Neuch\u00e2tel \u2013 Coll\u00e9giale, 03.09.2023 \u2013 Pierre B\u00fchler<\/p>\n\n\n\n
Gen 2,15
Le Seigneur Dieu prit l\u2018homme et l\u2019\u00e9tablit dans le jardin d\u2019Eden pour cultiver le sol et le garder.
H\u00e9breux 11,13-16
(13) Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la r\u00e9alisation des promesses, mais apr\u00e8s les avoir vues et salu\u00e9es de loin et apr\u00e8s s\u2019\u00eatre reconnus pour \u00e9trangers et voyageurs sur la terre. (14) Car ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu\u2019ils sont \u00e0 la recherche d\u2019une patrie ; (15) et s\u2019ils avaient eu dans l\u2019esprit celle dont ils \u00e9taient sortis, ils auraient eu le temps d\u2019y retourner ; (16) en fait, c\u2019est \u00e0 une patrie meilleure qu\u2019ils aspirent, \u00e0 une patrie c\u00e9leste. C\u2019est pourquoi Dieu n\u2019a pas honte d\u2019\u00eatre appel\u00e9 leur Dieu ; il leur a, en effet, pr\u00e9par\u00e9 une ville.
H\u00e9breux 13,1-2
Que l\u2019amour fraternel demeure. N\u2019oubliez pas l\u2019hospitalit\u00e9, car, gr\u00e2ce \u00e0 elle,
certains, sans le savoir, ont accueilli des anges.
Jean 17,15-19
(15) Je ne te demande pas de les \u00f4ter du monde, mais de les garder du Mauvais.
(16) Ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde. (17) Consacre-les
par la v\u00e9rit\u00e9 : ta parole est v\u00e9rit\u00e9. (18) Comme tu m\u2019as envoy\u00e9 dans le monde, je
les envoie dans le monde. (19) Et pour eux je me consacre moi-m\u00eame, afin qu\u2019ils
soient eux aussi consacr\u00e9s par la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n
Ch\u00e8re communaut\u00e9 de la Coll\u00e9giale,
Comme je le disais en ouverture du culte : en ce moment, dans les C\u00e9vennes, se
d\u00e9roule le culte de l\u2019assembl\u00e9e du d\u00e9sert, en souvenir des exil\u00e9s huguenots, avec le th\u00e8me \u00ab \u00e9trangers et voyageurs sur la terre (et sur la mer) \u00bb. En m\u00eame temps, dans de nombreuses paroisses en Suisse et ailleurs, c\u2019est le culte pour l\u2019ouverture du temps de la cr\u00e9ation, le mois de septembre, consacr\u00e9 \u00e0 notre rapport \u00e0 la terre, cr\u00e9ation de Dieu. C\u2019est cette co\u00efncidence qui me conduit \u00e0 formuler le th\u00e8me de ce culte de mani\u00e8re un peu paradoxale : \u00ab \u00e9trangers sur la terre \u2013 et soucieux de la terre \u00bb. \u00c9trangers en ce monde, et pourtant soucieux d\u2019y assumer notre responsabilit\u00e9. Cette tension caract\u00e9rise, me semble-t-il, l\u2019existence chr\u00e9tienne, et nous voulons y r\u00e9fl\u00e9chir un moment ce matin.
Commen\u00e7ons par l\u2019un des deux p\u00f4les : \u00ab \u00e9trangers sur la terre \u00bb. Dans son
chapitre 11, l\u2019\u00e9p\u00eetre aux H\u00e9breux fait une longue liste de croyants qui ont d\u00fb
quitter leur patrie et se mettre en chemin, en commen\u00e7ant par le patriarche
Abraham. C\u2019est pourquoi il y a eu beaucoup d\u2019Abrahams chez les anciens
huguenots (mais aussi chez mes anc\u00eatres mennonites, chass\u00e9s de leurs terres par les r\u00e9form\u00e9s zurichois ou bernois). Ainsi, comme Abraham, les croyants sont appel\u00e9s \u00e0 se reconna\u00eetre \u00ab \u00e9trangers et voyageurs sur la terre \u00bb, dit l\u2019\u00e9p\u00eetre aux H\u00e9breux. Car ils sont toujours en chemin vers une autre patrie, qui n\u2019est pas sur cette terre ici-bas. C\u2019est une ville que Dieu leur a pr\u00e9par\u00e9e, dit aussi notre texte, pensant sans doute \u00e0 la nouvelle J\u00e9rusalem. En d\u2019autres mots, on pourrait dire aussi, de mani\u00e8re un peu provocatrice : spirituellement, les croyants sont des gens du voyage ; spirituellement, ils sont des SDF, sans domicile fixe. Pour utiliser une formule de l\u2019ap\u00f4tre Paul, on pourrait dire : s\u2019ils s\u2019installent ici-bas, c\u2019est comme s\u2019ils ne s\u2019installaient pas ; s\u2019ils se mettent \u00e0 devenir propri\u00e9taires, c\u2019est comme s\u2019ils ne poss\u00e9daient pas ; s\u2019ils usent du monde, c\u2019est comme s\u2019ils n\u2019en usaient pas, car leur existence croyante a son fondement ailleurs.
Cette distance int\u00e9rieure a pu conduire, dans le christianisme primitif, \u00e0 un m\u00e9pris du monde. <\/p>\n\n\n\n
Au IIe si\u00e8cle, des dissidences chr\u00e9tiennes, les valentiniens, par
exemple, enseignaient que ce monde a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 mauvais par un d\u00e9miurge, que les \u00e2mes prisonni\u00e8res de corps mortels doivent s\u2019en d\u00e9tacher, laisser derri\u00e8re elles ce monde obscur pour rejoindre une patrie de lumi\u00e8re. Les P\u00e8res de l\u2019\u00c9glise ont combattu ces mouvements qu\u2019on peut appeler gnostiques, pour souligner que non, cette terre n\u2019est pas mauvaise, qu\u2019elle est la bonne cr\u00e9ation de Dieu, que le croyant peut vivre pleinement dans son corps, et qu\u2019il ne doit donc pas m\u00e9priser le monde, mais s\u2019en soucier, m\u00eame si, fondamentalement, il ne fait qu\u2019y passer.
C\u2019est aussi ce que souligne le passage de l\u2019\u00e9vangile de Jean : les disciples ne sont
pas du monde, comme J\u00e9sus n\u2019est pas du monde. Mais il ne s\u2019agit pas pour autant de les \u00f4ter de ce monde. Comme J\u00e9sus a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 dans le monde, ils sont eux aussi envoy\u00e9s dans le monde. Ils sont donc dans le monde, sans \u00eatre de ce monde.
Cela nous permet de rejoindre le second p\u00f4le de notre tension de d\u00e9part :
\u00ab \u00e9trangers sur la terre \u2013 et pourtant soucieux de la terre \u00bb. C\u2019est la raison de mon texte de l\u2019Ancien Testament, du chapitre 2 de la Gen\u00e8se : Dieu \u00e9tablit l\u2019\u00eatre humain dans le jardin \u00ab pour cultiver le sol et le garder \u00bb. Prendre soin de la terre, la pr\u00e9server, dans l\u2019usage responsable de ce qu\u2019elle nous offre. \u00catre gardien de la plan\u00e8te, telle est la t\u00e2che confi\u00e9e par Dieu \u00e0 l\u2019\u00eatre humain. Vous aurez remarqu\u00e9 qu\u2019\u00e0 dessein, je n\u2019ai pas choisi Gen\u00e8se 1, car l\u00e0, il est question de \u00ab dominer \u00bb la terre, et cela a suscit\u00e9, \u00e0 travers l\u2019histoire, le faux sentiment que nous pouvions poss\u00e9der cette terre, l\u2019asservir et l\u2019exploiter. Et nous savons aujourd\u2019hui combien un tel rapport de possession et d\u2019exploitation, pratiqu\u00e9 \u00e0 outrance, a fragilis\u00e9 notre plan\u00e8te, l\u2019a rendue vuln\u00e9rable, ce qui se traduit aujourd\u2019hui par des temp\u00eates, des \u00e9boulements, des inondations, des incendies de for\u00eats \u00e0 n\u2019en plus finir. <\/p>\n\n\n\n
Nous avons voulu domestiquer la nature, et voil\u00e0 qu\u2019elle redevient dangereuse, hostile, comme l\u2019ont v\u00e9cu les Chaux-de-Fonniers le 24 juillet dernier, mais aussi bien d\u2019autres \u00eatres humains de par le monde, confi\u00e9 \u00e0 des gardiens, mais qui sont devenus trop souvent des pr\u00e9dateurs\u2026
En quoi est-ce que le fait de se savoir \u00e9tranger sur la terre peut nous rendre plus
soucieux de la terre ? Y a-t-il ici une chance \u00e0 faire valoir dans cette id\u00e9e que se
sachant \u00e9tranger, cela peut modifier notre rapport \u00e0 tout ce qui nous entoure ?
J\u2019aimerais tenter de r\u00e9pondre \u00e0 ces questions par quelques \u00e9l\u00e9ments \u2013 il y en aura quatre.
a) En \u00e9tant \u00e9trangers et voyageurs, nous sommes plus conscients du fait que tout ce qui fait notre monde ne nous appartient pas, n\u2019est pas simplement \u00e0
disposition, que le monde nous reste aussi pour une part indisponible. Nous
savons mieux la dimension fragile, pr\u00e9caire de notre condition humaine. J\u2019aimerais illustrer cela par quelques lignes du philosophe Blaise Pascal, dont nous f\u00eatons cette ann\u00e9e le 400e anniversaire. Au coeur du XVIIe si\u00e8cle, si\u00e8cle de grandes conqu\u00eates, o\u00f9 l\u2019on affirme que l\u2019homme s\u2019est rendu ma\u00eetre de toutes choses par les sciences et la technique, c\u2019est comme si Pascal pressentait l\u2019ins\u00e9curit\u00e9 qui nous habite en \u00e9crivant dans ses Pens\u00e9es : \u00ab Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, pouss\u00e9s d\u2019un bout vers l\u2019autre ; quelque terme o\u00f9 nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle, [\u2026] il \u00e9chappe \u00e0 nos prises, nous glisse et fuit d\u2019une fuite \u00e9ternelle [\u2026]. Nous br\u00fblons du d\u00e9sir de trouver une assite [assise] ferme, et une derni\u00e8re base constante pour y \u00e9difier une tour qui s\u2019\u00e9l\u00e8ve \u00e0 [l\u2019]infini, mais tout notre fondement craque et la terre s\u2019ouvre jusqu\u2019aux ab\u00eemes. \u00bb
b) Si nous sommes conscients de cette fragilit\u00e9, nous ne pouvons plus rester dans des rapports de possession et d\u2019exploitation. En \u00e9tant \u00e9trangers sur ce\udbc0\udda9e terre, nous devons nous mettre \u00e0 la recherche d\u2019un autre rapport au monde. J\u2019aimerais \u00e9voquer cela avec un texte dont nous c\u00e9l\u00e9brons aussi un anniversaire : ce texte publi\u00e9 il y a 80 ans, en 1943, c\u2019est le Petit Prince de St. Exup\u00e9ry. Vous vous souvenez peut-\u00eatre, dans son exploration des plan\u00e8tes, le petit prince arrive sur la plan\u00e8te du businessman. Le businessman ne cesse de compter les \u00e9toiles qu\u2019il poss\u00e8de. \u00ab Et que fais-tu de ces \u00e9toiles ? \u00bb, demande le petit prince. \u00ab Rien. Je les poss\u00e8de. \u00bb \u00ab Et \u00e0 quoi cela te sert-il de poss\u00e9der les \u00e9toiles ? \u00bb \u00ab \u00c7a me sert \u00e0 devenir riche. \u00bb Le petit prince insiste : \u00ab Et \u00e0 quoi cela te sert-il d\u2019\u00eatre riche ? \u00bb
R\u00e9ponse : \u00ab \u00c0 acheter d\u2019autres \u00e9toiles, si on en trouve. \u00bb Laissons ce businessman qui r\u00eave de placer ses \u00e9toiles en banque. Car plus tard, un renard permet au petit prince d\u2019imaginer une autre relation : le renard propose de s\u2019apprivoiser l\u2019un l\u2019autre, en s\u2019approchant tout doucement, et le petit prince demande ce que veut dire \u00bbapprivoiser \u00bb. Le renard r\u00e9pond : \u00ab \u00c7a signifie cr\u00e9er des liens. <\/p>\n\n\n\n
Si tu m\u2019apprivoises, nous aurons besoin l\u2019un de l\u2019autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde. \u00bb Et un peu plus tard : \u00ab Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivois\u00e9. \u00bb Alors la terre, faut-il la poss\u00e9der, pour la placer en banque ? Ou faut-il cr\u00e9er des liens avec elle, pour la d\u00e9couvrir unique au monde ? Pour vivre en r\u00e9sonance avec elle, et en devenir responsable ?
c) Le fait de se savoir \u00e9tranger sur la terre doit nous inciter \u00e0 pratiquer l\u2019hospitalit\u00e9, nous dit l\u2019\u00e9p\u00eetre aux H\u00e9breux (13,2). En regardant le texte grec, on d\u00e9couvre que le mot \u00ab hospitalit\u00e9 \u00bb traduit le grec \u00ab philoxenia \u00bb, donc litt\u00e9ralement : \u00ab l\u2019amour de l\u2019\u00e9tranger \u00bb, \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 de la \u00ab xenophobia \u00bb, la peur de l\u2019\u00e9tranger. En nous sachant \u00e9trangers, nous pouvons accueillir l\u2019\u00e9tranger, ce qui vient nous interpeller de
l\u2019ext\u00e9rieur, ce qui vient nous sortir de nos partis-pris, de nos pr\u00e9jug\u00e9s, de nos
habitudes, de nos cloisons. Notre texte dit : gr\u00e2ce \u00e0 cet amour de l\u2019\u00e9tranger,
\u00ab certains, sans le savoir, ont accueilli des anges \u00bb. Encore une allusion \u00e0
Abraham ! Il accueille des \u00e9trangers qui s\u2019av\u00e8rent \u00eatre des messagers de Dieu (Gen 18). C\u2019est ce que veut dire \u00ab angelos \u00bb en grec : un messager. Aujourd\u2019hui, ce messager vient nous dire que le souci de la terre, c\u2019est aussi le souci de Dieu, du Cr\u00e9ateur, pour toutes ses cr\u00e9atures, aussi et m\u00eame surtout les plus petites d\u2019entre elles. Calvin disait : toutes les cr\u00e9atures, et m\u00eame les petits oiselets\u2026
d) Cela me conduit \u00e0 mon dernier point. Bient\u00f4t, nous c\u00e9l\u00e9brerons le 175e
anniversaire de notre Constitution suisse. Occasion de dire notre reconnaissance pour ce texte trop souvent oubli\u00e9, trop souvent non respect\u00e9. Aujourd\u2019hui, c\u2019est une petite phrase du pr\u00e9ambule qui m\u2019interpelle : \u00ab la force de la communaut\u00e9 se mesure au bien-\u00eatre du plus faible de ses membres \u00bb. Belle proposition de nous voir unis comme une communaut\u00e9, loin des rapports de force et des jeux de pouvoir. Et belle suggestion \u2013 \u00e9vang\u00e9lique en somme \u2013 de nous donner comme crit\u00e8re de la force de notre communaut\u00e9 le bien-\u00eatre du plus faible de ses membres. Voil\u00e0 la force renvers\u00e9e en tout autre chose que la possession et l\u2019exploitation, voil\u00e0 la force transform\u00e9e en accueil, en r\u00e9sonance, en sauvegarde.
Que les chr\u00e9tiennes et chr\u00e9tiens, \u00e9trangers sur la terre et pourtant soucieux de
cette terre, puissent devenir un ferment de cette transformation. Amen<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"