Culte du 4 février 2024 – Collégiale de Neuchâtel

Ne vous inquiétez pas !

Textes bibliques : 1Rois 17,8-16 et Évangile de Matthieu 6, 24-34

Chers Amis, chères soeurs et chers frères en Christ,

Vivre l’instant… Impossible !


Procédons à un petit sondage, si vous le voulez bien : combien parmi nous ne se font aucun – mais vraiment aucun – souci pour l’avenir ? Qui applique parfaitement cette exhortation du Christ à ne pas s’inquiéter de sa vie ? Qui a fait de ces mots « À chaque jour suffit sa peine » sa philosophie de vie et l’applique sans faillir ni faiblir ?

Je ne crois pas beaucoup me tromper en disant que nous vivons rarement pleinement le moment présent. Ne sommes-nous pas des experts de l’anticipation, de l’organisation, de la projection ? Que ce soit dans notre vie personnelle et professionnelle, nous avons besoin de prévoir les choses, de noter les rendez-vous à venir, d’entourer des échéances importantes dans l’agenda déjà bien rempli, de penser aux courses de la semaine, de réserver ses vacances d’été, de peut-être même commencer à se demander où et avec qui nous fêterons Noël cette année. Même, notre vie d’église n’échappe pas à la règle : d’une main, nous élevons et proclamons l’aujourd’hui de la foi et de l’autre nous nous projetons déjà dans les engagements à venir.


Toute cette projection vers l’avenir génère de l’inquiétude, de l’anxiété, du stress voire du burnout. Et en réponse, on ne cesse d’entendre comme un mantra qu’il faut ralentir ! Qu’il faut prendre son temps ! Facile à écrire, facile à entendre, n’est-ce pas : prendre son temps, vivre le moment présent.


Certes, mais combien de fois avons-nous profité vraiment de l’instant présent ? Peut-être « juste » le temps d’une méditation ou d’une prière… Et, ce n’est pas si mal, c’est déjà un bon début. Mais, voici que la course du temps nous rattrape et qu’il faut penser à… tant de choses.


« Ne vous inquiétez pas du lendemain. » Ces paroles que le Christ adresse à ses auditeurs, et à nous ce matin, ont quelque chose de l’idéal qui touche à impossible dans la réalité, me semble-t-il. Nous pouvons bien sûr y adhérer en partie, essayer de faire au mieux, de s’accommoder, de faire avec d’un côté nos obligations et de l’autre nos envies, conscients de nos limites et s’en contenter. Mais répondre parfaitement à l’exhortation de Jésus, c’est bien plus que compliqué.


Tâcher de faire au mieux, est-ce une réponse satisfaisante ? Nous l’avons déjà remarqué à maintes reprises, Jésus n’appelle pas à la demi-mesure. Avec lui, c’est tout ou rien, il le martèle d’ailleurs ici : « on ne peut pas servir deux maîtres à la fois, Dieu et l’argent… Ou bien on haïra
l’un et on aimera l’autre, ou bien on s’attachera à l’un et on méprisera l’autre ». Le temps et l’argent sont bien plus souvent de mauvais maîtres que de bons serviteurs.


Si vous fréquentez les librairies, vous avez sans doute constaté, tout comme moi, le nombre croissant de livres qui invitent à reprendre le contrôle sa vie, à s’organiser pour ne plus être débordé, à retrouver une pleine conscience de l’instant présent. Et chacun y va de sa méthode, la meilleure évidemment, qui nous libérera enfin de toute la pression des obligations et saura aérer nos emplois du temps. Le but plus ou moins affiché est de redevenir maître de sa vie plutôt qu’esclave du temps qui file.


Un enseignement à suivre


Jésus, lui, n’a rien écrit, nous le savons. Mais, il a illustré ses enseignements par la nature qui l’entourait. C’était un bon moyen de toucher ses auditeurs. Et c’est un bon moyen de nous interpeller à notre tour aujourd’hui encore. En parlant des soucis et des inquiétudes de l’existence humaine, il appelle à lever les yeux vers les oiseaux du ciel « qui ne sèment ni ne moissonnent » ou à s’arrêter pour observer les fleurs des champs « qui ne peinent ni ne filent »Mt 6,26-28. Et j’avoue que je les envie parfois, ces oiseaux, ces fleurs. Ils et elles ont la belle vie !


Mais, Jésus ne nous souhaite pas une belle vie faite d’insouciance. Il n’appelle pas à regarder naïvement les beautés de la création et s’en contenter. Il affirme que la nature nous dit quelque chose de Dieu et du soin qu’il prend de chacune de ses créatures, même les plus petites.


Dieu sait ce dont chacun-e a besoin, et par conséquent, il appelle à la confiance : « Ne vous inquiétez pas… » C’est beau, mais comment vivre cette confiance, cette foi, dans la réalité du quotidien ?


L’urgence de l’aujourd’hui


En méditant les textes proposés ce matin, je ne peux m’empêcher de penser aux visiteuses et visiteurs de la Lanterne que nous accueillons. En pensant à elles et à eux, je reconnais en certains d’entre eux la veuve de Sarepta, qui était dans la survie de l’aujourd’hui : « je préparerai ces aliments pour moi et mon fils – dit-elle au prophète – Nous les mangerons puis nous mourrons. »1R 17.12 Et je reste à moitié convaincu de la réponse du prophète Elie : ni le pot ni la jarre ne se videront avant que le Seigneur ait mis fin à la sécheresse1R17,14. Confiance en ce Dieu qui pourvoit, oui. Mais est-ce audible dans l’urgence du besoin ?


Nos amis de la rue et de la Lanterne s’inquiètent pour la nourriture et le vêtement, avec souvent ce même sentiment d’urgence. « Que vais-je manger aujourd’hui ? » est une préoccupation de chaque jour pour certains d’entre eux. « De quoi vais-je me vêtir ? » devient une question « brûlante », si je puis dire, lorsque la saison froide arrive et que le portemonnaie est presque vide. Et nous qui accueillons à la Lanterne, nous ne pouvons pas juste répondre « Ne t’inquiète pas, Dieu sait ce dont tu as besoin ! Aie confiance ! » Nous avons à donner une aide concrète : un bol de soupe ou de bircher, un café ou un thé. Nous ne distribuons pas de vêtements, mais nous pouvons relayer auprès d’autres acteurs sociaux de la Ville. Et ce que nous pouvons donner surtout, c’est une présence, une écoute, en trois mots : une chaleur humaine. C’est de cela dont nos visiteurs ont tant besoin.


Et voilà que le Royaume de Dieu se fait jour. Dans l’accueil, l’écoute, la présence, dans le souci du prochain. C’est là dans cette relation naissante ou déjà installée que nous faisons une place à Dieu, même sans le dire ouvertement. Nous essayons avec nos moyens de chercher d’abord le Royaume. Le chercher, c’est visiter toujours et à nouveau cette relation entre Dieu et l’humain, l’humain à Dieu.


C’est accueillir et discerner Dieu en nous et au milieu de nous, c’est accueillir cette confiance que chacune et chacun compte aux yeux de Dieu au-delà de toute considération. Le reste va presque de soi : offrir notre amitié, notre accueil inconditionnel, notre écoute sincère, nos prières, un peu de pain, quand dans la vie il fait faim. C’est sans doute le premier pas vers ce que Jésus appelle le Royaume et sa justice.


Revenons à nos préoccupations. N’est-ce pas un vrai défi que de ne pas céder à l’inquiétude et à l’anxiété de l’aujourd’hui du monde ? Nous pouvons nous convaincre que Dieu veille et qu’il sait ce dont nous avons besoin. C’est vrai, mais ce n’est pas évident de garder notre confiance intacte. Nous pouvons nous répéter : « À chaque jour suffit sa peine ! »Mt 6,34, c’est vrai, mais on ne peut s’empêcher de regarder déjà à demain. Alors quoi ? Utopie, illusion que tout cela ?


Alors, que faire ?


On peut espérer. Espérer, ce n’est pas attendre qu’un monde meilleur remplace celui-ci dans un avenir plutôt lointain et que nos soucis disparaissent d’un coup de baguette magique. Espérer, c’est dire OUI à cette vie-ci qui nous est donnée et nous pousse de l’avant. Une vie que rien ne peut arrêter, parce que placée sous le regard de Dieu et de sa grâce. Regardez les fleurs qui, après chaque hiver, renaissent à la vie. Regardez-les, ces arbres qui poussent là où on n’y croyait plus, là où on était certain qu’ils n’auraient aucune chance. Et pourtant… Et ces oiseaux qui ne se demandent pas si la branche sur laquelle ils se posent sera assez solide, mais qui ont confiance en leurs ailes et au vent qui les porte.


On peut aussi faire confiance au message des Évangiles qui prend tout son sens pour nous aujourd’hui. Il nous invite à nous mettre en route à la suite du Christ pour que, là où nous sommes, là où nous allons, nous cherchions d’abord le Royaume et sa justice dans nos rencontres. Et nous pourrions être bien étonnés de tout ce qui nous sera donné en plus.

Amen.

Jean-Marc Leresche, diacre et responsable de La Lanterne