Reconnaître et être la face du Seigneur – prédication de Séverine Schlüter, 9 et 10 octobre 2021

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Lectures bibliques :

  • Deutéronome 16, 13-17
  • Jacques 2, 14-16
  • Luc 14, 12-14

Message : reconnaître et être la face du Seigneur
de Séverine Schlüter

“Tous les hommes paraîtront devant la face du Seigneur” (Dt 16,16).

Dans le contexte biblique, et surtout de l’Ancien Testament, la face du Seigneur représente sa présence, sa personne, sa réalité divine qui se donne à percevoir en un temps et un lieu déterminé.

C’est une présence si forte qu’on ne pouvait contempler Dieu face à face sans mourir, sauf à recevoir une grâce particulière, comme celle accordée à Moïse sur le Mont Sinaï. C’est pourquoi les personnages bibliques se couvrent le visage lorsqu’ils sentent la présence de Dieu qui se manifeste auprès d’eux (comme par exemple Elie, devant sa grotte du Mont Horeb, quand Dieu passe au travers du son d’un léger souffle en 1 Rois 19).

C’est le plus souvent indirectement qu’il se donne à connaître, par les manifestations de sa grâce ou de sa puissance agissante.

Lors d’une rencontre de parents d’élèves que j’ai faite en début d’année scolaire, à Couvet, une enseignante nous partageait comment son travail était rendu plus complexe, avec l’obligation de porter un masque : car beaucoup de choses dans l’apprentissage et la relation passent par l’expression du visage, des émotions, le mouvement de la bouche et des lèvres, notamment avec les plus petits.

Une autre institutrice nous disait que, en même temps, c’était l’occasion de trouver d’autres manières de faire passer les choses… au travers de sa posture, des gestes utilisés, et surtout du regard. C’est moins direct, moins évident, mais ça permet d’explorer d’autres pistes, et elle observait que d’autres choses que d’habitude se développaient dans la relation, autrement.

De même, Dieu se donne à voir de manière indirecte, il est à rechercher dans les signes, les traces du quotidien. En l’occurrence, lors de la fête des Tentes, dans les dons et bénédictions reçues, et dont il faut se réjouir.

Parfois, ces signes peuvent passer par des paroles d’un autre, un ressenti, des pensées qui nous traversent, quelque chose de particulier que l’on vit…

Parfois, j’aimerais pouvoir avoir un contact plus direct que cela avec Dieu ; j’ai l’impression que cela me manque de ne pas pouvoir interagir avec lui de la même manière qu’avec mes proches autour de moi. Saisir son regard, lui sourire, se prendre dans les bras, sentir sa main sur mon épaule… 

Pourtant j’ai découvert aussi que, quand je vis ces instants de proximité avec un.e ami ou un.e membre de ma famille… et bien, je suis présente avec cette personne, mais pas avec les autres ! C’est un contact limité. 

Alors que la proximité de Dieu est autre : il sait se rendre présent partout, à chaque instant, pour chacun et chacune, et c’est à nous de prendre le temps de lire les signes de sa présence.

Dans le livre que je lis actuellement, le 1er de la série Outlander de Diana Gabaldon, l’héroïne, Claire, se retrouve dans une abbaye, en France, au 18ème siècle. Une nuit, à 2h du matin, elle accompagne un des abbés à la chapelle où se vit la prière perpétuelle, une heure que chaque frère consacre chaque jour à veiller auprès du Christ [représenté par le saint sacrement], afin qu’il y ait à chaque instant au moins un moine auprès de lui. A un moment, Claire s’aperçoit que le frère s’est absenté. Elle lui dit : mais, vous l’avez laissé seul ! Il lui répond que non, puisqu’elle-même était présente. Elle lui fait alors remarquer qu’elle-même étant agnostique elle ne comptait pas ! Le moine lui retourne alors la question : et vous, pendant cette heure, vous êtes-vous sentie seule ? Non, répond-elle après un instant de réflexion. Je n’étais pas seule…

Il ne s’était rien passé de précis pendant cette heure… sauf qu’elle était là, simplement, en silence et en compagnie de ses pensées… où un Autre, découvrit-elle, l’avait simplement rejointe. Une sorte de face à face, mais autrement.

Absence ou présence de Dieu… tout est une question de regard, du regard que l’on porte sur les choses, les événements… et les gens.

Si le texte du Deutéronome nous invite à porter un regard de reconnaissance et de joie sur ce qui nous est accordé, Jacques et Jésus nous invitent à une conversion du regard porté sur ceux et celles qui nous entourent.

Si j’arrive à percevoir cette présence agissante de Dieu dans ma vie, et à m’en réjouir… je ne peux pas faire l’économie de ne pas y inclure ces autres autour de moi ! 

Comment être dans la joie, si d’autres ne peuvent pas entrer dans cette joie ?

Dire que Dieu “tourne sa face” vers quelqu’un était une manière d’exprimer la faveur de Dieu à l’égard de cette personne. Dans l’extrait du Deutéronome, le Seigneur exhorte son peuple à ne pas se présenter devant sa face les mains vides.

C’est un des sens aussi de la fête des récoltes vécu la semaine dernière : partager le fruit de nos jardins, de nos vergers, de nos champs… mais c’est le sens aussi de toute vie croyante : faire bénéficier l’autre de ce qui nous a été accordé. Il s’agit de concrétiser sa foi en les bienfaits du Seigneur au travers d’actes concrets, de gestes, d’ouverture, en particulier auprès des plus démunis.

De même que nous avons parfois eu besoin que quelqu’un nous guide dans notre vie de foi ou notre existence [comme l’abbé dans le livre que je vous citais tout à l’heure], nous pouvons être la face de Dieu pour les autres, une manière de sa part d’être présent pour les autres, à travers nous.

Les 3 textes de ce jour nous invitent au fond à quelque chose de semblable : à voir la réalité en face. Tout d’abord en reconnaissant que ce que nous pouvons récolter nous vient aussi d’ailleurs, et que nous pouvons en être reconnaissants  –  et reconnaître que d’autres, à leur tour, ont besoin de nos dons, de notre présence, de notre soutien, de notre regard tourné vers eux, afin que tous et toutes aient part à la fête.

Dans l’épître aux Corinthiens, au chapitre 13, Paul nous dit que “Maintenant, nous voyons de manière confuse, comme dans un miroir” mais qu’à l’achèvement des choses, «nous verrons face à face.» Et qu’alors subsisteront 3 choses : la foi, l’espérance, et l’amour, la plus grande des 3 étant l’amour.

De tous les biens que nous aurons partagés, c’est celui-là, notre attention portée aux autres, le don de soi, qui restera.

Le Mahatma Gandhi le résumait ainsi :

Prends ton sourire et donne-le à celui qui n’en a jamais eu.

Prends un rayon de soleil et fais-le percer les ténèbres qui enveloppent la terre.

Découvre une source et purifie celui qui est dans la boue.

Prends une larme et dépose-la sur le visage de celui qui n’a jamais pleuré.

Prends ton courage et mets-le dans le cœur de celui qui ne peut plus lutter.

Découvre un sens à la vie, et partage-le avec celui qui ne sait plus où il va.

Prends dans tes mains l’espérance et vis dans la lumière de ses rayons.

Prends la bonté, et donne-la à celui qui ne sait pas donner.

Découvre l’amour, et fais-le connaître à l’humanité.

Quand Moïse a pu parler à Dieu face à face, son visage est devenu lui-même resplendissant de la lumière… (Exode 34, 29). Brillons, nous aussi, de cette lumière !

Amen.