Zachée Betche, pasteur
Texte : Luc 24, 35-48
A un moment ou un autre de notre vie, il nous est certainement arrivé d’être tenté de perdre espoir, de nous murer dans notre silence ou de faire de l’échec un véritable allié. Alors, peu importe, que la paix soit avec nous !
Chers amis, l’attitude des disciples et celle d’une assez bonne partie des personnes ayant été témoins directs ou indirects de la crucifixion doit bien nous parler. Face à cette justice ignoble, à l’arrogance du pouvoir établi, une stratégie de repli semble justifiable. Ce beau monde doit se cacher ou trouver refuge dans un abri plus ou moins sûr. Si quelques-uns semblent être au parfum d’une nouvelle réjouissante, il est bien possible que la peur continue de régner en leur sein. Car, la résurrection d’un homme, même si nombre d’entre eux ont vu Jésus ressusciter la fille de Jaïrus ou l’ami Lazare, la sortie du tombeau du maître leur paraît chose improbable.
Et pourtant, dans cette angoisse et ce dégoût de la vie, une nouvelle viendra tout remettre en question. Luc décrit les lendemains de la résurrection du Christ avec ses apparitions successives : d’abord à Marie Madeleine et Marie, puis à Pierre, aux deux disciples d’Emmaüs et enfin à tous les 11 réunis. L’annonce de la résurrection fait ainsi son bonhomme de chemin au coeur du monde et sera bientôt répandue jusqu’aux extrémités de la terre ; et figurez-vous jusqu’à nous et bien plus loin, au-delà.
Les 11 réunis vivent quelque chose d’inouï. Est-ce vraiment Jésus ou alors un fantôme, un esprit qui leur lance une parole toute faite : « La paix soit avec vous » ? A la vérité, c’est une parole transcendante qui vient fouetter leurs sens timorés par le contexte. Jésus ne s’arrête pas à ce qui semble être un leitmotiv pour mettre des gens en route, une salutation du genre « Salamalek » lapidaire. Que non ! C’est beaucoup plus sérieux. La scène qui suivra apportera la preuve de sa présence réelle. « Je ne suis pas un esprit, je suis celui que vous avez côtoyé depuis 3 années. Voyez, je suis un homme ; la preuve, je peux bien croquer un morceau avec vous !», semble-t-il dire à ces hommes. Une telle apparition a au moins trois conséquences :
- D’abord au niveau ontologique (l’ontologie est la science de l’être en philosophie). L’apparition n’est pas fictive, pas symbolique mais effective. Jésus ne leur parle pas au téléphone si vous voulez. Il est bien présent. Il est là. L’apparition met un terme à l’angoisse de la mort et au long suspens qui ont précédé, à l’ampleur de ce vide difficile à combler et à assumer. Il est bien vivant et cela n’a rien à voir avec quelconque rumeur.
- Ensuite au niveau pédagogique ; car tout ce qui est arrivé est lié à un processus établi d’avance que l’intelligence même des docteurs de la loi et des pharisiens de son époque n’est rendue capable de cerner. Tout l’enseignement qui a précédé aboutit à la mort et à la résurrection ; deux moments clés. L’un n’existe pas sans l’autre. Mais en tout état de cause, c’est la vie qui l’emporte sur la mort.
- Enfin cette apparition a une portée existentielle. La nouvelle nous concerne profondément parce qu’elle vient redéfinir le sens de notre vie. Ce n’est pas le Seigneur qui est étonné de ce qui se passe. Ce sont ses disciples qui ne savent plus comment manifester cette joie tant elle les bouleverse.
Frères et soeurs, nous voici au coeur de la pertinence même de la foi chrétienne. La vie qui triomphe ; qui triomphe de tout y compris de la chose que nous redoutons le plus : la mort. En effet, perdre un être cher, souffrir de la pire des manières, porter en soi l’angoisse la plus tenace… Tout ce qui précède n’est évident pour personne. Mais un terme est associé à tout cela ; c’est la victoire de la vie qui vient changer de fond en comble nos regards, la direction de nos espérances. La vie selon le Christ est cette interpellation ultime faite aux humains afin que nos larmes se transforment en joie, nos douleurs en fête.
Voyez ces disciples de Jésus. Ils sont dans un étonnement très singulier parce que ce qui leur arrive n’est absolument pas du domaine du possible. Ils n’en reviennent simplement pas ! Cette scène nous montre à suffisance que nous pouvons nous aussi nous lever de nos tombeaux et jeter un regard neuf sur ces péripéties de la vie qui par moments tendent à nous écraser, à nous maintenir dans une sorte de stagnation sinon de désespérance. Il nous faut donc, grâce au ressuscité dont l’histoire rejoint pertinemment la nôtre, croire à la vie, croire en la vie. C’est lui Jésus-Christ qui nous l’offre. Et si nous peinons, si le doute nous encercle et tente de voler notre joie, rappelons-nous de cette scène et prions. Parfois, – il est vrai – il nous faut nous mettre à l’écart pour le faire, pour nous ressourcer. Cependant, n’oublions pas que cette vie donnée est partage. Elle n’est pas un bien que l’on garde égoïstement dans un coin mais un tison qui se propage. Souvenons-nous que Jésus, à son apparition, a demandé du poisson. C’est ici tout un symbole. Le poisson selon l’horizon biblique ancien signifie multiplication, abondance. La vie chrétienne n’est pas un bien privé que l’on cache, elle est un bien à offrir au monde mourant ; au monde défiguré par le péché. C’est à nous d’y faire face – nous les témoins d’aujourd’hui -en laissant s’y manifester la vie que Dieu donne ; la vie telle que Dieu nous la donne plutôt que comme nous semblons l’imaginer. Jésus met ainsi ses disciples en route pour multiplier cette joie. En sommes-nous prêts ? Que la paix soit avec nous !
AMEN