Prédication d’Yves Bourquin, président du Conseil synodal

7 juillet 2024 à la Collégiale de Neuchâtel

Textes : Genèse 18, 1 à 16 & Matthieu 25, 31 à 40

Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers amis et amies,

Intéressant de faire une prédication sur ce texte étrange de la visite des trois « hommes » à Abraham. Ce récit qu’on raconte encore parfois aux enfants du culte de l’enfance, comme un récit incroyable, au sens premier du terme, légendaire, bizarre.

Peut-être, vous-mêmes, vous l’avez entendu là la première fois.

Abraham a 99 ans, mes chers amis, lorsqu’il reçoit la visite des trois hommes. Vous vous rendez compte 99 ans et sa femme Sara en a 89.

Kierkegaard, le philosophe existentiel danois, aimait à méditer sur l’aspect complétement fou de ce patriarche. Cet homme simple, riche que de quelques « biens » : une épouse, une tente, quelques serviteurs, quelques bête… mais riche pourtant de la plus folle promesse, une relation d’amitié et de proximité avec Dieu (car Dieu appelle Abraham littéralement ami).

C’est bien sûr une relation dans laquelle Dieu, Yahvé, semble faire la pluie et le beau temps et pourtant…

Dieu a fait à Abraham, vous le savez, trois promesses. La première : une descendance innombrable comme le sable ou les étoiles. La deuxième : Une terre pour y habiter, la troisième une fidélité de Dieu et l’assurance de soutien de sa part pour tous les descendants d’Abraham, son peuple bien-aimé.

Sur cet homme simple, ce nomade, Dieu semble avoir jeté son dévolu. Dieu lui parle. Dieu dialogue avec lui. Il écoute aussi.

99 ans donc… Abraham, malgré sa relation confiante avec Dieu, a dû attendre 99 ans avant que cette promesse de descendance se concrétise. Quelle attente.

Peu avant notre récit, Dieu s’est adressé à lui et lui a déjà expliqué son projet. Abraham a ri ! Oui, il a ri et ensuite a expliqué à Dieu fort simplement qu’il n’était plus en âge. Qu’il avait déjà un fils de 13 ans, Ismaël, qu’il a eu avec sa servante, car sa femme Sarah est semble-t-il peu fertile, dirons-nous.

Mais Dieu lui rappelle gentiment qu’il est Dieu et que pour Dieu rien, absolument rien, n’est impossible, simplement. Cette affirmation est répétée au verset 14 de notre récit. Y a-t-il donc quelque chose que le Seigneur ne puisse réaliser ?

Réponse évidemment non ! Pourtant, nous aussi nous aurions ri !

Tout dans l’histoire d’Abraham le montre. A Dieu rien n’est impossible. Même donner un fils à deux vieillards, puis demander à ce père de sacrifier ce fils reçu, Isaac, puis au dernier moment arrêter son bras, etc.

Et pourtant, Abraham garde la foi, ose se laisser porter par les promesses de Dieu dans une attitude confiante, croyante, que nous qualifierions toutes et tous de folie.

Bref, on m’a dit que le thème de cet été ici à Collégiale était les repas. Alors on va y venir ! Car si Abraham est le père des croyants, il semble aussi qu’il soit le père de l’hospitalité, voire de la communion, car dans notre récit… si important au vu de l’imminence de l’accomplissement de la promesse de descendance, dans notre récit… Abraham reçoit Dieu à manger, sous les arbres de Mamré, vers sa tente… Ce qui n’est pas sans rappeler, tant la communion que nous partageons, que la tente de la rencontre du peuple hébreu au désert.

Généralement, dans la Bible, Dieu visite les êtres humains ou entre en contact avec eux de diverses façons : en songe, par la voix des prophètes inspirés, par des apparitions éthérées (genre le buisson ardent), par une voix du ciel, par son esprit, et là dans notre récit, un hiatus nous laisse entendre que les trois hommes qui visitent Abraham, sont une figure de Dieu… que les chrétiens plus tard ne manqueront pas d’interpréter comme une préfiguration de la trinité.

Un hiatus, disais-je, car le récit ne dit pas formellement que ces trois hommes sont Dieu.

Quoi qu’il en soit, pour Abraham, ces hommes, c’est indéniable, sont Dieu qui visite Abraham et qui lui apporte la promesse.

Et Abraham les reconnait comme tel avec une énergie et empressement débordants. Il court à leur rencontre, ordonne à sa femme de préparer un repas pour trois, choisit le veau gras, et dit à ses serviteurs de l’apprêter. Etc.

Ce qui intéressant, c’est qu’Abraham ne mange pas avec les trois hommes, ni Sarah d’ailleurs… Le repas est préparé pour eux, mais ce n’est pas un repas pris en commun. Pourquoi ?

De plus il est pris hors de la tente, dehors, sous les chênes de Mamré.

Mon interprétation me ferait dire que c’est là une image sacrificielle dans laquelle ce veau représente bien une bête offerte à Dieu et à Dieu seul, mais je n’ai point trouvé d’explication dans aucun de mes commentaires…

Pourquoi hors de la tente ? Sans doute, déjà simplement pour la dramaturgie du récit. Car la tente est habitée par le doute et le rire de Sarah, qui du haut de ses 89 ans, ne se sent pas tout à fait capable, (étonnant!) de porter un enfant, surtout son premier !

Il y a donc à mon avis une véritable dimension sacrificielle dans ce repas offert. Une action de grâce faite dans la joie, car Abraham à présent croit qu’à Dieu rien est impossible. J’en veut pour preuve que son empressement est proportionnel à sa sérénité.

Dans la relation que Dieu veut entretenir avec les hommes, et ce récit en est un des exemples, Dieu fait savoir que l’hospitalité d’un repas (sacrificiel ou non) est bien une des manières adéquates de recevoir Dieu chez soi.

Cela nous rappelle un magnifique verset de l’apocalypse qui résume tout cela et lui donne toute sa profondeur : 3,20 : Voici que je me tiens à la porte et je frappe, si quelqu’un entend ma voix et qu’il ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je mangerai avec lui et lui avec moi.

Dieu parle, il promet, il agit. Il frappe à notre porte, il entre dans la relation de sa promesse et veut être reconnu, entendu, cru… pour communier avec son peuple, ses bien-aimés, celles et ceux qui écoutent, entendent, croient et œuvrent avec lui.

Petite parenthèse, le récit de la Genèse ne sous-entend aucunement que la naissance d’Isaac fut virginale. Cela veut bien dire qu’Abraham du haut de ses 99 ans connut bibliquement encore Sarah pour concevoir Isaac.

Je rappelle cet élément juste pour signifier que l’acte humain reste essentiel pour l’accomplissement de la promesse. Eh oui… Il ne s’agit pas seulement d’une attente passive. L’homme doit faire sa part. Rien ne se passe si l’homme n’entre pas dans la promesse.

Chers amis, parlons de nous à présent … en lien avec ce récit. Car ce récit nous parle à nous, bien sûr, malgré la chaîne des siècles qui nous en sépare.

Tout d’abord, le récit nous parle de la foi et de folie de l’espérance… La promesse de Dieu reste vraie, aujourd’hui encore, pour nous… surtout la dernière des trois : Dieu est avec nous et nous rencontre. Il nous parle et mange en notre présence, avec nous, dès que deux ou trois sont réunis en son nom.

Il vit avec nous, partage nos repas, frappe à notre porte, fait résonner sa voix. Il reste le maître d’histoire depuis les promesses d’Abraham jusqu’à aujourd’hui.

A lui rien n’est impossible… et c’est pour cela que la foi frôlera toujours la folie. La foi est une folie. Une folie d’attente active. D’écoute de parole de bénédiction. C’est choisir ce qui mène à la Vie (avec une majuscule) et cela est fou dans notre monde.

Tant de témoignages font état de cette présence, de cette rencontre de Dieu…

Et Dieu se manifeste de tant de façons, qui viennent nous guider, des rencontres aussi. Si Abraham a su reconnaitre dans ces trois hommes, Dieu lui-même, ou ses anges, c’est bien qu’il a été attentif et qu’il a cru que ces hommes étaient des messagers, ou des anges, voire des hypostases de Dieu.

Nous aussi nous en rencontrons dans nos vies, des anges sur nos chemins, des rencontres marquantes, qui nous orientent, qui nous convertissent dans le plus noble sens du terme.

Saurons-nous les reconnaitre ? Ces anges qui nous annoncent les plus folles promesses… Ces Gabriel de l’annonciation qui nous invitent à la rencontre et la mise au monde de Dieu.

Car si ces trois anges annoncent la naissance du peuple de Dieu, c’est bien le Christ qui sera la grande de toutes les folies.

Et le Christ est encore mis au monde chaque jour, lorsque l’amour l’emporte sur la haine. Lorsque la paix l’emporte sur la guerre et lorsque simplement nous partageons ensemble son repas.

Saurons-nous reconnaitre les anges, saurons-nous, comme Abraham ou Marie, tressaillir de joie et nous précipiter pour l’accueillir ? Saurons-nous ne pas rire lorsqu’il annoncera la plus folle espérance, la plus folle promesse, l’impossible rendu possible par Dieu ?

Saurons-nous, chers amis ? c’est cette question que nous pose tous ces récits…

Alors, mangeons avec nos hôtes, ou offrons-leur à manger… Et gardons nos cœurs ouverts. Car, dans chaque interlocutrice ou interlocuteurs, se cache potentiellement, peut-être, un messager ou une messagère de Dieu, un ange sur notre chemin.

Amen