Matt 25, 14-30 (Esaïe 65, 17-19, 23-25 ; 1Thessaloniciens4, 13-18)
La synergie entre les textes bibliques est étonnamment remarquable et leur thèmes nous introduisent déjà dans la période de l’Avent.
Ces textes, même s’ils viennent de différentes époques, ils nous parlent, ils nous touchent au cœur de notre foi. Ensemble, ils nous donnent une image complète de ce que c’est que d’être chrétien : espérer un monde meilleur, attendre le royaume de Dieu et, en même temps, être actifs dans notre foi pendant qu’on attend.
Prenons Ésaïe 65 : C’est une vision magnifique, un nouveau monde plein de paix, de justice. Ça nous donne de l’espoir, non ?
Et puis, il y a 1 Thessaloniciens 4 : Là, on parle de la foi, de l’espérance face à la mort, et de cette incroyable promesse de résurrection et de retrouvailles avec le Christ. Ça renforce notre attente joyeuse du royaume de Dieu.
Et, finalement, Matthieu 25 : Avec cette histoire des talents, qui met l’accent sur notre responsabilité dans l’utilisation des dons que Dieu nous a confiés, ça nous rappelle qu’on a tous quelque chose à faire, soulignant l’importance de l’action pendant cette période d’attente.
Mais, vous savez, il y a un aspect particulièrement marquant dans ce bel ensemble, quelque chose qui dérange : c’est le contraste entre cette belle espérance et, eh bien, la grisaille du monde dans lequel on vit.
Confrontés à tellement de défis – les crises environnementales, les pandémies, les tensions partout, les guerres de basse ou haute intensité que nous croyions appartenir au passé, les flux migratoires, les inégalités et les défis technologiques – tout ceci peut vraiment nous tirer vers le bas, nous donner un sentiment de désespoir, de pessimisme… Et ça nous touche tous, que ce soit individuellement (on se sent anxieux, stressés, impuissants) ou collectivement, car cette atmosphère se reflète dans notre société, dans nos attitudes, nos comportements !
Cette désillusion engendre souvent un détachement et un cynisme envers tout effort d’action positive. Du coup, certains cherchent des échappatoires. Vous avez certainement entendu parler de l’escapisme, cette notion qui procède du mot anglais « escape » et qui signifie s’échapper, fuir une réalité trop pesante pour se réfugier dans un monde parallèle. On en parle dans les media depuis quelques années, où cette notion apparait associée à des dépendances comme les jeux vidéo ou les drogues. Mais elle concerne aussi la tendance très actuelle à fuir une réalité décevante par l’acharnement au travail, par la prolifération de propositions de loisirs, parfois épuisants, par une consommation à outrance, juste pour se sentir mieux. Mais on peut aussi se mettre en pause, repousser les choses importantes vers le lendemain ou surlendemain… En effet, la procrastination est aussi une forme d’escapisme !
J’ai été frappé, il y a quelques mois, par un article du journal ‘Le Temps’ qui s’intitulait « Escapisme ou quand l’évasion devient une prison ». Cet article décrivait comment cette tendance actuelle peut devenir une ‘prison’ émotionnelle, où la quête de gratifications immédiates nous éloigne des actions significatives. Pour certaines personnes, disait le chroniqueur, s’échapper n’est pas une option joyeuse, mais une fuite nécessaire et douloureuse. Dans le même registre, le magazine « Sciences Humaines » de juin dernier, rappelait que des chercheurs norvégiens se sont aussi penchés sur le phénomène. Dans cet article qui s’intitule « Courir pour oublier » il nous est dit que des psychologues ont interrogé 227 coureurs adultes pratiquant en moyenne 5 heures de jogging hebdomadaire, sondant leurs états d’esprit durant la course, leur niveau de dépendance à cette activité et leur bien-être psychologique. Ils ont constaté chez les personnes qui font du jogging, deux types d’escapisme : l’un positif, lié au bien-être, au besoin de faire de l’exercice, et l’autre, utilisé pour éviter des sentiments négatifs. Les résultats indiquent que les effets de la course sur la santé mentale dépendent largement de la motivation sous-jacente. Les coureurs cherchant l’épanouissement tirent un réel bénéfice de leur pratique, affrontant activement leurs difficultés, tandis que ceux courant pour échapper à leurs problèmes tendent à procrastiner et à ne pas faire face à leurs soucis, ce qui n’améliore pas leur état de bien-être. Ce dernier groupe risque également de développer une addiction au sport. L’évitement semblerait donc renforcer encore plus les sentiments négatifs et influencer directement la santé mentale des coureurs.
Ça nous amène à regarder autrement la parabole des talents. Le serviteur qui enterre son talent semble éviter activement les défis et les responsabilités. N’est-ce pas semblable à une forme d’évasion, un refus de faire face aux problèmes et aux opportunités qui se présentent ? En cachant son talent, il choisit la voie de la facilité, esquivant les risques et les défis que l’utilisation de son talent aurait pu impliquer. À l’opposé, les serviteurs qui font fructifier leurs talents pourraient être comparés à ceux qui courent pour le plaisir et le bien-être personnel. Ils associent leurs dons et les défis, les utilisant de manière proactive et positive. Ils ne se contentent pas de courir pour échapper à leurs problèmes, mais courent vers un objectif, une croissance personnelle. Leur action reflète une approche active et engagée de la vie, où les talents sont non seulement utilisés, mais aussi développés et amplifiés.
Cette parabole nous rappelle la valeur d’un engagement dynamique et courageux dans l’utilisation de nos dons. Elle nous encourage à affronter nos défis plutôt que de les éviter, nous assurant que cette approche stimule non seulement notre croissance personnelle mais nous incite aussi à réfléchir sur le sens de notre vie : choisirons-nous l’évitement ou choisirons-nous l’audace, la joie de l’action et de l’engagement ?
La parabole des talents, dans ce contexte, va au-delà de sa signification littérale pour devenir une métaphore puissante de la vie chrétienne. Elle nous invite à nous engager activement, animés par la confiance inspirée par les promesses de l’Évangile, et à adopter une perspective pleine d’espoir. Car nous savons que notre vie a un sens et que nos actions contribuent à donner sens à notre histoire collective. Rien ne devrait nous pousser au désespoir ou à l’inaction, car l’histoire humaine progresse vers un but ultime, qui est la rencontre de Dieu avec ses créatures.
Alors, laissons-nous inspirer par ceux de la parabole qui font fructifier leurs talents et considérons chaque défi comme une opportunité, chaque difficulté comme une chance de croître. Que notre démarche ne soit pas celle de l’évitement, mais celle de l’audace et de la créativité. En faisant face courageusement aux obstacles, nous réaliserons notre potentiel et contribuerons à forger une communauté plus solide, plus unie et plus dynamique.
Les lectures d’aujourd’hui sont un appel vibrant à ne pas rester dans notre zone de confort ou à céder à l’angoisse et à la peur, mais plutôt à contribuer de manière active à une création plus aboutie, œuvrant pour transformer notre monde en un lieu d’épanouissement et de réconciliation, guidés par la foi, de l’espérance et de l’amour. Notre engagement, notre parcours personnel et collectif, nous mène vers un objectif plein de sens et une rencontre transformative avec le divin. Ne pas utiliser nos dons, c’est risquer de les perdre, mais les mettre en œuvre et s’ouvrir à encore plus de bénédictions.
Joël Pinto