Être-là

Zachée Betche, pasteur. Texte : Jean 17, 11b-19

Chers amis,
Aux lendemains de l’Ascension du Christ, une évidence apparaît de plein fouet : les disciples sont bien-là, présents au coeur du monde. Ce n’est pas un choix encore moins un rêve ; ils sont là au coeur de la réalité concrète des choses. Impossible de faire autrement. A des milliers d’années de cette scène, nous aussi sommes là, présents sur cette terre au multiple visage.
La montée au ciel est certainement un événement inattendu, très particulier à tel point que personne ne pouvait imaginer le voir se réaliser. Une telle scène est mine de rien bouleversante pour quiconque sait à peu près la loi de la pesanteur. Celui que les disciples ont côtoyé, celui avec qui ils n’ont pu trouver de lieu où reposer leur tête les laisse là ; « à même le sol ». C’est notre condition humaine et notre être chrétien nous rend davantage attentifs à cette réalité.


Mais est-ce si surprenant, pour ces disciples, que Jésus les quitte ainsi ? Il y a lieu d’en douter lorsqu’on se réfère à cette prière sacerdotale dans laquelle le Seigneur, s’adressant au Père, dit ostensiblement : « Je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde, et je vais à toi. » Précisons que cette prière est publique. Les disciples l’entendent étant donné qu’il est avec eux et l’énonce juste après qu’il ait dit : « Prenez courage, moi j’ai remporté la victoire sur le monde » ( Jn 16, 33b).


Chers amis, frères et soeurs, être au monde, l’habiter, n’est évidemment pas sans conséquence. L’influencer, en être influencé, s’influencer réciproquement ; impossible que cela soit autrement. Du célèbre philosophe allemand Martin Heidegger à ses continuateurs existentialistes, cette évidence de l’être au monde ne laisse personne indifférent. Chrétiennement parlant, il va de soi que notre présence ou notre être-là-au-monde – comme jeté ou placé en ce monde – soit marqué par le sceau d’une responsabilité particulière liée, dépassant notre seule humanité et correspondant à notre identité propre qui se tisse à partir de Jésus-Christ. Cette responsabilité est là elle aussi. Et c’est le philosophe Louis Lavelle qui disait que « Dieu nous laisse entre hommes. Pas moyen de le rencontrer autrement que par l’homme. Dieu est intérieur à l’homme et ne peut se manifester que par chacun d’entre nous. L’homme est donc seul responsable du silence ou de l’absence, – remarquez la subtilité -, apparente de Dieu. »


Sel de la terre, lumière du monde, l’église est à pied d’oeuvre dans l’univers, à la hauteur de la géométrie du monde, pour le transformer plutôt que pour en subir les caprices spirituels, moraux, trempés dans toutes sortes d’idéologies douteuses.
On remarque de plus en plus que des chrétiens se laissent tenter par un fatalisme sournois. Les expressions telles « on a pas le choix », « c’est comme ça », etc. font leur chemin de crête dans nos pensées et nous réduisent peu à peu au silence alors que le Christ nous demande
d’être là ; être dans ce qu’il a de plus pertinent. Il s’agit bien d’être. Pas comme des girouettes que le monde agite à sa guise, dépendant d’un « éon » (Romains 12) particulier.
Frères et soeurs, la tentation de l’Eglise aujourd’hui est de vouloir plaire à ce monde. La prière sacerdotale doit nous rappeler le contraire à chaque occasion. L’Eglise ne s’oppose pas au monde pour s’opposer ; les deux natures sont bien différentes et il faut absolument développer le discernement spirituel pour éviter de s’enliser progressivement et définitivement. Nous sommes donc avertis.
Faut-il donc en avoir pour autant parce que la pression monte et semble nous écraser ? Non. Il nous faut chercher de toutes nos forces à vivre dans la vérité, à la rechercher de tout notre coeur pour ainsi être à l’abri du danger. Car l’ennemi « rôde comme un lion, cherchant qui dévorer. » (1 Pierre 5, 8).


Chers amis, le départ du Christ ne nous laisse pas exsangues, sans ressource. Premièrement, il nous laisse sa parole ; cette nourriture inépuisable qui nous maintient ; notre référence en manière de vérité.
Deuxièmement, il prie pour nous. C’est l’activité qu’il mène en permanence en notre faveur afin de nous préserver du mal.
Enfin, troisièmement, il nous sanctifie. C’est l’oeuvre que l’Esprit saint vient accomplir dans nos vies de chaque jour ; lui le consolateur, lui qui veille à préserver en nous cette joie, j’allais dire ce trésor que nous avons reçue.
Seule la Parole sanctifie et c’est elle notre vérité, c’est elle la vérité qui nous porte à être là au coeur de ce monde tout en restant debout, droits dans nos bottes. L’Esprit vient, n’ayons pas peur. Il vient nous garder debout pour la vie éternelle. AMEN


Zachée Betche, pasteur