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Lecture de la Bible
Esaïe 35,4-7a
Jacques 2,1-5
Marc 7,31-37
Prédication
de David Allisson largement reprise de Marie-Noëlle Thabut
Chers ami·e·s – mes chers frères, dit Jacques, mes chères sœurs – je me demande toujours, quand je lis ou entend des mots comme la lettre de Jacques aujourd’hui qui me demandent d’être fondamentalement inclusif·ve·s, comment y arriver toujours mieux. Je me demande comment arrêter de porter des jugements fondés sur de mauvaises raisons.
Esaïe transmet des paroles de joie et de promesse de guérison. Il transmet de la part de Dieu l’annonce de sources dans le désert, d’eau vive pour réhydrater un pays et des personnes à sec.
C’est déstabilisant, parce que cette promesse est faite pour tout·e·s et il semble que certain·e·s peuvent témoigner du bien que cette eau claire leur a fait alors que d’autres juste à côté semblent rester à sec toute leur vie.
Qui ou quoi fait ces distinctions entre les personnes ? La lettre de Jacques dit : « vous faites des distinctions entre vous et vous portez des jugements fondés sur de mauvaises raisons. » Jc 2,4
Après cette petite mention des mots de Jacques et d’Esaïe, je me concentre sur la manière dont l’évangile selon Marc décrit l’ouverture toujours plus large de Jésus pour l’inclusion. La progression du récit des évangiles montre Jésus s’éloigner toujours plus des distinctions et des jugements.
LA VENUE DU MESSIE CHEZ LES PAIENS
Jésus est venu pour les brebis perdues d’Israël, avait-il dit.
Après la discussion avec les Juifs sur les règles de pureté, Jésus était parti en territoire païen ; là, il a guéri la fille de la syro-phénicienne qui avait manifesté une foi que Jésus aurait bien voulu trouver auprès de ses compatriotes. Les épisodes suivants se déroulent également en territoire païen, en Décapole, plus précisément, le territoire des Dix Villes : c’était une confédération de dix villes grecques, pour la plupart situées à l’est du Jourdain, que Pompée avait soustraites à l’administration d’Hérode et rattachées à la province romaine de Syrie. C’étaient des villes de culture grecque et non juive, un pays non croyant comme on le dirait peut-être aujourd’hui. Marc ne précise pas de quelle ville il s’agit, ce n’est pas ça qui compte pour lui. C’est ici que se déroule l’épisode que nous lisons aujourd’hui, la guérison d’un homme qui était doublement infirme : il était à la fois sourd et bègue.
Marc a choisi soigneusement ce vocabulaire. Pour décrire le handicap de celui que Jésus va guérir, il ne le qualifie pas de « muet », mais il emploie un mot grec inhabituel que l’on ne rencontre ailleurs qu’une seule fois dans toute la Bible. Dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, la Septante, chez Esaïe dans une phrase qui caractérisait le Messie : « La bouche du bègue criera de joie » (Es 35,6, texte grec). C’est traduit dans la Bible en français courant que nous avons entendue : « les muets exprimeront leur joie. »
Jésus quitte donc la région de Tyr ; passant par Sidon, il prend la direction du lac de Galilée et se rend en plein territoire des Dix Ville, de la Décapole. Si vous consultez les cartes de géographie bibliques, vous verrez que c’est un tour de sagnard. C’est un peu comme si on allait de Fleurier à Couvet en passant par La Côte-aux-Fées, Le Lac des Taillères, Les Ponts-de-Martel et Travers.
C’est une manière de souligner que Jésus reste hors des régions du peuple élu, les brebis d’Israël. On lui amène un sourd-bègue, et on le prie de poser la main sur lui.
Alors, Jésus fait quelque chose qu’il n’avait jamais fait jusqu’ici, il emmène l’infirme à l’écart, loin de la foule et il fait sur lui les gestes que faisaient habituellement les guérisseurs : « Jésus l’emmena seul avec lui, loin de la foule ; il mit ses doigts dans les oreilles de l’homme et lui toucha la langue avec sa propre salive. »
Il fait les mêmes gestes que les guérisseurs, mais il va leur donner un sens nouveau : car, à partir de là, Jésus diffère des autres : « Il leva les yeux vers le ciel, soupira et dit : « Effata ! » ce qui signifie : « Ouvre-toi ! » » Mc 7,34
Le geste de lever les yeux au ciel est très clair : Jésus ne guérit que grâce au pouvoir que lui donne son Père.
Quant au soupir, à en croire le vocabulaire, il s’agit plutôt d’un gémissement : le même mot est employé dans les Actes des Apôtres par Etienne dans son discours pour décrire la souffrance du peuple d’Israël esclave en Égypte ; Paul emploie ce mot également pour dire l’impatience de la création captive en attente de sa délivrance : « La création entière gémit et souffre comme une femme qui accouche » (Rm 8,22) et il l’emploie encore quand il parle de l’Esprit Saint qui prie dans le cœur des croyants (Rm 8,26).
En Jésus qui gémit, n’y a-t-il pas tout cela ? L’humanité attendant sa délivrance ? Et aussi l’Esprit qui intercède pour nous ? Parce que notre souffrance ne peut pas laisser Dieu indifférent.
IL FAIT ENTENDRE LES SOURDS ET PARLER LES MUETS
Et voilà l’infirme guéri : « Les oreilles de l’homme s’ouvrirent, sa langue fut libérée, et il se mit à parler normalement. » Une fois de plus, Jésus donne une consigne stricte de silence : est-ce qu’il espère être obéi ? Peine perdue. « Jésus recommanda à tous de ne parler à personne ; mais plus il le leur recommandait, plus ils répandaient la nouvelle. Et les gens étaient impressionnés au plus haut point ; ils disaient : « Tout ce qu’il fait est vraiment bien : il fait même entendre les sourds et parler les muets ! » Mc 7,36-37
Peut-être bien sans le savoir, puisqu’ils sont des païens, ils citent les Écritures : « Tout ce qu’il fait est vraiment bien » est une reprise du constat de la Genèse ; se retournant sur l’œuvre qu’il avait faite en sept jours « Dieu constata que tout ce qu’il avait fait était une très bonne chose. » (Gn 1,31) ; « il fait entendre les sourds et parler les muets » est un rappel des promesses d’Esaïe pour le temps de bonheur qui s’ouvrira au moment de la venue du Messie :
« Alors les aveugles verront, et les sourds entendront. Alors les boiteux bondiront comme les cerfs et les muets exprimeront leur joie.» (Es 35,5-6 ; texte de la première lecture de ce dimanche).
Les promesses messianiques sont donc pour tous, Juifs et païens, croyants et non croyants, femmes et hommes.
Et, curieusement, ce sont les païens, apparemment, qui en déchiffrent le mieux les signes. Ils « répandaient la nouvelle » dit Marc ; là encore, il ne choisit certainement pas le mot par hasard ; c’est le même mot grec pour décrire Jean-Baptiste (Mc 1,4 « il lançait cet appel : « Changez de comportement, faites-vous baptiser et Dieu pardonnera vos péchés »), pour le lépreux aussi (Mc 1,45 « L’homme partit, mais il se mit à raconter partout ce qui lui était arrivé ») ; enfin, ce sera l’ordre donné par Jésus à ses apôtres après sa Résurrection (Mc 16,15 « Allez dans le monde entier, annoncer la Bonne Nouvelle à tous les êtres humains. »)
Cette attitude ouverte des païens contraste avec la difficulté des disciples : Marc accumule tout au long de son évangile de très mauvais points à leur propos, faisant ainsi ressortir la solitude de Jésus. A de multiples reprises, en effet, l’évangéliste rapporte des paroles très claires de Jésus sur leur difficulté à entrer dans son mystère : par exemple, après la parabole du semeur, « Vous ne comprenez pas cette parabole ? Alors comment comprendrez-vous toutes les autres paraboles ? » (Mc 4,13) ; à la fin de l’épisode de la tempête apaisée : « Pourquoi avez-vous si peur ? N’avez-vous pas encore confiance ? » (Mc 4,40-41) ; et surtout après la deuxième multiplication des pains : « Ne comprenez-vous pas encore ? Ne saisissez-vous pas ? Avez-vous l’esprit bouché ? Vous avez des yeux : ne voyez-vous pas ? Vous avez des oreilles : n’entendez-vous pas ? » (Mc 8,17-18). Cette surdité et cet aveuglement resteront jusqu’après la Résurrection de Jésus : « Il leur reprocha de manquer de foi et de s’être obstinés à ne pas croire ceux qui l’avaient vu vivant. » (Mc 16,14).
Alors nous comprenons mieux l’intérêt tout spécial que Marc porte au récit qui nous retient ici (la guérison du sourd-muet en Décapole, ce territoire des Dix Villes) et, un peu plus loin, à la guérison d’un aveugle à Bethsaïde, en territoire juif cette fois (deux récits qu’on ne lit que dans l’évangile de Marc) ; quoi qu’il en soit de nos lenteurs à croire, le temps messianique est bel et bien arrivé pour tous les humains. Comme l’avait encore dit Esaïe : « Ceux qui devraient voir n’auront plus les yeux aveuglés, ceux qui devraient entendre auront les oreilles grandes ouvertes.
Les gens irréfléchis se mettront à comprendre, les bègues s’exprimeront vite et clairement. » (Es 32,3-4).
Serons-nous comme ces païens, ces non croyants qui peuvent dirent « Tout ce qu’il fait est vraiment bien ! » ?
Arrêtons nos distinctions entre nous et nos jugements fondés sur de mauvaises raisons.
Jésus ouvre le ciel et nous ouvre à la présence et à la vie de Dieu.
« Effata ! » « ouvre-toi »
« Tout ce qu’il fait est vraiment bien ! »
Amen.
Bénédiction
Que le Seigneur te bénisse,
qu’il remplisse tes pieds de danses,
tes bras de force,
tes mains de douceur,
tes yeux de rire,
tes oreilles de musique,
ton nez de senteurs,
ta bouche d’allégresse,
ton cœur de joie –
qu’ainsi te bénisse le Dieu de miséricorde et d’amour, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Amen.