Qu’est-ce qu’un culte ?

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L’hebdomadaire français « Réforme » a donné la parole, dans un numéro paru il y a quelques années, à deux théologiens qui s’expriment sur le sens du culte.

Antoine Nouis, pasteur réformé en région parisienne
Auteur de « Le sens du culte » (Ed. Olivetan)

Dans une perspective protestante, un culte n’est pas une œuvre que tu fais pour Dieu. Puisque ce n’est pas pour Dieu que tu le fais, c’est pour toi-même. Ce n’est pas une obligation que tu aurais vis-à-vis de Dieu, mais un exercice d’hygiène spirituel que tu fais pour toi. Notre monde et notre civilisation sont comme un gaz inodore, incolore et sans saveur qu’on inhale malgré tout, qui nous formate mais qui ne correspond pas aux valeurs de l’Evangile. Nous avons donc besoin d’un antidote. Le culte est l’un des antidotes à notre disposition.
Le culte est aussi une façon de se convertir. L’être humain est plus compliqué que ce qu’il croit. Il y a une part d’inconnu et d’inconscient. En nous se côtoient la foi et l’incrédulité, l’amour et la haine, comme Paul le dit aux Romains : « Je fais le mal que je ne veux pas et je ne fais pas le bien que je veux ». Il y a de l’obscur en moi que je contrôle mal. Le culte est une façon rituelle de parler à cette part inconnue de moi-même. La foi est plus une question d’habitation et de conversion de ma propre conscience. Pendant le culte, je récite le crédo. Je ne le dis pas à Dieu, car il sait bien si je crois ou pas, et je ne le dis pas non plus pour le voisin. Mais je dis à l’incrédule et au ténébreux qui est en moi que « je crois ». Il y a un côté thérapeutique par rapport à la foi, une façon de parler à mon inconscient.
C’est particulièrement vrai de la sainte cène. Genèse 3 nous parle du péché originel, qui n’est autre que le cœur du défi posé à l’humain : notre désir d’être Dieu. Au fond de chacun de nous, il y a un tyran qui sommeille, qui désire que les gens et les choses lui appartiennent. Le fruit mangé, il est en nous, mais nous ne savons pas très bien où. L’être humain n’est pas transparent à lui-même. Grâce à la sainte cène, ce Christ qui rentre par mon oreille lors de la prédication, je le mange aussi. Donc, je l’invite dans les zones obscures de moi-même. Le culte relève de cette perspective-là.

Pierre Prigent, historien du christianisme primitif
Auteur de « Aux sources de la liturgie » (Ed. Olivetan)

Nous avons transformé le culte en une réunion d’amateurs, de gens  qui s’accordent entre eux sur un certain nombre de valeurs, mais ça ne correspond pas du tout à ce qu’ont été les premières réunions cultuelles de l’Eglise primitive. Certes, les premiers chrétiens n’ont rien inventé, ils étaient les héritiers de la synagogue. Or, à la synagogue, on rappelle la loi de Dieu, puis on fait la lecture et le commentaire des écrits des prophètes. Tout tourne autour de l’obéissance à une conduite à tenir. Le judaïsme est donc une orthopraxie, alors que le christianisme est devenu une orthodoxie. On en s’intéresse pas à ce que l’on fait à mais à ce que l’on croit. La façon d’envisager le culte et son contenu a donc changé : on ne se base plus sur la Bible, l’Ancien Testament seul, mais on commence à lire les lettres de Paul et d’autres documents. On commence aussi à chanter, alors que le public ne chante pas dans la synagogue. Dans les cultes de l’Asie mineure à la fin du premier siècle, l’adoration joue un grand rôle, la liberté d’inspiration est réelle. Là se trouve l’origine du centre de nos cultes : la prédication.
Et puis, rapidement, tout va tourner autour de l’eucharistie, qui signifie étymologiquement « action de grâces ». Le centre, la justification et l’aboutissement du culte résident dans le fait de se réunir pour rendre grâce en participant à un repas que le Christ a inauguré. Par l’eucharistie, on actualise la commémoration de la sortie d’Egypte, qui est une libération. Mais nous ne célébrons pas une libération politique ou géographique, mais notre libération de la nature humaine faillible et encline au mal.
L’eucharistie est aussi une façon de rendre grâce pour nos nourritures terrestres, images de la nourriture véritable qui seule donne la vraie vie. Mais c’est aussi un repas comme préfiguration et anticipation du festin qui nous est promis dans le Royaume. Nous rendons grâce dès à présent pour cela, car notre sort éternel est déjà joué. Nous sommes participants à l’avance du Royaume.
Dans ce sens, les lectures, les commentaires et la prédication ne sont que les hors d’œuvre du vrai repas. Malheureusement, je constate que l’eucharistie n’est plus au centre du culte aujourd’hui.