Dieu est amour ! Finalement, pourquoi est-ce qu’on ne se contenterait pas de cette affirmation ? On pourrait s’arrêter là ! Je détiendrais sûrement le record de la prédication la plus courte de l’histoire de l’Église !
Dieu est amour ! Qui oserait dire le contraire ? Dans notre monde qui a évacué Dieu de la sphère publique, c’est la seule casquette qu’on peut encore lui laisser. Car Dieu n’est plus l’explication de tous les phénomènes qui nous dépassent…heureusement !
Dieu n’est plus la légitimation des guerres de conquêtes…heureusement ! Dieu n’est plus la tenaille qui sert à forcer les consciences…heureusement !
Dieu est amour parce que la religion c’est privé et que si on parle de sa foi, alors il ne faut pas que ça fasse peur.
Dieu est amour parce qu’on a commis tellement d’atrocités en son nom, que c’est la seule carte de visite qui lui reste.
Dieu est amour parce que certaines figures d’autorité nous ont tellement culpabilisés qu’on a besoin d’être réconfortés et de retrouver notre estime personnelle.
Dieu est amour parce que l’amour c’est bénéfique et que nous sommes devenus des grands consommateurs de bien-être et de confort.
Dieu est amour : forcément ! Il sait m’aimer lui ! Pas comme mes parents qui ne me comprennent pas, pas comme mon conjoint qui ne m’écoute pas, pas comme mes enfants qui sont bien ingrats ! Et pas comme ces pasteurs qui n’ont plus le temps de faire des visites !
Dieu est un ami personnel à qui on parle dans le secret de son cœur. Celui qui nous console quand nos semblables nous font de la peine.
Mais alors qui sont-ils ces mauvais esprits dont il est question dans les lignes de la première épître de Jean que nous avons lue ?
N’est-ce pas ceux qui nous causent des blessures affectives et qui mettent en péril notre épanouissement personnel ?
Ceux qui ne respectent pas notre sensibilité et qui manquent de tact ?
Ceux qui ne reconnaissent pas notre souffrance et qui continuent à vivre comme si de rien n’était ?
Alors nous n’aurons de cesse de dénoncer ces mauvais esprits…et de nous protéger de leurs attaques. Bien au chaud dans notre bulle, nous pourront lancer des anathèmes sur celles et ceux qui mettent en péril notre tranquillité, notre sécurité et notre compréhension du monde. Et construire en rêve un univers débarrassé de ses contradictions, une cité céleste arrachée à la pesanteur du réel, une société idéale purgée de sa complexité.
Alors nous pourrons égrener le chapelet de notre amertume. Ne plus prendre le risque de donner, par peur de jeter des perles aux pourceaux. Choisir d’être blasé parce que c’est tout de même mieux que de renoncer à avoir raison. Nous sentir mieux seuls que mal accompagnés.
N’est-ce pas l’avenir qui nous est promis lorsque Dieu se retrouve confisqué par nos besoins ? Ce Dieu-là, n’est-il pas davantage à notre image que nous ne sommes à la sienne ? N’est-il pas prisonnier de nos attentes et sommé de ne pas nous surprendre ?
Mais alors qui est-il ce Dieu Amour dont nous parle la première épître de Jean ? C’est la fin de notre passage qui nous le dit :
Voici comment Dieu a démontré qu’il nous aime : il a envoyé son Fils unique dans le monde pour que, par lui, nous ayons la vie.
Un jour, un homme nommé Jésus est entré sur la scène du monde. Il a déroulé son chemin au cœur des évènements de la société de son époque. Il a épousé pleinement notre condition jusqu’à la mort. La plupart de ses contemporains n’ont rien vu de décisif se jouer à travers lui. L’évangile et les épitres de Jean nous disent au contraire qu’il est l’Envoyé de Dieu. Qu’il rend Dieu présent dans toutes les facettes de l’existence humaine. Que l’extraordinaire s’est dissimulé dans les replis de la banalité pour nous ouvrir de nouvelles perspectives.
Dieu a tant aimé le monde qu’il est venu l’habiter pleinement. Dieu est entré dans les profondeurs les plus obscures de notre être pour y semer des graines de vie.
Dieu est amour parce qu’il nous veut libres et qu’il vient ouvrir la porte de nos tombeaux.
Dieu est amour parce qu’il nous donne une vie d’une qualité si grande que rien ne peut l’altérer.
Dieu est amour parce même la mort n’a plus le droit de nous séparer de lui.
Mais si Dieu est amour, alors pourquoi tant de misère et de violence ? Pourquoi tant de méchanceté et de cruauté ? Pourquoi cette liberté terrible qui trébuche et qui engendre l’injustice ?
Dieu n’a pas révolutionné le monde avant d’y inscrire son message. Il n’a pas purgé nos existences de toutes leurs ambivalences. Il a gravé les mots de son amour dans un univers tourmenté qui produit autant de catastrophes que de merveilles.
Parce que l’amour de Dieu n’est pas paternaliste. Il n’intervient pas dans le cours des choses pour nous priver de nos responsabilités. L’amour de Dieu se dit dans son désir d’être en relation avec nous et de nous offrir sa vie.
Nous voilà donc bénéficiaires d’une promesse qui vient élargir l’espace de notre quotidien.
Les murs de notre vie n’ont pas bougé, mais nous y avons creusé des fenêtres.
Une force de résurrection est venue renouveler notre énergie pour faire le ménage dans nos intérieurs et les transformer. Nous avons fait bouger les vieux meubles pour créer un espace où on respire et où il fait bon vivre.
Nous avons bousculé nos habitudes pour laisser un peu de place à la créativité et pour inviter de nouvelles personnes à notre table. Nous avons mis un peu d’originalité dans les vieilles recettes du passé. L’amour de Dieu est venu mettre de la lumière dans nos espaces personnels.
L’amour de Dieu c’est comme un grand réaménagement de notre territoire. A l’intérieur de ses limites, autre chose est possible.
Alors non, nous n’avons pas emménagé dans une cité idéale purgée de tous ses problèmes de voisinages et de tous ses défauts de constructions.
Mais la bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas voués à subir les désagréments de notre existence en faisant profil bas. La bonne nouvelle, c’est que le monde se retrouve privé du pouvoir de nous enfermer dans un destin qui nous écrase. La bonne nouvelle, c’est que nous n’avons pas à inventer un univers parfait pour être heureux.
Les faux-prophètes sont ceux qui prétendent le contraire. Ceux qui sont blasés et qui n’espèrent plus rien. Ceux qui peuvent tout expliquer, qui ont tout compris et que plus rien ne peut surprendre. Ceux qui pensent qu’ils peuvent créer une société idéale, quitte à supprimer celles et ceux qui ne passent pas le casting du voisin idéal.
Toutes celles et tous ceux qui pensent que l’amour suit les règles de la performance et qui prônent le don de soi jusqu’à l’épuisement émotionnel. Celles et ceux qui pensent être au-dessus de tout soupçon et qui n’examinent plus leur conscience. Celles et ceux qui pratiquent l’angélisme par paresse et qui refusent de garder les yeux ouverts sur la souffrance qui les entoure.
L’amour peut se décliner en toutes sortes d’idoles qui prennent la place du Dieu de Jésus-Christ et qui le mettent hors-jeu. Certaines de ces idoles sont effrayantes, d’autres insignifiantes voire un peu ridicules.
Je ne sais pas si vous avez déjà croisé des personnes qui distribuent des accolades dans la rue. Il s’agit souvent de collectifs citoyens qui s’organisent autour de l’idée selon laquelle serrer une personne dans ses bras libère des hormones du bien-être et permet d’aller un peu mieux. A priori, c’est plutôt innocent. Ça ne mange pas de pain, comme on dit. Sauf en période d’épidémie… Alors ces personnes se placent dans la foule aux heures de pointe et offrent spontanément ce qu’ils appellent un free hug, traduisez câlin gratuit. Autant vous dire que le câlin en question est assez peu souvent proposé au SDF qui a des problèmes d’hygiène mais qui souffre néanmoins de solitude…
En Jésus, Dieu révèle son amour pour le monde. Et nous pouvons discerner ce qui relève de cet amour parmi toutes les propositions de nos contemporains. Et nous pouvons témoigner autour de nous de cet amour capable de renouveler la vie en profondeur.
Mais comment allons-nous en témoigner ? Parce qu’à notre époque, il est devenu aussi incongru de parler de sa foi que de se promener en pyjama dans la rue. La foi, c’est privé.
Ça se vit dans le secret du cœur et l’intimité du foyer. Ou, au mieux, parmi ce petit reste de gens qui ont eu une éducation chrétienne qui ne les a pas complètement dégoûtés de se rendre à l’église.
La vie publique se veut purgée de toute référence au religieux. On nous imagine volontiers défenseurs de croyances déconnectées de la réalité, ennemis de la science et du sens commun et incapables de tolérer autre chose que les élucubrations qui nous servent de refuge. Je grossis peut-être un peu le trait. Néanmoins, l’acteur du religieux est porteur d’une méfiance qui se nourrit de la mémoire d’un combat pour la liberté de conscience dans lequel il n’a pas précisément le beau rôle…
Alors comment témoigner ? « Aimons-nous les uns les autres » nous dit l’auteur de la premier épître de Jean. Quand il nous est demandé de pratiquer l’amour mutuel, il ne s’agit pas d’organiser une foire aux free hugs ou de construire un monde parfait. Nous pouvons témoigner d’une qualité de vie nouvelle nourrie par la promesse que Dieu ne nous abandonne pas. Une vie qui ne se laisse pas enfermer dans le désespoir. Qui rebondit à l’intérieur des limites qui lui sont assignées pour leur contester le pouvoir d’être le dernier mot de son histoire.
Nous pouvons témoigner d’une manière de voir les autres comme des êtres irréductibles à leur destin. Parce qu’ils et elles sont porteurs de cette étincelle de vie que rien n’a le droit d’anéantir.
Quand le monde enferme nos semblables dans des catégories déshumanisées et les prive d’un véritable avenir, nous pouvons rencontrer des personnes singulières dont l’histoire n’est pas jouée d’avance.
Nous serons témoins de l’amour de Dieu, à l’instar des apôtres du livre des Actes, dont le monde se méfie un peu, mais dont l’influence s’inspire d’une Parole totalement libératrice.
Amen
Marianne Chappuis, 21 avril 2024