DIEU DANS MA VILLE

Prédication pour le dimanche des Rameaux

Sara Schulthess, pasteure à la Paroisse protestante de Sion

Détails de vitraux de la Cathédrale de Chartres

Quand ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent près du village de Bethfagé, vers le mont des Oliviers, Jésus envoya deux des disciples en leur disant :

  • Allez au village qui est devant vous. Vous y trouverez tout de suite une ânesse attachée et son ânon avec elle. Détachez-les et amenez-les-moi.

Si quelqu’un vous demande quelque chose, vous direz : “Le Seigneur en a besoin.” Et aussitôt on les laissera partir.

Cela arriva afin que s’accomplissent ces paroles du prophète :

Dites à la population de Sion :

Regarde, ton roi vient à toi,

plein de douceur, monté sur une ânesse,

et sur un ânon, le petit d’une ânesse.

Les disciples partirent donc et firent comme Jésus leur avait ordonné.

Ils amenèrent l’ânesse et l’ânon, posèrent leurs manteaux sur eux et Jésus s’assit dessus.

Une foule de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et les mettaient sur le chemin.

Ceux qui marchaient devant Jésus et ceux qui le suivaient criaient :

  • Hosanna au fils de David ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux !

Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la population fut agitée.

  • Qui est celui-ci ? demandait-on.
  • C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée, répondaient les gens.

Gloire à toi, Seigneur !

PRÉDICATION

Tous les évangiles nous rapportent qu’à l’arrivée de Jésus à Jérusalem, il y avait foule pour l’accueillir :

Relisons la description de cette arrivée selon l’évangile de Matthieu :

« Une foule de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et les mettaient sur le chemin.

Ceux qui marchaient devant Jésus et ceux qui marchaient derrière lui criaient :

  • Hosanna au fils de David ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! »

Des gens de tous les côtés, décrits par les quatre évangélistes… La présence d’une foule semble donc être bien établie, mais, comme souvent dans les évangiles par ailleurs, il ne nous est pas dit grand-chose de celle-ci – qui étaient-ils donc, tous ces gens qui gravitent autour de Jésus, des hommes, des femmes, des enfants, des riches, des pauvres, de jeunes, des vieux ??

Et le mystère est ici encore plus épais, car nous ne savons finalement pas très bien ce qui se joue dans la liesse de ce comité d’accueil – car cette ambiance de fête nous semble aujourd’hui même un peu incongrue, alors que nous sommes en plein carême et que nous commençons la semaine sainte, cette semaine vers Pâques qui est d’ailleurs appelée par certains orthodoxes « semaine des souffrances », car nous y faisons souvenir de la Passion du Christ.

Étonnante, mystérieuse, cette foule en fête. Ces gens se sont-ils vraiment rassemblés exprès pour voir Jésus arriver, pour le célébrer ?

Il faut dire que la description de l’épisode évoque l’accueil d’un vainqueur. Vous savez peut-être qu’en allemand, le dimanche des Rameaux se dit Palmsonntag, évoquant plus directement qu’en français les branches de palmiers – qui étaient utilisées dans l’Antiquité pour symboliser la victoire. On la donnait ou on les plaçait sous les pieds des vainqueurs militaires, mais aussi des gagnants d’exploits sportifs ou académiques. Ne parle-t-on pas encore aujourd’hui de la « palme du vainqueur » ?

Voilà qui nous laisse à penser que la foule s’est bien réunie pour accueillir ce Jésus de Nazareth, pour l’accueillir en vainqueur, celui-là qui a fait tant d’exploits… le dernier en date : deux aveugles guéris à Jéricho… et puis il paraît qu’il aurait même fait revenir des morts son ami Lazare… Qui voudrait manquer l’arrivée de cet homme extraordinaire dans la capitale ?

Une autre possibilité est que la foule était en fait déjà là, à l’arrivée de Jésus, réunie pour une fête de pèlerinage à Jérusalem, la fête de Souccot ; une fête joyeuse, qui avait une signification agricole et qui… impliquait aussi des branches d’arbres.

Une foule déjà en liesse, mais qui à l’arrivée de Jésus, ne chante plus les louanges de Dieu, de YHWH… Voilà que ses chants s’adressent dorénavant à Jésus, dans lequel elle reconnaît son Messie, cet envoyé de Dieu qui rétablira la grandeur d’Israël. D’ailleurs, n’est-il pas monté sur un âne comme le roi plein de douceur pour Sion, annoncé par le prophète Zacharie et attendu depuis des siècles ?

Nous avons donc, pourrait-on dire, d’un côté, un Jésus vainqueur, « à la grecque »…

Et de l’autre côté, un Jésus Messie, « à la juive »…

Mais qu’on se place dans une perspective ou dans l’autre, nous avons dans tous les cas, un Jésus salué par une foule convaincue.

Convaincue, vraiment ? Que va-t-il se passer, quand ce Jésus entrera en ville ? Matthieu nous dit que : « Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la population fut agitée. » Oui, quand Jésus entre en ville, la foule trésaille.

Car, comme le dit le théologien Antoine Nouis, « Cette foule qui chante Hosanna, où est-elle quelques jours plus tard lorsqu’une autre foule crie : Crucifie-le ! [Est-ce] une autre foule ? En sommes-nous si sûrs ? N’est-ce pas le propre de la foule d’être versatile, de crier ‘Hosanna !’ le dimanche et ‘à mort ‘ le vendredi ? »[1]


[1] Antoine Nouis, Le sens du culte, Olivétan, 2010, p. 186.

La foule est versatile, la foule est ambiguë. Voilà pourquoi la foule trésaille à l’entrée de Jésus en ville.

Quand il s’agissait d’un moment de liesse populaire, quand il s’agissait d’une anecdote à raconter à d’autres, afin de pouvoir dire « oui, j’y étais moi aussi », les gens étaient présents.

Mais quand cela devient sérieux, quand Jésus s’approche du pouvoir politique et religieux, circulez, il n’y a plus rien à voir.

La foule trésaille à l’entrée de Jésus en ville… et la foule, c’est moi.

Apprécier Jésus de loin, s’autocongratuler avec d’autres, du gars magnifique que c’était, c’est une chose. Mais continuer à le suivre quand cela devient sérieux, c’en est une autre. Car le premier geste que Jésus fait une fois entré à Jérusalem, c’est de chasser les marchands du temple, son premier geste est de renverser des tables. Jésus se rend au temple de la capitale, il se dirige au centre du centre, et il sème le désordre.

La foule n’est pas prête à suivre Jésus sur ce terrain-là, à le laisser entrer, vraiment, à se laisser changer, vraiment. Elle est à notre image.

Oui, la foule, c’est moi, et la ville, c’est moi aussi. Cette Jérusalem dans laquelle Jésus entre, elle peut symboliser mon centre à moi aussi, mon intérieur.

Tant que Jésus reste dans les marges, en surface, je peux le suivre, mais quand il veut entrer pour me changer, pour semer le désordre à l’intérieur, pour tout renverser, c’est plus compliqué, n’est-ce pas ?

Mais voilà, Jésus sait cela. De la même manière qu’il savait que l’âne attendait qu’on vienne le chercher, il sait aussi que la foule se retournera contre lui.

Jésus sait vers quoi il se dirige, Jésus connaît la foule, il connaît ses faiblesses – et il me connaît moi, et les murs que je dresse en moi.

Et Jésus ne dit rien, il ne prononce pas un mot, pas un reproche ; il ne fait pas la morale ou la leçon. Non, il accueille pleinement l’hommage que lui rend la foule.

Et cette attitude du Christ me parle. Comme la foule, nous sommes faits de sentiments et d’actions ambigus, contradictoires, parce que tout n’est pas toujours simple dans notre vie et notre foi… Nous avons aussi, comme la foule, nos limites et nos faiblesses, nos failles et nos lâchetés. Mais le Christ nous accueille tels que nous sommes, et il trouve son chemin dans nos cœurs qui lui résistent.[1]

Oui, je suis comme la foule versatile, oui je suis comme la ville qui ne veut pas se laisser toucher de l’intérieur, mais Christ est vainqueur, un vainqueur « à la juive », un vainqueur « à la grecque », ou un vainqueur « à la Sara Schulthess » !

Et en guise de conclusion à ce message, je vous propose un poème, de l’artiste et prêtre Charles Singer, qui met des mots sur nos villes intérieures…[2]

Lorsque Jésus

entre à Jérusalem,

la grande Ville de son peuple,

il connaît,

il sait

à quoi il doit s’attendre,

à quoi il va se mêler.

Il entre dans un espace

où la grandeur côtoie

la décadence,

où l’or voisine

avec les ordures,

où le Temple voisine

avec les spécialistes de l’argent,

où les marchands voisinent

avec les mendiants,

où les prêtres voisinent

avec l’hypocrisie,

où le péché voisine

avec la sainteté,

où la misère et la lèpre voisinent

avec le bonheur.

Ce jour-là

Dieu reste logique

avec son désir

d’approcher l’Homme.

Ce jour-là

Jésus reste logique

avec les actes et les paroles

de toute sa vie.

Il n’a voulu

qu’une seule chose ;

pénétrer au cœur

de l’existence humaine.

Ce jour-là

à Jérusalem,

Dieu entre dans la Ville.

Jérusalem devient l’image

de tous les endroits

où séjourne l’humanité,

depuis que Dieu

s’est ainsi aventuré

sur les routes des hommes,

depuis que Dieu a marché

en pleine humanité,

depuis qu’il est entré

dans les villes humaines,

depuis ce jour-là

la Ville

et tout ce qui s’y déroule

devient le lieu

de la rencontre

de Dieu et de l’Homme.

Désormais,

rien,

rien dans ma Ville

n’est étranger

à ma rencontre avec Dieu.

Rien dans ma ville

n’est indifférent à Dieu,

tout y est marqué

de sa brûlante Présence.

Dieu est enraciné

dans ma Ville.

Il ne faut pas chercher Dieu ailleurs :

Dieu a pris logement en ville.

Amen.


[1] Cf. Prédication de Stéphane Kakouridis, acteurs.uepal.fr.

[2] Charles Singer, Fête, Desclée, 1981, p. 47.