Prédication du 28.04.2024 à Serrières «Demeurez en moi, comme moi en vous » Jn 15,1 10 et 1 Jn 3,1 10

Micha Weiss

L’amour – plus qu’un sentiment
De manière directe et indirecte, tout semble tourner autour de ce mot. Dans notre texte. D’après Jésus et dans le reste de la Bible. Dans le monde et dans nos propres vies.
Beaucoup de nos souvenirs portent sa couleur. Depuis l’enfance jusqu’à aujourd’hui. Il tient tête aux besoins les plus élémentaires de la vie : respirer, manger, boire, un abri. Quand il est mis en péril ou absent, nous traversons les périodes les plus difficiles de notre vie. Il fait résonner musique, arts et littérature avec les tréfonds de notre âme.
Je parle bien entendu de l’amour.
Rappelons-nous d’abord : l’amour comme Jésus le définit n’est pas seulement un sentiment d’affection agréable. Et surtout, il n’est pas exclusif aux couples ! C’est aussi une attitude. De compassion, de chaleur, d’écoute, de joie, d’encouragement. Mais c’est plus encore : l’amour, c’est également une action ! C’est l’amour agape : faire passer le bien de l’autre avant le nôtre. Cet amour en action, il est profondément lié à la justice.
La justice. Qui englobe les grandes causes bien sûr. Mais qui consiste bibliquement d’abord en des relations justes. Des relations justes avec Dieu, entre nous et avec la création que nous habitons. Amour et justice (ou relations justes) : ils sont presque utilisés comme synonyme par l’auteur de la première lettre de Jean.
Créé par et pour l’Amour
Cet amour et ces relations justes, on les retrouve tissés à travers toute l’histoire de la Bible. Depuis le commencement jusqu’à la fin.
Dieu a créé ce monde. Et Il nous a créé nous, par amour et pour être en relation. Les êtres humains sont invités à vivre et à marcher avec Dieu. Comme image de Dieu, ils sont invités à devenir partenaires entre eux. Dans la richesse de leurs différences. Et ils sont invités à prendre soin de la création. Depuis le commencement, le monde a comme structure l’amour et les relations justes.
C’est comme ça qu’est présenté le mythe de la création, et le mythe d’Adam et Eve. Mais nous connaissons la Chute de l’histoire. L’auteur de 1 Jean la connaissait bien aussi. Avec la suite de l’histoire jusqu’à l’arrivée de Jésus. Il nous l’explique avec ses paroles très directes, qui peuvent venir comme un choc :
Mes enfants, ne vous laissez égarer par personne ! Celui qui fait ce qui est juste est lui-même juste, comme Jésus Christ est juste. Celui qui continue à pécher appartient au diable, car le diable a péché depuis le commencement. Le Fils de Dieu est apparu précisément pour détruire les oeuvres du diable (1 Jn 3,8).
L’auteur de 1 Jean aime les oppositions radicales. Dans sa lettre, il parle de lumière et ténèbres. Vérité et mensonges. Christ et Antichrist. Dans notre passage, nous trouvons les oppositions « enfants de Dieu » et « enfants du diable ». Et justement, « péché » et « amour-justice ».
Ces oppositions, il ne les a pas inventé. Nous les voyons autour de nous, dans le monde.
Le péché : conflits, méfiance, moquerie, harcèlement, abandon, négligence, indifférence, …
Mais aussi l’amour et la justice : réconciliation, deuxième chance, inclusion, sourire, solidarité, tendresse, don de soi, …
Les deux sont présents dans le monde. Présents dans l’Église. Et présents dans nos vies.
Je n’y arrive pas
Si nous prenons l’opposition radicale dans 1 Jean à la lettre, il ne semble pas y avoir d’issue. Sur mes 27 ans de vie, je n’ai toujours pas rencontré de chrétien qui pourrait se dire sans péchés (et j’ai envie de dire heureusement, parce que je serais très sceptique…)
Est-ce que ça signifie que nous sommes plutôt enfants du diable qu’enfants de Dieu ? Bien sûr, l’auteur n’est pas dupe ! Il sait bien qu’en tant que chrétiens, nous allons continuer à commettre des péchés.
Je crois que l’auteur nous met devant cette opposition radicale entre amour et péché pour nous pousser à une certaine réalisation : Par mes propres forces, par mes propres efforts, je n’y arrive pas. Malgré mes bonnes intentions, je ne parviens pas toujours à aimer et à vivre mes relations de manière juste.
Je suis enchevêtré dans le péché.
Amen ? Ainsi soit-il ? Bien sûr que non !
Cette réalisation ne doit pas m’amener à la résignation. Me pousser à la fatalité. Au contraire, elle m’invite à me confier dans les bras aimants et grands ouverts du Père. Rappelons-nous le début du texte dans 1 Jean : « Voyez à quel point le Père nous a aimés : nous sommes appelés enfants de Dieu, et nous le sommes réellement (3,1) ! »
Oui, nous sommes déjà Ses enfants.
Avec notre désir d’amour et de relations justes. Avec nos peurs, nos hontes, nos brisures. Notre péché.
Quand nous plaçons tout ce que nous sommes devant le regard aimant de Dieu, encore et encore, il se passe quelque chose d’absolument extraordinaire : Nous commençons à changer. Petit à petit, pas à pas, Jésus-Christ nous forme en une personne plus aimante. Une personne plus juste dans nos relations. C’est à ce processus de (trans)formation que Jésus invite ses disciples dans son image de la vigne. Il invite ses disciples, ses sarments, à demeurer en lui, comme lui en eux. Et aujourd’hui encore, 2000 ans après, il nous y invite nous aussi.
C’est en demeurant en Jésus que nous sommes formés à Son image. Et que nous devenons des personnes d’amour et de justice (relations justes) comme Lui. Que nous portons beaucoup de fruits.
L’auteur de 1 Jean est en train de hocher la tête tellement fort qu’il risque un torticolis. Pour lui, ne pas demeurer en Jésus et pécher vont main dans la main. C’est le même scénario que dans le jardin d’Eden. Quand Adam et Eve se cachent de Dieu, se cachent l’un-e de l’autre, et se cachent de leur propre nudité. Quand nous cachons la nôtre : nos brisures, nos péchés, mais aussi nos beautés et nos dons.
Comment je demeure en Jésus ?
Donc Jésus m’invite à demeurer en Lui pour devenir comme Lui. À me laisser transformer en une personne qui est pleinement elle-même et qui vit ses relations dans l’amour et dans la justice.
Mais… Comment ? Comment je demeure en Jésus ? Comment je fais de Jésus ma demeure ?
Est-ce que nous sommes appelés à une vie de reclus dans un monastère, isolés du monde ? Peut-être que c’est une solution pour un temps donné, pour se replacer en Jésus de manière intentionnelle. Jésus s’est aussi régulièrement retiré du monde. Mais. Il n’y est pas resté. Il est toujours revenu dans le monde, vers les autres. Et il nous invite à ce mouvement d’amour vers le monde aussi.
En fait, je crois que Jésus ne nous demande pas quelque chose que nous ne faisons pas déjà.
Nous demeurons toutes et tous en quelque chose.
La question n’est pas « est-ce que je demeure », mais « en quoi ou en qui est-ce que je demeure » ? À quelle(s) vigne(s) est-ce que je suis greffé ? Autrement dit : Quel est mon chez-moi émotionnel ? Où est-ce que mon esprit divague quand je n’ai rien à faire ? Quand j’ai besoin de réconfort et de joie ?
« Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,4). Jésus nous invite à faire ce chez-nous en Lui. Lui qui fait déjà ménage en nous, avec nous.
Laissez-moi vous poser quelques questions : Faire votre maison en Jésus-Christ, à quoi cela ressemble pour vous ? Comment vous vous l’imaginez ? Et plus que simplement vous l’imaginer, je suis sûr que vous l’avez déjà expérimenté dans votre vie. Quelles situations vous viennent en tête où vous avez ressenti Jésus demeurer en vous ? Où vous vous êtes sentis demeurer en Lui ?
Pour moi, les moments où je me sens faire mon chez-moi dans cette relation qui me (trans)forme :
Ce sont les matins quand je prends un temps de prière et de silence avec Dieu. Ça me lance différemment dans la journée, plus ancré, avec un autre regard. Et ça me manque quand je ne prends pas ce temps.
Ce sont les temps où les paroles des chants adressés à Dieu prennent vie en moi. Quand la musique me rejoint dans qui je suis.
Ce sont les fois où je marche dans les rues de Neuchâtel et que je me découvre regarder les autres passants dans les yeux avec un regard rempli d’un amour qui est plus grand que moi…
Quand dans une discussion, les masques tombent et que nous nous rencontrons tels que nous sommes, avec nos parts de lumière et nos parts d’ombre. Et que nous faisons un bout de chemin ensemble en direction d’Emmaüs.
Demeurer en Jésus, pour moi, c’est finalement apprendre à être à deux endroits en même temps :
Manger mon petit-déjeuner et être avec Jésus.
Être émerveillé par la vue sur le lac et les montagnes et vivre ce moment avec Jésus.
Regarder ma boîte mail pleine et quand même être avec Jésus.
Cuisiner pour mon épouse et moi ou pour d’autres, et partager ce moment avec Jésus.
Apprendre à être à deux endroits en même temps, ou dans les mots de frère Laurent (1614-1691) : « La pratique de la présence de Dieu ».
Et pour vous ? Qu’est-ce que ça signifie d’être avec Jésus ? De demeurer en Lui comme Lui en vous ?
Demeurez en moi, comme moi en vous
« Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,4)
C’est à cet apprentissage que Jésus appelait ses disciples d’il y a 2000 ans et ses disciples d’aujourd’hui, c’est-à-dire nous ! C’est une invitation à plus : plus d’amour, plus de joie, plus de relation, plus de justice, plus de paix, plus de moi et des autres. C’est une invitation à une vie en plénitude.
« Demeurez en moi, comme moi en vous »
Je suis touché par le nombre de personnes autour de moi qui sont hantés par les questions : qu’est-ce que je peux encore donner ? Qu’est-ce que je peux encore faire ? Qu’est-ce que je peux accomplir ? Ces questions ne hantent pas uniquement les « aînés », mais aussi beaucoup de personnes de mon âge ! Qui ont le sentiment de ne pas faire assez, de ne pas être assez.
« Demeurez en moi, comme moi en vous »
L’invitation de Jésus nous rappelle que ce n’est pas la question : Qu’est-ce que je peux faire et accomplir ? Mais : « qui est-ce que je peux devenir ? » Qui est-ce que je peux devenir ? Est-ce que je deviens plus aimant, en paroles et en actes, dans mes relations proches et éloignées ?
L’invitation de Jésus, c’est d’abord une invitation à devenir, à être. Le faire en découlera automatiquement. Parce que l’amour pour les autres ne nous laissera pas indifférent et nous appellera à l’action.
« Demeurez en moi, comme moi en vous »
La réponse à cette invitation est toujours individuelle, mais l’apprentissage se déroule heureusement en communauté. Et la bonne nouvelle, c’est qu’il y a toujours des places d’apprentissage ouvertes.
En communauté, nous ne sommes pas seuls. Nous sommes entourés de soeurs et de frères en Christ, nos co-apprentis.
« Demeurez en moi, comme moi en vous »
Oui, continuons à cheminer ensemble dans la formation à l’amour, la transformation en Jésus-Christ.
Amen.