Une nourriture vivifiante

Prédication de Constantin Bacha – 28 juillet 2024 – Collégiale de Neuchâtel

Actes 2, 42 et 46 (TOB)

Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. (…) Unanimes, ils se rendaient chaque jour assidûment au temple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse et la simplicité de cœur.

Marc 14, 22-25 (TOB)

Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu. »

Prédication

Nous l’avons dit lors du dimanche 30 juin qui ouvrait cette série des cultes d’été autour du thème « Les Repas dans la Bible » : le plus grand génie de Dieu c’est de mettre ses pieds dans nos plats. Autrement dit de nous interpeller, nous bousculer, nous ouvrir à l’émerveillement, en incorporant à notre menu le pain de vie et le vin du partage.

Le partage d’un repas est devenu le symbole de la mort et de la résurrection du Christ, la Sainte-Cène, un geste, une célébration, le banquet par excellence qui nous rappelle la présence de Dieu dans nos vies, dans notre quotidien.

Sans pain et eau, sans nourriture qui maintient nos corps, nous ne survivrons pas. Manger et boire sont indispensables à notre vie. Nous n’inventons rien en disant cela.

Nombreux sont les passages bibliques qui évoquent des histoires et des situations qui se déroulent autour d’un repas.

Dans notre texte des Actes des apôtres, suite à l’effusion de l’Esprit Saint à la Pentecôte, un dynamisme s’est développé au sein de la communauté naissante, au point qu’« Ils étaient assidus (…) à la communion fraternelle, à la fraction du pain, aux prières. (…) rompant le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse … »

Cette description de l’Église primitive nous donne l’impression que la communauté des croyant.e.s vivait dans une unité parfaite, inébranlable. Une vision paradisiaque, loin de la réalité qui était bien plus nuancée. Il faudrait prendre l’ensemble des Actes des apôtres pour essayer de comprendre la réalité de l’Église naissante.

Pourtant, cette image d’une communauté unie dans la communion fraternelle (κοινωνίᾳ), rassemblée, fractionnant le pain, partageant les repas dans la joie, est une des choses qui devrait inspirer nos églises – et même notre monde qui se déchire et se divise.

Bien que les images de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Paris – avec des personnes venant de différentes nations et de toute origine – mettaient un peu de baume sur nos cœurs attristés par la réalité, la misère et les atrocités qui se déroulent sous nos yeux continuent de provoquer en nous un sentiment d’impuissance et de dégoût.

Alors que, au début de ce même 2ème chapitre des Actes, nous lisons (vv. 9-11): « Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, le territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, comment les entendons-nous parler dans nos langues des merveilles de Dieu? »

Cela va avec la pensée de l’apôtre Paul telle qu’il l’exprime dans sa lettre aux Galates 3,28 : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme »

Oui, notre humanité aspire à cette communion, où il n’y a plus de citoyens supérieurs et d’autres inférieurs, certains dignes et d’autres indignes, certains dont la vie a de la valeur, et d’autres pas …

Et l’apôtre de poursuivre: « car tous, vous êtes un en Jésus Christ. »

La clé pour la communion fraternelle est le Christ Jésus, envoyé par Dieu dans notre humanité, afin que personne ne soit réduit à son origine ou sa couleur de peau, à sa langue ou sa croyance, à sa souffrance ou à ses errances.

Venons-en au récit de l’Évangile.

C’est en mangeant le repas de la Pâque, qui commémorait la libération de son peuple, que Jésus a institué son repas, le repas par lequel nous sommes liés à lui, liés à Dieu, liés les uns aux autres.

Dans notre paroisse de Neuchâtel, nous célébrons la Cène lors de chaque culte, ici à la Collégiale comme dans nos autres Temples et Chapelles.

Est-ce trop, et faut-il ainsi réserver la Cène à certaines occasions dans l’année ? ou pas assez et, carrément, la prendre chaque jour ? 1

A force de répéter la liturgie eucharistique tous les dimanches – à force de répéter le geste en participant à la Cène régulièrement, fréquemment, cela enlèverait-il quelque chose à son sens, à son intensité ?

Dans son article « Faites ceci en mémoire de moi » une lecture de la cène, le théologien Guilhen Antierévoque l’œuvre du philosophe danois Sören Kierkegaard La Répétition (rédigée sous le pseudonyme de Constantin Constantius) dans laquelle ce dernier décrit avec subtilité la différence entre réminiscence à répétition: la réminiscence désigne une répétition dont le mouvement est rétrograde (on fait mémoire en se tournant vers le passé, « on se ressouvient en arrière ») ; dans la répétition, le mouvement est inverse (il s’agit de se « ressouvenir en avant »). Dans la répétition le mouvement n’est pas rétrograde mais projectif. Ce n’est pas une reproduction à l’identique de l’événement, mais une reprise qui permet « l’advenue d’une altérité », ce qui permet à l’individu de renouer avec la vie. 2

Ici je cite le théologien Guilhen Antier:

« La répétition kierkegaardienne est une répétition où le fait de se ressouvenir de l’événement fondateur permet non pas de reproduire cet événement à l’identique, mais (…) permet l’advenue d’un nouvel événement, d’une nouvelle rencontre. Nouvelle rencontre ne signifie pas ici rencontrer quelqu’un d’autre, mais rencontrer le même quelqu’un autrement. » 3

Lorsque nous participons au repas de la Cène, nous sommes en relation spirituelle au Christ, à son œuvre salvatrice pour toute l’humanité. Et chaque fois que nous y participons, nous rencontrons le Christ, autrement, de manière toujours nouvelle.

En évoquant de la Cène, le Réformateur Jean Calvin parle d’un « banquet spirituel »

Et il dit que par le sacrement de la Cène, « nous savons que Jésus-Christ est tellement incorporé en nous, et nous en lui ».

Et il poursuit pour expliquer ses propos sur cette « double incorporation »: je cite son texte de l’Institution Chrétienne, en utilisant la version du français moderne pour nous faciliter la tâche … Parlant donc du Christ il écrit :

« en recevant notre pauvreté, il nous a transféré ses richesses — en prenant sur lui nos faiblesses, il nous a fortifiés de sa puissance — (..) — en recevant le fardeau des iniquités qui nous accablaient, il nous a donné sa justice pour nous appuyer sur elle — en descendant sur terre, il nous a ouvert le chemin du ciel — en se faisant fils d’homme, il nous a faits enfants de Dieu. » 4

(En prenant le pain) – Le pain c’est la vie ! Quand on rompt le pain, son odeur nous met en appétit de le croquer avec autrui, de le partager.

Le pain de Dieu est une nourriture sans égal, qui est composée de blé, d’eau et de sel, mélangés de souffrance et d’amour, pour nous donner force et solidité.

Autour d’un morceau du pain de Dieu, chacun peut être nourrit à sa faim, sans oublier l’autre ! C’est cela être hôte dans le Restaurant du Royaume, déjà présent.

(En prenant la coupe) – Le vin c’est la fête ! J’aime l’élévation de la coupe parce qu’elle contient ce liquide que l’on présente à Dieu pour le remercier. Et quand son Fils est avec nous et qu’il nous le tend, le vin devient le symbole du don de soi, d’une alliance qui nous attache à Dieu pour mieux nous ouvrir à la Vie et ouvrir notre vie aux autres.

Partager le vin au repas de Dieu, avec à sa table Jésus, son Fils, n’est-ce pas le meilleur festin, le plus beau banquet ? Un pas dans le Royaume, dès ici-bas.

Lorsque nous nous approchons de la Table tout à l’heure, faisons-le avec joie, en rencontrant le Christ « autrement », de manière toujours nouvelle.

Oui, son repas est bon, il a du goût, de la consistance et nous permet de travailler les menus de nos vies pour les rendre appétissants et accueillants, pleins de sens et d’ouverture.

Le repas de Dieu est ravivant, ranimant, qui nous met debout, dans les tempêtes et les moments les plus difficiles. Ses cuillères dans nos soupes, ses fourchettes dans nos assiettes, ses assaisonnements dans nos plats … Il nous dérange parfois, mais il le fais pour nous permettre de grandir, et parce qu’il nous aime. Amen.

1 Guillaume Farel, le réformateur de notre ville – que je cite rarement et dont on voit la statue sur l’esplanade de la Collégiale – dans son traité : Comment ordonner le baptême, la Sainte-Cène, le mariage, le culte dominical et la visite des malades, précise que la Bible ne prescrit pas la fréquence à laquelle il fallait prendre la Sainte-Cène, mais qu’il faudrait « le consentement de la congrégation et l’accord des autres églises » et de rajouter qu’il « faudra garder la paix et l’union avec tous ». In Du vrai usage de la croix et autres traités, Transcrits en langage courant et annotées par Edouard Urech. Editions G. Saint-Clair, La Chaux-de-Fonds, 1980

2 Guilhen Antier « Faites ceci en mémoire de moi » une lecture de la cène. IV – Mémoire et répétition, dans Études théologiques et religieuses 2014/1 (Tome 89), pages 3 à 37 – (cf : https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2014-1-page-3.htm#re93no93) – Guilhen Antier est Maitre de conférences (MCF) en théologie systématique à l’Institut protestant de théologie de Montpellier

3 Ibid

4 Jean Calvin, L’Institution Chrétienne. Edition abrégée en français moderne. Presses bibliques universitaires. Genève, 1994, 2ème édition