Actes 2, 1-13 // Genèse 11, 1 9
Tout va bien…en théorie
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Ces mots sont ceux de l’article premier de la déclaration universelle des droits de l’homme, déclaration qui a été adoptée en 1948 en réaction aux actes de barbarie commis lors de la deuxième guerre mondiale. Cette déclaration était animée par un idéal de reconnaissance mutuelle. Elle a été concrétisée par des conventions et des pactes à travers lesquels les pays signataires s’engageaient sur la voie de la
protection de la dignité humaine et de la promotion de la justice sociale.
Ces textes disent la conviction d’appartenir à une même famille humaine. C’est ce qui leur confère leur caractère universel. La plupart des pays les ont ratifiés, montrant par là leur souci de participer à la construction d’un monde qui soit un espace de vie salutaire pour toutes et tous.
« Un jour » disait l’humoriste Pierre Desproges, « j’irai vivre en Théorie, car en Théorie, tout se passe bien ».
Oui, en théorie, tout se passe bien. Au moment d’énoncer des principes, tout le monde est d’accord.
Mais en pratique, comment faire pour que nos visions du monde ne s’affrontent pas au point de mettre en péril notre capacité à coexister ?
L’histoire de Babel, c’est l’histoire d’une aspiration à l’unité. Mais ce désir engendre une telle soif d’absolu que la diversité des existences est menacée. Babel, c’est l’histoire de l’empêchement d’une dérive totalitaire.
Est-ce que notre volonté de construire un sens commun est forcément vouée à
l’échec
Dans ma bulle
C’est avec ces interrogations légitimes que les citoyens et les citoyennes
d’aujourd’hui s’installent derrière leur ordinateur pour prendre le pouls de leur société. Derrière leur écran, ils et elles regardent défiler les évènements. C’est un peu difficile de s’orienter dans la forêt d’informations toujours plus touffue qui s’érige devant leurs yeux. Sur les réseaux sociaux, citoyenne et citoyen tissent des liens avec d’autres. Leurs préférences les dirigent vers celles et ceux qui leur ressemblent.
Et si on ne les trouve pas tout de suite, les algorithmes s’en chargeront. On parle la même langue et se comprennent. Peu à peu, tout paraî t plus simple et évident. On découvre des clairières ensoleillées au coeur de la forêt. On a même parfois l’impression de toucher le ciel et d’atteindre la vérité ultime. A l’abri de leur chapelle virtuelle, citoyenne et citoyen célèbrent le culte des affinités. Et on lance des apostrophes à celles et ceux qui nous font face.
« Woke » « Boomer » Citoyenne et citoyen sont passés maîtres dans l’art de lancer des anathèmes.
« Woke » « Boomer » Qui que vous soyez, on tentera de faire entrer toute votre histoire personnelle dans deux ou trois concepts flous pour mieux la sacrifier sur l’autel du prêt à penser. On fait passer ces apostrophes pour des boutades sans importance. Des coups de gueules somme toute légitimes. De saines émanations d’une liberté bien comprise.
Mais ne nous y trompons pas. Il ne s’agit ni d’outrance, ni même de caricature. Mais bien de réductionnisme. Citoyen et citoyenne n’ont pas leur pareil pour traduire une réalité complexe en équation simple. Et ce n’est pas anodin. Parce que l’appauvrissement de leur langage entraîne celui de leur pensée. Citoyen et citoyenne revendiquent haut et fort leur droit à user de leur liberté d’expression. Mais liberté d’exprimer quoi au juste ?
Liberté d’offenser
« Woke » « Boomer !»
Bien à l’abri de leur chapelle qui touche le ciel, citoyenne et citoyen offensent leur prochain à l’envi. Après tout, une offense ce n’est pas forcément illégal. Après tout, nos systèmes juridiques sont conçus pour protéger la dignité des personnes.
Suis-je encore le gardien de mon frère ou de ma sœur alors que le droit s’invite de plus en plus dans notre vie sociale pour protéger les personnes ?
Suis-je encore concerné par toutes ces expériences personnelles qui ne reflètent pas vraiment la mienne ?
A quoi bon me laisser déplacer au-delà des limites de mon jugement puisque cette delà des limites de mon jugement puisque cette personne en face de moi bénéficie de la même liberté d’opinion que moi ?
On oublie un peu trop vite que nos existences individuelles s’insèrent dans une histoire collective. On ne construit pas du sens commun en blessant la conscience histoire collective. On ne construit pas du sens commun en blessant la conscience des autres, mais en tissant patiemment nos parcours personnels dans une aventure des autres, mais en tissant patiemment nos parcours personnels dans une aventure commune. Et commune. Et cette aventure est toujours risquée. Dans nos échanges, on ne peut cette aventure est toujours risquée. Dans nos échanges, on ne peut pas toujours faire plaisir. Si on devait être sûr de ne froisser personne, on n’oserait pas toujours faire plaisir. Si on devait être sûr de ne froisser personne, on n’oserait tout simplement plus proférer un seul mot. Il est même légitime de dénoncer les tout simplement plus proférer un seul mot. Il est même légitime de dénoncer les propos qui nous paraissent ruiner les fondements de la dignité humaine.
Notre histoire collective ne suit pas un itinéraire tout tracé. Elle a ses hauts et ses bas. Ses réussites et ses échecs. Ses privilégiés et ses laissés pour compte. Ses privilégiés et ses laissés pour compte. Tisser nos liens, ça ne va pas de soi, c’est un ouvrage à remettre sans cesse sur le métier nos liens, ça ne va pas de soi, c’est un ouvrage à remettre sans cesse sur le métier du vivre ensemble.
Mais à l’abri de leur chapelle qui touche le ciel, citoyenne et citoyen ont perdu de vue la complexité de leur histoire commune. la complexité de leur histoire commune.
Leur univers mental est tapissé de réflexes de pensée qui leur font considérer que
Leur univers mental est tapissé de réflexes de pensée qui leur font considérer que les offenses qu’ils reçoivent sont plus graves que celles qu’ils infligent.
Pentecôte : une vue de l’Esprit
Sur la base de nos expériences du vivre ensemble, on peut se demander si cette histoire de Pentecôte que nous venons de lire, ce n’est pas une vue de l’esprit, si vous me passez l’expression. Cette unanimité des disciples et leur capacité à se faire comprendre de chacune et chacun semble plutôt éloigné de l’expérience commune.
Le livre des Actes des Apôtres est la suite de l’évangile de Luc. Cette œuvre en deux parties est la seule du Nouveau Testament à mettre en récit les débuts de l’histoire de l’Église. Nous nous situons donc au moment où les apôtres sont saisis de la mission de poursuivre l’œuvre de Jésus. La mort ignominieuse de ce dernier n’a pas eu le pouvoir d’empêcher son message de circuler. Et il est temps de le transmettre à grande échelle.
Alors bien sûr, la scène de la manifestation divine et des langues de feu a des airs de récit fantastique. Et les compétences de communication de ce premier cercle de témoins semblent narguer les efforts de nos Églises vieillissantes pour garder le contact avec la population.
Mais ce passage du livre des Actes n’a pas tellement pour ambition de nous raconter une anecdote divertissante que de nous adresser une vocation.
L’énumération des peuples représente le monde entier tel que pouvait se le figurer à l’époque la foule présente lors de cette fête de Pentecôte. Il s’agit bel et bien l’époque la foule présente lors de cette fête de Pentecôte. Il s’agit bel et bien d’annoncer un message universel.
Liberté de pardonner
Cette prétention paraît de prime abord anachronique, car à notre époque, on commencera par dire qu’un message religieux ne peut pas être universel, par respect pour la liberté de croyance et la pluralité des convictions. Notre histoire vibre encore des assauts d’une Église triomphante qui a voulu sauver un monde incrédule en lui imposant sa doctrine et qui a fait du Dieu de Jésus Christ une tenaille pour
forcer les consciences. Mais cette communication qui veut se frayer un chemin dans le monde n’est pas un e vérité surplombante qu’il faudrait ingérer coûte que coûte. Ce message s’incarne dans la vie de Jésus de Nazareth. Une vie tournée vers les autres, vers tous les autres, sans distinction. Jésus avait pour habitude de se mettre à table avec les hommes et les femmes de son temps. Il ne laissait aucun écran s’interposer entre lui et celles et ceux qu’il rencontrait.
Il ne les voyait pas d’abord à travers leur genre, leur rôle social ou leur âge. Il les recevait comme des personnes à part entière et décelait leur désir de vivre et d’être aimés dans les replis de leurs parcours singuliers.
Il enseignait un accueil à contre courant, un accueil qui ne se nourrit pas de préférences et d’affinités, mais qui voit chez chacune et chacun un être en devenir. Jésus n’offrait pas un statut, mais un avenir.
Quel qu’ait pu être le poids du passé et l’emprise de la culpabilité, quelles qu’aient pu être les expériences de rejet et les déceptions, quelles qu’aient pu être les peurs et les amertumes, Jésus faisait circuler une puissance d’acceptation capable de transcender et de redresser toutes les identités meurtries. A celles et ceux qui acceptaient d’être acceptés, il ouvrait la porte d’un royaume sans frontières. Un royaume où la reconnaissance mutuelle était rendue possible par la joie de se savoir accueilli envers et contre tout.
Et pour que cette histoire soit aussi la nôtre et celle de nos semblables, nous sommes invités à poursuivre son écriture dans l’esprit de celui qui nous l’a transmise.
Une histoire universelle
Pentecôte : voilà donc les disciples de Jésus à l’aube d’une nouvelle étape de leur ministère, mais dans la continuité avec une histoire millénaire.
Leurs paroles s’adressent au monde entier, mais vous aurez noté que les personnes rassemblées autour d’eux sont issues du judaïsme. Ce sont les destinataires des écrits qui ont précédé le temps de Jésus.
Pour l’auteur du livre des Actes, le message salutaire qui veut se propager et se partager ne fait pas table rase du passé et ne nous arrache pas aux contingences. C’est une manière de dire qu’aucune période de l’histoire n’est vaine. Que chaque époque est porteuse d’une promesse de nouveauté et de recommencement. On l’oublie souvent, car on confond l’espoir et l’espérance et on croit toujours que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, mais aucune génération n’est condamnée à être ensevelie dans un passé révolu. Et notre fête chrétienne de Pentecôte est née en continuité elle aussi avec la fête juive qui célébrait l’alliance sans cesse renouvelée
de Dieu avec son peuple. L’Esprit souffle à travers le temps et l’espace.
Dans cet esprit, nous sommes invités à ne pas voir le monde au prisme de nos seules histoires individuelles. Nos communications diverses rencontrent des personnes diverses. Et nos paroles n’ont pas le même impact suivant le vécu de ces personnes. Suis je l a gardienne de mon frère ? Suis je le gardien de ma soeur ? Si je ne suis pas directement responsable de toutes les offenses subies par celles et ceux qui souffrent, je suis responsable de l’écriture de notre histoire commune. Je suis partie prenante d’une dynamique de Vie qui me précède et qui me dépasse.
Je suis responsable d’offrir à mes semblables une parole qui maintienne ouverte la porte de leur avenir. Une parole qui s’inspire d’une promesse et pas d’ un jugement.
Cette perspective exige un décentrement assez radical.
Elle provoque de la perplexité, de l’incompréhension, de la stupéfaction voire de l’incrédulité parmi les auditeurs rassemblés autour des disciples à Pentecôte. Ils se sentent rejoints dans l’intimité de leur parcours singulier. Mais en même temps sont invités à faire le deuil de leurs réflexes de pensée, à ne pas s’enfermer dans l’approbation ou l’opprobre, bref, à prendre le risque de la reconnaissance. C’est en se laissant transformer jusque dans ses habitudes de langage qu’on peut frayer un chemin à la parole qui rejoint et qui invite chacune et chacun à prendre place à la
table du Royaume.
Amen
Marianne Chappuis, 19 mai 2024