Prédication de David Allisson – 12 et 13 juin 2014 – Môtiers et Buttes
Texte biblique: évangile de Matthieu 13,1-9
Des grains tombèrent dans la bonne terre et produisirent des épis : les uns portaient cent grains, d’autres soixante et d’autres trente.
…
Ecoutez bien, si vous avez des oreilles !
[Mt 13,8-9]
Chers amis, il y a une série de petits problèmes à choisir une parabole célèbre comme texte de base d’une prédication.
Tout d’abord, choisir une parabole, c’est penser qu’on pourra développer une réflexion à partir d’une histoire qui est censée susciter elle-même la réflexion.
En effet, les paraboles sont reconnues depuis longtemps pour leur capacité à toucher la personne et à réorienter sa compréhension de Dieu. Elles sont composées d’images faciles d’accès, souvent tirées de la vie quotidienne. Elles sont des récits courts qui en quelques mots et par des comparaisons bien choisies ont une force de persuasion qui incite à l’action. Ces courts récits sont volontiers utilisés en catéchèse pour l’efficacité de leur communication.
Le fait que la parabole soit célèbre est aussi un problème pour le prédicateur. Vous la connaissez depuis longtemps et vous vous êtes fait votre idée au sujet de ce qu’elle pourrait vous dire. J’aurai du mal à vous inciter à renouveler votre compréhension de cette histoire de semeur.
Autre problème : Jésus explique lui-même le sens de la parabole, quelques lignes plus bas.
On sait donc par Jésus lui-même que les graines qui tombent le long du chemin mangées par les oiseaux représentent ceux qui entendent parler du Royaume et ne comprennent pas : le Mauvais arrive et arrache ce qui a été semé dans leur cœur.
Les graines qui tombent sur sol pierreux représentent ceux qui entendent et reçoivent la parole avec joie, mais en qui elle ne s’enracine pas. La détresse, le malheur ou la persécution sont pour eux comme le soleil qui brûle les jeunes pousses.
Des graines tombent dans les épines : elles germent puis sont étouffées par les ronces. Elles représentent ceux qui ont entendu la parole, mais chez qui les préoccupations de ce monde et l’attrait trompeur de la richesse vient étouffer cette parole.
Et finalement, les grains tombés dans la bonne terre germent, poussent et donnent des épis de 100, 60 et 30 grains, ce sont ceux qui entendent la parole, la comprennent et portent des fruits.
Que dire de plus ?
Voyons un peu ce discours en paraboles.
Dans ce chapitre de l’évangile de Matthieu, c’est tout un discours de Jésus qui est construit en paraboles.
En tout, huit récits courts et imagés qui commencent par « le royaume de Dieu ressemble à ». En rappeler les titres suffira à vous les faire revenir en mémoire :
- Le Royaume de Dieu ressemble à un homme qui va dans son champ pour semer, (Mt 13,1-9)
- Le royaume de Dieu ressemble à un homme sorti pour semer. la parabole du bon grain et de l’ivraie : l’ennemi vient après le semeur pour mettre la zizanie (l’ivraie) dans le bon grain. On ne pourra démêler l’un de l’autre qu’après la moisson (Mt 13,24-30)
- Le royaume de Dieu ressemble à une graine de moutarde (Mt 13,31-32)
- Le royaume de Dieu ressemble au levain qu’une cuisinière met dans la pâte (Mt 13,33)
- Le royaume de Dieu ressemble à un trésor caché dans un champ (Mt 13,44)
- Le royaume de Dieu ressemble à un marchand qui cherche de belles perles (Mt 13,45)
- Le royaume de Dieu ressemble à un filet qu’on a jeté dans un lac et qui attrape toutes sortes de poissons, des bons et des mauvais qui viennent ensemble et qu’on ne trie qu’après la pêche (Mt 13,47-50)
- Le royaume de Dieu ressemble à un propriétaire qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes (Mt 13,52)
Le Royaume de Dieu ne se décrit pas. Il se vit.
Le Royaume de Dieu peut être évoqué par touches successives par ces histoires imagées que sont les paraboles.
Jésus donne donc quelques touches pour suggérer ce que le Royaume de Dieu peut être.
Et ce qui étonne les disciples de Jésus quand ceux-ci l’entendent raconter, ce n’est pas tellement ce que les paraboles disent du royaume de Dieu. Non, dès la fin du premier récit, la parabole que nous venons d’entendre, les disciples s’approchent de Jésus et lui demandent : « Pourquoi leur parles-tu en utilisant des paraboles ? ».
Ce qui les étonne, c’est le fait même que Jésus utilise ce discours particulier des paraboles pour s’adresser à ses auditeurs. Ce n’est pas tellement ce qu’ils doivent en comprendre.
Alors, pourquoi parler en paraboles ? Encore une fois, Jésus répond lui-même.
Il relève d’abord qu’il existe des auditeurs qui ont reçu la connaissance des secrets du Royaume des cieux et d’autres qui ne l’ont pas reçue. C’est une constatation. C’est comme ça.
D’autre part, au moment de dire ces paraboles, Jésus était, pour les Pharisiens, déjà condamné. Jésus doit renouveler sa manière de s’adresser à eux, s’il veut faire passer son message. Au chapitre précédent, on peut lire cette phrase : « Les Pharisiens s’en allèrent et tinrent conseil pour décider comment ils pourraient faire mourir Jésus. » [Mt 12,14] J’ouvre ici une petite parenthèse pour souligner que les Pharisiens ne sont pas les méchants dans l’histoire. Ils nous ressemblent plutôt : instruits religieusement, connaisseurs des bonnes manières devant Dieu, curieux d’en savoir plus sur Dieu et la foi, prêts à s’investir pour défendre l’institution religieuse comme nous le sommes pour maintenir notre Eglise en état. Je ferme la parenthèse et je nous lance un défi : Jésus constate donc que certains ne sont pas disposés à entendre son message. Certains ne sont pas disposés, nous peut-être, à la manière des Pharisiens ?
Encore un élément de la réponse de Jésus : cette phrase qui ressemble à un dicton : « Celui qui a recevra encore et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. » C’est dire l’importance des dispositions du cœur pour comprendre les enseignements de Jésus. De nouveau, Jésus pose comme un constat que certains ont ce qu’il faut pour entendre et d’autres non.
De nombreuses fois, Jésus a pu faire ce constat : plus les auditeurs s’enferment dans leurs propres certitudes, plus ils deviennent imperméables à la Parole de Dieu. Et c’est pour cela qu’il leur parle en paraboles : c’est une pédagogie pour essayer de toucher ces cœurs endurcis. En essayant une autre manière de parler, peut-être pourront-ils être touchés. Peut-être pourrons-nous être touchés.
La parabole du semeur, ainsi que l’explication que Jésus en donne, apparaît alors plus clairement comme une illustration des obstacles que rencontre la prédication évangélique. Jésus est la parole de Dieu venue habiter parmi les humains (Jn 1, 14) ; il ne dit que la Parole du Père : « Cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé. » (Jn 14, 24). Mais sa parole trouve difficilement le terrain favorable dans lequel elle va pouvoir germer ; il y a d’abord les difficultés inhérentes à tout chemin de conversion (les exigences du Royaume sont sans cesse étouffées par les soucis du monde (cf Mt 6, 25-34)) ; mais il y a aussi, plus profondément les difficultés pour les contemporains de Jésus de lui faire confiance au point de le reconnaître comme le Messie : les disciples eux-mêmes ont achoppé sur cet enseignement ; Jean nous a rapporté leurs réactions au discours sur le pain de vie : « Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples commencèrent à dire : cette parole est rude ! Qui peut l’écouter ?… Dès lors, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. Alors Jésus dit aux Douze : Et vous, ne voulez-vous pas partir ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. » (Jn 6,60… 68).
Je reviens à la parabole du semeur ; Jésus annonce qu’il y aura une récolte, (de cent, soixante ou trente pour un), et c’est certain, mais à quel prix ! Le règne de Dieu, il faut bien l’admettre, ne s’établira qu’au travers de nombreux échecs ; car entrer dans l’intelligence du Royaume ne peut être que l’effet d’un don de Dieu : « A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux… Heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent !… Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est l’homme qui entend la Parole et la comprend. » Cela suppose un cœur disponible, capable de recevoir de Dieu la lumière qui vient de Lui seul : cette disponibilité elle aussi doit être reçue comme un cadeau. Les Pharisiens et la foule n’y étaient pas encore prêts.
Nous sommes la terre qui reçoit la semence. Et la terre ne se laboure pas elle-même. Heureux sommes-nous si le grain de la parole du Royaume peut germer en nous.
Amen.