Marie Torel – un regard féminin sur l’histoire religieuse de Neuchâtel

Promenade historique avec celle qui est devenue l’épouse du réformateur Guillaume Farel.

Cette promenade historique mène sur les traces de Guillaume Farel par un regard féminin en s’approchant de la condition de vie des femmes du 16e siècle. Elle ne parle pas uniquement de l’histoire, mais aussi de la spiritualité, la culture, elle est une découverte du passé en particulier de l’histoire des femmes, la rencontre avec des personnages historiques qui ont contribué à forger le Neuchâtel d’aujourd’hui avec ses forces et ses faiblesses.

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1ère station: Péristyle de l’Hôtel de Ville

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Rendez-vous pour le mariage d’un couple bien étrange : une jeune fille au début de sa vie de femme avec un homme « au bord de la fosse » : Marie Torel avec Guillaume Farel. Tout le monde s’étonne de ce mariage et se demande si c’est par amour ou sollicitude que ce vieil homme de 69 ans prenne une jeune réfugiée française de 18 ans. Marie est une femme pieuse et modeste et elle paraît être une bonne épouse. Jean Calvin, le grand ami de Guillaume Farel, n’approuve point cette grande différence d’âge. Il essaie d’en dissuader Farel. Mais ce dernier se marie avec Marie Torel un mardi 20 décembre avant Noël 1558 à l’église comme il était l’usage.

Les engagements du mari et de la femme ne sont pas les mêmes à cette époque : le mari s’engage à protéger sa femme, à l’aimer et la soutenir dans sa foi, d’être loyal comme il est écrit, tandis que la femme s’engage à obéir, à le servir et à lui être soumise comme il est écrit dans les Saintes Ecritures.

Au Péristyle (construit de 1784-1790) on se marie civilement de nos jours sous les yeux de Minerve au fronton – symbole de la tolérance et la liberté.

2e station : le Port et sa Cabile à gélines

 

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Ce nom mystérieux cache l’instrument à éduquer les femmes de mauvaise vie. Les manuels des Quatre-Ministraux, chargés du maintien quotidien de l’ordre en ville, mentionnent souvent l’enfermement de femmes dans la cabile à gélines (cabane à poules) installée au port. Ce nom exprime ce que l’on reproche aux personnes qu’on y enferme : mauvaise vie, mascarades, ivresse, rixes, adultère. Ordinairement on met les hommes fauteurs de troubles à la javiole (cage avec grillage), mais faute de place le magistrat les fait également enfermer dans la cabile à gélines, sans doute cela représente une humiliation supplémentaire. La dénonciation était encouragée !

Le port se trouve au 16e vers la rue des Epancheurs. C’est là que les pêcheurs abordent avec leurs barques et épanchent leur filets pour les faire sécher (épanchoir sert à l’épanchage de filets). Par contre les bateaux de marchandises suivent le Seyon jusqu’à la Croix du Marché.

3e station : Promenade Noire

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Cette rue n’est construite qu’au 3e quart du 19e, son nom vient de l’ombre intense que les arbres jetaient sur la promenade (avant d’abattre les arbres et de construire la 2e rangée des maison).

Au 16e une grève étendue à cet emplacement donne l’occasion idéal pour laver et étendre le linge puisqu’on utilise l’eau du lac ou de la rivière s’il n’y avait pas de puits pour laver son linge. A la Réformation le mariage est d’une part revalorisé et d’autre part le rôle de l’homme renforcé dans sa position de père de famille. Les femmes reçoivent un nouveau statut, une reconnaissance en tant que mère, ménagère et gouvernante, souvent les ménages sont importants et il faut assumer l’hospitalité envers des gens de passage. Elles sont aussi responsables de l’éducation de leurs enfants. Luther dit que c’est la tâche la plus noble et chère du monde. Des femmes célibataires et des moniales sont vues comme des égoïstes. Ainsi le protestantisme pose les bases idéologiques pour une nouvelle éviction des femmes de la vie politique, économique et sociale. Par contre c’est la fin des corporations de femmes. Dès la fin du 18e on construit des buanderies municipales é cet endroit.

4e station : Place du Coq d’Inde

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Au 16e s. l’aspect de cette place est totalement différent. Au no 10 une seule maison – qui sert de balance pour peser les marchandises – est installée en même temps que la maison de Halles bâtie entre 1569 et 1574 par Léonor d’Orléans-Longueville. La première sera détruite en 1730 déjà. On dit que le grand incendie de 1450 serait partie quelque part dans ce quartier par mégarde d’une servante maladroite. Pour toute sorte de malheurs on accuse généralement les femmes que l’on considère comme inférieure dû au lourd héritage d’Aristote dont sa définition d’une femme est reprise dans la foi moyenâgeuse : « une femmelette n’est qu’un homme estropié et ses règles mensuelles sont la semence, mais cette semence n’est pas pure, il lui manque la source de vie… » Le protestantisme introduit des règles morales sévères, pas uniquement pour réprimer le plaisir des gens mais aussi pour protéger les femmes d’être abusées et de grossesses illégales. Les époux ont les mêmes devoirs l’un face à l’autre malgré une soumission « naturelle » attendus des femmes. Une égalité entre les sexes concerne le droit au divorce sauf que dans l’application les hommes sont largement favorisés. De plus frapper une femme est indigne pour un chrétien.

5e station : La pommière vers chez Perrot (Rue du Pommier)

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C’est le lieu des fêtes du sabbat et les bûchers. Pourquoi la pommière ? En neuchâtelois jusqu’au 20e siècle, on parle volontiers d’une pommière pour désigner un pommier, sans doute pour souligner la fécondité et la générosité de cet arbre familier en le féminisant. La courte rue s’appelle alors rue de la Pommière, elle est un cul de sac avec un aspect très populaire. La tradition rapporte qu’elle tire son nom initial de la fameuse pommière vers chez Perrot, un arbre maléfique, alter ego de l’arbre d’Eden, sous lequel les sorcières du pays se réunissent. L’existence de cette pommière satanique est encore mentionnée dans un procès de 1640 et semble être bien ancré dans la mémoire collective vu que le petit escalier a gardé le nom populaire de l’escalier de la sorcière.

Dès le XVIe s. la torture est utilisée plus largement. Un moyen horrible qui permet de savoir si une femme est une sorcière consistait à la jeter nue à l’eau, les mains et pieds attachés ensemble pour l’empêcher de surnager. Une sorcière étant — en théorie — plus légère que l’eau, si elle flottait, elle était aussitôt repêchée et brûlée vive. Si elle se noyait, c’est qu’elle était morte innocente.

6e station : Escalier de la sorcière ou du bourreau

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Cet escalier porte également le nom de l’escalier du bourreau – un nom non officiel comme celui des sorcières, mais très significatif puisqu’en le remontant, on atterrit au parquet du tribunal (rue du Château) et au sud de la ruelle Bellevaux se trouve la maison du maître des hautes-oeuvres (alias bourreau).

Pourquoi cette chasse à la sorcière qui a repris après une accalmie pour la plus belle au 16e et 17e siècle ? Les femmes seraient mauvaises de nature car elles douteraient facilement et renieraient pour un rien leur foi ce qui est une base pour la sorcellerie. D’après la théorie de Thomas d’Aquin (13e s.) le mot femina : fe = foi, mina = minus – indiquerait que les femmes ont moins de foi . En réalité ce mot vient de celle qui allaite (fellare = têter, sucer ou feo = produire, enfanter).

Comment devient-on une sorcière ? Cela tient beaucoup au non-statut d’une femme seule surtout si elle ne trouve pas d’accueil dans sa famille. Des jalousies, des peurs se réveillent qu’elle pourrait voler le mari ou être au profit d’un héritage. On les accuse de sorcellerie parce qu’elles connaissent quelques recettes et secrets dans l’art de guérir en pratiquant la médecine populaire. Ces « bonnes femmes » sont aussi des sages-femmes, des vétérinaires, à une époque où n’existe que très peu de vrais médecins (un à Neuchâtel, un autre à Yverdon et un à Estavayer). Malgré ce manque l’Eglise protestante décrète qu’une femme ne peut guérir sans avoir fait des études.

7e station : route de France ou rue Jehanne de Hochberg

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La route de France (aujourd’hui appelée rue Jehanne de Hochberg) constitue le seul accès occidental de la ville de Neuchâtel du temps de Marie Torel. Elle est entrée par là avec sa famille lors de son immigration à Neuchâtel suite aux événements de la rue St-Jacques à Paris du 4 septembre 1557. C’est alors que l’assemblée des protestants à Paris est découverte par des prêtres qui habitent en face du lieu de la réunion, à la Rue St-Jacques. 128 personnes se sont faites prisonnières, dont beaucoup de femmes nobles. Elles sont amenées au Châtelet sous les injures « putains de Satan » et de mauvais traitements de la foule. Des exécutions cruelles ont commencé rapidement tandis que les persécutions redoublent dans d’autres lieux. Au total, sept femmes finissent sur le bûcher après avoir été traînées par les cheveux avec la langue coupée. Calvin a écrit à l’une ou l’autre parmi elles pour les encourager.

8e station : Esplanade de la Collégiale

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Un couvent de femmes à Neuchâtel ? Serait-ce uniquement une légende que la reine Berthe ait fondé en 930 deux couvents voisins sur la colline du château ? Le chroniqueur Jonas Boyve rapporte cette histoire. Mais ils auraient été détruits en 1205 car la fille du comte Ulrich III, alors abbesse du couvent des religieuses, se serait trouvée enceinte et aurait accusé l’abbé du couvent des moines de l’avoir séduite. Pendant la Réformation beaucoup de nonnes partent des monastères et se marient avec des anciens prêtres. Parfois elles sont forcées de partir, certaines résistent et ont la permission de retourner dans leur couvent.

Quelques centaines d’années plus tard, la chapelle de St-Guillaume de la Collégiale accueille Guillaume Farel pour son ultime repos. Sa fin est douce et paisible. Il meurt le 13 septembre 1565 à l’âge de 76 ans. C’est un jour de grand deuil à l’Eglise, pas seulement à Neuchâtel mais dans les deux comtés. Il laisse un héritage modeste à son fils, le petit Jean, né six ans après le mariage et baptisé le 22 juin 1564 accompagné de ses deux parrains, le gouverneur J.J. de Bonstetten (mort de la peste en 1576, originaire l’Emmental bernois) et Jean Fathon, pasteur à Colombier.

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