« Qui est mon prochain ? » (Lc 10, 25-37)

Prédication pour la célébration œcuménique – Peseux, le 21 janvier 2024 – Micha Weiss, pasteur stagiaire

Photo par Jackson David, Unsplash

Simple et facile

Il y a une différence entre « simple » et « facile ». Ce qui est simple n’est pas forcément facile. Et ce qui est facile n’est pas toujours simple. Le texte que nous venons d’entendre nous montre bien cette différence. Regardons de plus près ce qu’il nous dit.

Nous retrouvons une petite foule de gens assis autour de Jésus qui enseignait. Au bout d’un certain temps, un légiste – un spécialiste de la loi juive, la Torah – se lève pour lui poser une question. La question qu’il pose : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? », il y répond finalement lui-même parce que Jésus lui renvoie la balle par une question. Cette technique de renvoyer la balle, Jésus l’utilise régulièrement et elle fonctionne vraiment bien. Je l’ai aussi testé et je l’approuve !

La réponse que le légiste donne est simple : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu (Dt 6,5)… et ton prochain comme toi-même (Lv 19,18b) ». Ce sont deux commandements tout à fait classiques dans l’enseignement juif, que tout la foule connaissait probablement. Et Jésus semble satisfait de cette réponse simple. Il lui dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie » (Lc 10,28). Il semblerait que pour Jésus, tout a été dit : la recette est bien simple. Il n’y a que trois ingrédients : l’amour pour Dieu, pour son prochain et pour soi-même. « Fais-cela » : Maintenant, il n’y a plus qu’à cuisiner.

Et qui est mon prochain ?

Mais le légiste semble déstabilisé par la réaction de Jésus. Je m’imagine d’une part, parce que Jésus est d’accord avec lui, ce à quoi il ne s’attendait sûrement pas. D’autre part, parce que selon lui, l’affaire n’est pas encore réglée. Ce n’est pas possible que ce soit aussi simple !

La question qu’il pose alors, « Et qui est mon prochain » ?, était un grand sujet de controverses parmi les spécialistes de la loi. Traditionnellement, on a compris que le prochain qu’il fallait aimer, c’était les autres Israélites et les étrangers qui habitaient dans le pays. Mais, s’est ensuite posée la question si le commandement d’amour s’appliquait aussi à ceux qui envahissent et occupent les terres, en ce temps-là, les romains. Pour beaucoup, la réponse était non. Et finalement, à l’intérieur du judaïsme, il y avait beaucoup de divisions. Il y avait des écoles de pensée différentes, des factions, et on a alors parfois compris qu’on avait uniquement l’obligation d’aimer son propre groupe, sa propre communauté.

Cette question que le légiste pose à Jésus est donc une question bien provocante. La tension devait être palpable. Mais en même temps, je trouve que la question fait énormément de sens ! Et je crois que c’est une question que nous nous posons constamment, encore aujourd’hui, consciemment ou inconsciemment.

Qui est mon prochain ? Est-ce qu’il s’agit uniquement de ma famille, de mes amis, de ma communauté ? Des personnes que j’aime, ou du moins que j’apprécie ? Et est-ce que ça signifierait qu’en cas de conflit avec un de mes proches, il tombe de ma liste de prochains ? Qui est mon prochain ? Est-ce que c’est chaque personne que je croise dans la rue, au magasin, dans le quartier ? Est-ce que c’est chaque personne peu importe à quel point elle est différente de moi : par son origine, sa langue, sa culture, sa couleur de peau, son genre, son statut social ? Est-ce que chaque personne qui vit et croit différemment que moi compte aussi comme prochain ? Qui est mon prochain ? Quand je suis submergé par les nouvelles de guerres, de divisions et de violences – quand je me sens démunis face à ce qui se passe à Gaza, en Ukraine, au Yemen, au Burkina Faso et à tant d’autres endroits. Est-ce que je suis appelé à voir chaque visage qui apparaît sur mon écran comme mon prochain ? Ou est-ce que je peux me désengager de ces situations-là ? Elles sont quand même bien lointaines. Est-ce que l’amour pour le prochain s’arrêterait à certaines frontières ? Qui est mon prochain ? Jésus répond à cette question provoquante mais pleine de sens par une parabole, une histoire qui est tout aussi provoquante et pleine de sens : L’homme tombé sur les bandits laissé à moitié mort est aidé par un Samaritain. À l’époque, il y avait beaucoup de tensions entre les Juifs et les Samaritains. Ils partageaient la même origine, mais ils pensaient et vivaient de manière très différentes. Les juifs les considéraient comme impurs, des personnes à éviter et qui étaient exclus de la vie religieuse et sociale.

Ne te perds pas dans la question

La conclusion de l’histoire ne laisse pas de doute : Si le prochain de l’homme attaqué est le Samaritain, un ennemi, un exclu de la communauté, alors notre prochain peut être quiconque que Dieu met sur notre chemin.

À travers cette histoire, Jésus dit au légiste, mais aussi à la foule, et à chacune et chacun de nous : « Ne te perds pas dans cette question ‘Qui est mon prochain ?’ ! Tu préférerais une réponse facile, qu’il y ait des frontières et des limites qui raccourcissent la liste, qui permettent d’exclure et d’ignorer certains individus. Mais si tu cèdes à cette voie de la facilité, tu te trouveras rapidement pris dans les rouages de la peur, de la haine et de l’indifférence, et tu perdras de vue ton prochain comme toi-même. Tu te replieras sur toi-même, sur ta communauté, dans les espaces où il t’est facile d’aimer et d’accepter l’autre comme ton prochain. Oui, comme je vous ai aimés, avec un amour qui fait éclater les barrières, qui dépasse toutes attentes, aimez-vous les uns les autres (Jn 13,34). Ne te perds pas dans cette question. Reste ouvert aux personnes que j’envoie sur ta route. »

« Tu aimeras le Seigneur Ton Dieu… et ton prochain comme toi-même ». Cette réponse est simple, mais elle n’est certainement pas facile à vivre. Elle n’était pas facile à l’époque de Jésus, et elle n’est pas facile aujourd’hui. En regardant ce qui se passe dans le monde, et à l’intérieur de nos églises et de nos vies respectives, nous sommes confrontés à la réalité des divisions, des conflits, des violences et des blessures.

Malgré tout

Malgré tout, dans cette semaine de prière pour l’unité des chrétiennes et des chrétiens, prions les uns pour les autres d’être inspirés par Celui qui a tant aimé le monde (Jn 3,16). Prions les uns pour les autres que chaque jour nous puissions choisir la voie de l’amour et de la simplicité en suivant l’exemple de Jésus Christ. C’est dans l’amour de Dieu que nous trouverons la force de dépasser les obstacles et de réconcilier les différences pour réellement aller à la rencontre de notre prochain dans le monde.

Oui, malgré tout, continuons à porter en nous la foi et l’espérance que Dieu est toujours à l’œuvre à travers le monde. Partout où les plus pauvres et les vulnérables sont protégés, où il y a libération d’injustices, où des communautés se réconcilient et s’entraident, où quelqu’un pardonne celui qui l’a offensé. Partout où nous nous laissons touchés par les personnes que Dieu met sur notre chemin ; et que nous les rencontrons comme notre sœur, notre frère, notre prochain.

Amen.