La porte est ouverte, sortons !

Prédication de David Allisson. 26 et 27 mars 2022, Couvet et Noiraigue.
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Photo de Caio provenant de Pexels

Lecture de la Bible

Luc 15,1-3.11-32

Prédication de David Allisson:

La porte est ouverte, sortons

Un père, deux fils.

Et nous qui écoutons le récit, qui le visualisons même assez bien, parce que nous sommes ici pour la plupart des lecteurs de la Bible. Nous avons entendu cette parabole de nombreuses fois. Nous avons souvent lu et relu ce texte.

Un père, deux fils et nous.

Un père.

Deux fils.

Nous.

Et nous sommes tous et toutes perdu·e·s. Le jeune fils est bien accompagné dans son expérience de perte, d’abandon et de misère.

La situation en Ukraine est un immense gâchis et des blessures sont ouvertes, chaque jour plus profondes. C’est peut-être une humanité ambitieuse et sûre d’elle en train de dépenser son héritage sans se rendre compte qu’elle est en train de tout perdre, comme l’un des fils. C’est peut-être une humanité jalouse des soins et de l’attention portés au plus jeune frère et qui préfère tout détruire plutôt que partager. Est-ce que c’est ce que voudrait bien faire le fils aîné ?

Le père est perdu : abandonné de ses deux fils : celui qui est parti et celui qui est resté pour son propre bien-être. Nous le verrons encore : pour chacun des fils, le père sort de chez lui pour les prier d’entrer l’un après l’autre.

Nous sommes perdus, nous aussi : blessés mortellement par la violence autour de nous et l’incertitude dans laquelle cela nous plonge.

Et nous voilà dans tous les rôles de la parabole :

– Nous sommes le père qui aimerait accueillir et rétablir les relations.

– Nous sommes le plus jeune fils qui aimerait vivre sa vie avec ce qui lui est promis et profiter des possibilités de ce qui s’offre à lui.

– Nous sommes le fils aîné qui a fait tout ce qu’il pouvait pour faire juste. Et il doit le constater : ce qui arrive est différent de ce qu’il s’était imaginé pour les uns et pour les autres.

Nous sommes perdus devant la situation de guerre et de violence en Ukraine et à bien des endroits du monde, jusque dans nos vies à nous, dans nos maisons. Nous sommes perdus devant la situation climatique qui continue de s’aggraver, et nous ne réalisons pas toujours cette gravité. Nous sommes perdus parce que la crise sanitaire du coronavirus n’est pas dépassée, les cas sont en augmentation et nous attendons encore un retour à la vie normale. Nous sommes perdus parce que pendant ce temps, les incertitudes, les inégalités et les injustices économiques et sociales se creusent encore et certains ressentent des manques concrets.

Alors, comment traverser cela ? Comment reprendre notre vie ?

Qu’est-ce qui va nous mener à la fête que nous aimons et qui nous ouvrira à la joie de l’accueil, de la présence et du partage ?

* * *

Le carême est un temps où les chrétiens sont invités à reconnaître et dire devant Dieu ce qui leur pèse, ce qui les culpabilise, ce qui les fait souffrir.

J’ai confiance que nous pouvons le faire devant Dieu qui sort de la maison pour nous accueillir sur le chemin où nous cherchons à nous approcher de lui.

J’ai confiance et j’ai du mal à croire que cela serve à quelque chose. On a déjà essayé et on a bien vu que cela n’améliore pas la situation.

J’ai confiance que je peux m’approcher du Dieu de la Vie avec le poids de mes erreurs et le vide des incapacités.

Je suis le fils prodigue et quand je me mets à l’écoute de la parabole aujourd’hui, je vois une porte ouverte et un père sorti à ma rencontre pour m’accueillir et me faire entrer pour la fête alors que j’ai tout perdu.

Je suis le fils aîné et quand je me mets à l’écoute de la parabole aujourd’hui, je vois une porte ouverte et un père sorti à ma rencontre pour m’accueillir et me faire entrer pour la fête. Et moi, j’étais plein de critiques pour ce frère qui a dépensé l’héritage sans respect du patrimoine, sans respect de mon père qui avait œuvré avant nous et sans respect de mon engagement alors que j’étais resté au travail. Non, je n’avais rien à fêter, vraiment !

J’ai du mal à choisir à qui je m’identifie dans le texte.

Comme je viens de le dire, je pense pouvoir me reconnaître dans chacune des figures du récit.

Dans une parole qui m’a été rapportée récemment, une dame disait que l’Église manque souvent de fils prodigues.

L’Église manque de fils prodigues.

Peut-être que nous avons besoin de sortir, partir au loin, faire des bêtises et dépenser tous nos biens. Peut-être aussi que nous pouvons apprendre et recevoir autrement cet élément que le jeune fils a en lui que les autres n’ont pas. Ce qu’il a et que les autres n’ont pas, c’est un détachement complet, un renoncement à tout. C’est parce qu’il a fait l’expérience de l’impuissance totale, qu’il a pu voir la dernière chose qui lui restait : la confiance qu’un autre pouvait quelque chose pour lui.

Le jeune fils a recueilli son héritage et ses richesses. Ensuite, il est parti et en a fait usage au point de tout dépenser et d’être dépossédé de tout. Il a même perdu sa fierté, son assurance et sa confiance en lui.

Il ne lui est resté qu’une seule chose : la confiance que son père pouvait quelque chose pour lui. Et remarquez que sur ce point, il n’a plus rien non plus : ce n’est pas parce qu’il est fils qu’il pense cela, c’est parce que le père dont il se souvient a des ouvriers qu’il traite correctement. Et le fils a confiance en son père qu’il peut le traiter correctement à la manière dont il traite ses ouvriers. Il n’attend pas de son père qu’il le reprenne comme fils. Il attend de son père qu’il le fasse travailler pour qu’il puisse reprendre contact avec la vie en gagnant sa nourriture et son logement.

* * *

La porte de la maison est ouverte. Le père le sait et il en fait usage : il sort sur le chemin pour courir à la rencontre de son fils. Il l’accueille comme le membre de la famille qu’il est encore à ses yeux. Il garde la maison à portée de voix pour demander que ceux qui y sont resté organisent la fête et préparent des habits propres. Pendant ce temps, il est sur le chemin pour accueillir et accompagner le fils qui cherche refuge.

La porte de la maison est ouverte. Le père le sait et en fait usage : il sort devant la maison pour aller chercher le fils qui ne veut pas rentrer après son travail à proximité. On lui a dit que la fête était pour son frère et il n’est pas d’accord. Lui a toujours tout fait juste et il n’y a jamais eu de bête tuée pour une fête en son honneur. Il n’y a pas de raison qu’il se joigne aux réjouissances.

La porte est ouverte et ce n’est pas une invitation qui nous est faite. La porte est ouverte et c’est un appel à sortir sur le chemin pour accueillir et accompagner celles et ceux qui s’approchent de chez nous. La porte est ouverte et c’est un appel à sortir devant la maison pour rappeler à celles et ceux qui pensent avoir fait tout juste qu’il y ont aussi leur place puisque c’est aussi leur maison.

Pour accéder à la joie inconditionnelle de la fête ordonnée par le père, nous avons besoin d’une chose, une seule : le détachement.

Nous sommes attachés à nous-mêmes quand nous pensons, comme le jeune fils, que nous ne valons rien, que nous ne pouvons rien et que nous ne sommes rien. Alors, détachons-nous et voyons que la Vie nous rejoint pour nous faire les honneurs de sa présence et de la joie qu’il y a en elle.

Nous sommes attachés à nous-mêmes quand nous sommes sûrs d’avoir fait tout juste et que nous trouvons que nos efforts ne sont pas reconnus, à la manière du fils aîné. Alors, détachons-nous et voyons que la Vie nous appelle à la rencontre et à partager la présence et la joie avec les compagnes et compagnons qui nous sont donnés.

Aujourd’hui, vous vous êtes détachés de vous-mêmes pour participer avec d’autres au recueillement, à la prière, à la méditation et à la rencontre. Vous pressentez la joie inconditionnelle que le Dieu de Vie ouvre et partage.

Vous êtes en carême parce que vous vous êtes détaché des poids et des préoccupations de votre quotidien pour venir ici prendre un moment d’abandon, d’ouverture et d’accueil.

La porte reste ouverte.

Nous sortirons tout à l’heure pour aller à notre tour sur nos chemins à la rencontre, à l’accueil et à l’appel renouvelé à se joindre à l’autre et participer ensemble à la joie de la fête et de la Vie.

Cela nous arrivera non pas parce que nous en sommes dignes, que nous l’avons mérité ou que nous le payerons par notre travail. Cela nous arrivera parce que le Dieu de Vie tient sa porte ouverte et sort à notre rencontre.

A nous de nous laisser mener, malgré notre sentiment d’indignité et malgré le fait que nous pensons avoir fait plutôt juste jusqu’ici.

La porte est ouverte et la Vie vient à notre rencontre.

Amen.

Intercession

Seigneur, la porte est ouverte, tu nous le promets. La porte est ouverte et tu viens à notre rencontre pour nous accueillir et nous inviter à la fête de la Vie.

Donne-nous d’être assez détachés de nous-mêmes pour nous ouvrir à ta rencontre. Donne-nous de passer ta porte ouverte pour sortir et porter ta vie à celles et ceux que nous rencontrons et côtoyons.

Seigneur, ouvre nos yeux, nos cœurs et nos mains pour comprendre le monde et nous y engager à ton service. Que ta Vie nous anime et nous incite à accompagner celles et ceux qui ont de la peine à avancer.

Nous prions pour les personnes qui s’engagent dans les paroisses, les associations, les sociétés locales. Renouvelle leurs forces et leur motivation.

Nous prions pour les personnes qui travaillent pour la paix dans le monde, pour que leur amour de l’humanité rejoigne ton amour, Seigneur.

Ne nous laisse pas satisfaits de notre engagement, mais renouvelle notre curiosité pour la vie et pour les besoins de celles et ceux qui nous entourent. Au nom du Christ, amen.