par laquelle les brebis doivent passer pour se mettre à l’abri ou aller paître à l’extérieur.
Ne serait-ce pas parce que l’enclos n’est pas le cadre unique, l’horizon restreint de la vie des brebis : des pâturages fertiles les attendent au dehors, en plein air, aux grands vents de ce monde !
L’enclos n’est leur demeure que de nuit, le temps qu’elles se reposent, préservées des menaces.
Mais c’est en dehors de l’enclos qu’elles sont destinées à vivre, à se nourrir pour faire leur précieux lait, dans la confiance que quelqu’un, à la manière d’un bon berger, ‘veille sur leurs sorties et leurs retours, leurs départs et leurs arrivées…’, comme le proclame un Psaume. (Psaume 121)
L’Eglise de celles et ceux qui ont choisi de suivre Jésus n’est pas destinée à vivre à l’écart ni à l’abri du monde : c’est en lui, hors-les-murs de l’enclos, que sont sa raison d’être, sa place, le lieu de sa mission, – afin que d’autres puissent à leur tour entendre la voix du bon Berger, jouir de la confiance qu’il inspire et du bonheur qu’il donne.
Voilà pourquoi l’Evangile désigne Jésus tout à la fois comme la ‘porte’ et le ‘berger’ !
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Ma troisième et dernière remarque concerne une autre affirmation surprenante du bon Berger de Jean :
‘J’ai d’autres brebis encore qui ne sont pas de cet enclos ; elles aussi, il me faut les conduire :
elles aussi entendront ma voix, et il y aura ainsi un seul troupeau, un unique Berger’
Cette déclaration semble contredire – ou corriger, peut-être – le caractère exclusif de celle sur la porte : ‘Si quelqu’un entre par moi, – par mon entremise -, il sera sauvé.’
Jésus comme unique passage, unique voie d’accès pour parvenir au salut, – à la vie en Dieu…
Mentionner d’autres brebis que celles de l’enclos, n’est-ce pas reconnaître qu’il y a d’autres chemins possibles de foi, d’autres voies spirituelles que celle qui passe par Jésus – et lui seul ?
De fait, il y aurait contradiction entre ces deux paroles si Jésus avait parlé d’une pluralité de portes pour accéder à un unique enclos.
Mais, d’après l’Evangile, c’est le Berger lui-même qui est unique, – ce Berger dont d’autres brebis encore que celles de l’enclos entendront la voix et marcheront à la suite.
L’essentiel, ce n’est pas l’enclos où les brebis sont en sécurité, portes closes comme étaient les disciples au soir de Pâques par peur des Juifs derrière un mur protecteur à l’abri des périls du dehors : l’essentiel, dans l’Evangile, c’est le lien de confiance que la voix du Berger engendre entre les brebis et lui, – celles de l’enclos, bien sûr, … mais d’autres également qu’il guidera et dont il prendra soin…
Ce ne sont pas une communauté, une institution ni une doctrine qui sont le bon berger ou la porte, mais Quelqu’un : Jésus de Nazareth, le Christ, la Parole incarnée de Dieu.
La voix qui dit : ‘Je suis…’ … et qui invite : ‘Suivez-moi, et vous vivrez !’
A l’opposé de toute attitude d’exclusion qui affirmerait la légitimité d’une unique communauté d’élus, l’évangéliste Jean souligne l’universalité de l’œuvre salutaire de Jésus, conforme au vœu de son Père :
‘Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique…’ (Jean 3/16)
… Et conforme aussi à la manière dont Jésus lui-même comprenait sa mission : ‘… et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, je les attirerai tous à moi…’ (Jean 12/32)
Quant à celles et ceux qui ont choisi, comme vous et moi, de suivre Jésus en faisant confiance à sa voix, ils vivent de sa promesse de présence qui conclut l’Evangile de Matthieu :
‘… et moi, je suis et serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps !’ (Matth.28/20)
Ion Karakash