Penser autrement plus (Matthieu 21 28 à 32)

Et vous, qu’en pensez-vous ? Que penser en effet de ces deux fils dont l’un dit non à le demande du père, mais qui, se ravisant, effectue le travail ; et l’autre qui fait tout l’inverse.

Comment penser en effet autre chose que celui qui a réalisé la volonté du père, c’est celui qui, ce jour-là, s’est rendu dans la vigne. Pour l’autre, la réalité parle d’elle-même : n’étant pas allé au bout de ses engagements, il n’a pas réalisé la volonté du père. Peut-on penser plus ?

Oh ! il n’est pas exclu d’imaginer que le second fils ait été sincère au départ et qu’il avait bien l’intention de s’y rendre, dans cette vigne. Mais voilà, des circonstances, peut-être, l’en ont empêché. On peut se casser une jambe, tomber en panne d’essence, et mille autres choses qui font que ne se concrétisent pas nos promesses.

Nos existences sont émaillées d’engagements non tenus, de projets jamais aboutis et d’actes manqués.  La vérité, c’est que nous avons une proximité beaucoup plus fréquente avec les dénis du second fils qu’avec la fiabilité du premier.

Ainsi que le formule la sagesse populaire : « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ». Et les bonnes intentions dont nous pavons les voies de nos existences, si elles restent à l’état d’inertes gravats, ne sont que mensonges. On se ment finalement très bien, très couramment, avec une étonnante faculté d’adaptation aux circonstances. 

Clémenceau disait : « on ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre, et après la chasse ». La période que nous vivons, et qui –par coïncidence- aligne ces trois occurrences, devrait nous permettre de vérifier la pertinence de la citation du tigre.   

Mais cette parabole n’est pas là que pour nous faire prendre conscience de la distance entre le dire et le faire ; et surtout pas pour nous enfoncer encore plus dans nos regrets de ne pas avoir mené à bien ce que nous avions souhaité faire. Pour nous sortir de cette impasse, il nous faut examiner à qui cette parabole est dite, et comment elle est dite.

Jésus ici s’adresse aux chefs religieux et autres maîtres de la loi, personnages qu’on rencontre assez souvent dans les évangiles. Mais ici, c’est à un moment particulier : celui qui suit les rameaux où Jésus est entré dans Jérusalem et qu’il vient de chasser les marchands du temple. Alors mettons-nous à la place de ces prélats ; qu’est-ce qu’ils voient ? Comment interprètent-ils ce qui se passe ?

Ils sont à la veille du grand rassemblement religieux de la Pâque où affluent de très nombreux pèlerins, certains des habitués, mais pas seulement. Parce qu’une telle manifestation de masse ne se produit pas spontanément : elle répond à une prise de conscience collective, elle fait suite à l’appel d’un ou plusieurs prédicateurs que les gens ont entendu et qui les a fait retourner à la foi. 

On est ici en plein dans ce qu’on appellera plus tard une période de réveil. Et cette campagne d’évangélisation d’avant la lettre, elle est incarnée par la figure de Jean-Baptiste. Nombreux étaient ceux qui, montant à Jérusalem à ce moment-là, avaient entendu d’abord le message du baptiste. 

De cela, ces religieux sont parfaitement conscients ; peut-être surpris par l’ampleur du phénomène, mais clairement pas assez sots pour s’y opposer. De tous ces gens, ces petites gens, mercenaires et femmes faciles, que le baptiste a amenés à la conversion, ce serait bien le diable si on n’arrivait pas à en faire de braves et réguliers paroissiens. 

Ce qui est moins clair pour eux, c’est quoi faire de Jésus : qui est-il par rapport au baptiste ? Parce que si Jean-Baptiste est mort et, par conséquent, ne dira plus rien qui les dérange ; Jésus, lui, est vivant. Et à quoi, avec lui, faut-il encore s’attendre ?

Et c’est donc à eux que Jésus demande ce qu’ils pensent de cette courte parabole. C’est à eux d’y réfléchir d’abord, à nous ensuite, parce qu’avec Jésus, à quoi, à qui nous attendons-nous ?

 Aussi, les mots qu’utilisent Jésus sont très importants. Si cette parabole est brève, c’est bien pour que nous puissions facilement les repérer, et repérer aussi ce qui rassemble et ce qui différencie les deux frères.

Ce sont des frères parce qu’enfants du même père qui, lorsque celui-ci s’adresse eux, utilise non pas le mot que nous pourrions traduire par « fils » (dans le sens officiel du terme), mais par celui plus familier de « enfants » (1). On pourrait presque entendre « eh les gamins !». Il y a une relation quasiment affectueuse du père à ses enfants qui est posée toute suite.

Et c’est dans la réponse des deux fils que cela va diverger. Le premier formule clairement un « je ne veux pas ». Il ne donne pas de raisons, il ne fait pas état des circonstances de son refus. Il affirme ici sa pleine autonomie. Il ne veut pas, c’est sa libre décision.

Le second fils dit « moi », sous-entendu peut-être : « moi j’irai », mais ponctué surtout d’un très respectueux « Seigneur », très décalé du ton affectueux du père. Comme si cet enfant, s’accrochant à ses précieuses formules, faisait de son père un Seigneur distant, tellement inaccessible que ce qu’il vous demande est irréalisable. A quoi bon dès lors se rendre dans sa vigne ; et pour y faire quoi si on s’en sait irrémédiablement indigne et assurément incapable ?

Dans la réponse du second fils, il n’y a pas nécessairement de mauvaise volonté. Ce n’est pas un hypocrite. C’est juste quelqu’un qui n’entend pas son propre père l’appeler mon enfant parce qu’il est enfermé dans l’image du Maître et Seigneur qu’il s’en fait.

Entends-nous bien, c’est n’est pas d’appeler Dieu « Seigneur » qui soit incorrect, parce que Seigneur, Il l’est, et de tout l’univers. Mais c’est de se figurer qu’il ne soit que cela ; et d’exclure la possibilité qu’il est Dieu qui s’approche ; Dieu à qui on ne dicte ni sa façon d’agir ni celle de juger quand il nous dit : « je veux que vous me reveniez et que vous viviez ». 

C’est le prophète Ezéchiel qui avait déjà mis le doigt dessus. «Rejetez le poids de toutes vos rébellions ; faites-vous un cœur neuf et un esprit neuf ; pourquoi devriez-vous mourir, maison d’Israël ? Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt – oracle du Seigneur DIEU – ; revenez donc et vivez ! » (Ezéchiel 18 ; 31-32)

Revenez donc, repentez-vous, faites techouva : il est plusieurs façon de le décider. Mais c’est cette opportunité que le premier enfant va saisir. 

Il se repend (2) : non pas qu’il s’accable de regrets, mais il a changé d’avis. Les anglais disent « he changed his mind ». Il a changé son esprit, changé le cheminement de sa pensée. Quitte à revenir sur des déclarations qui l’enfermaient dans un refus stérile, il se décide à des priorités qui font vivre. Parce que travailler dans une vigne, c’est travailler à la vie.

Jésus livre cette courte parabole à des religieux pour qu’ils s’autorisent enfin à cette ouverture. Comme aussi pour qu’ils reconnaissent cette liberté à tous les enfants de Dieu, même ceux qui sont les moins fiables à leurs yeux : les collecteurs d’impôts et les prostituées. 

Ceux-là vous passeront devant leur dit Jésus : parce que ceux -là ont moins tardé que vous à faire confiance en Dieu qui accueille les revirements. 

Un Dieu dont la vigne de vie est vaste et fertile. Dieu qui donne un sens à l’engagement de tous.

YAL, 15.10.2023 (prédication au temple du Locle)

(1)  notes :

 (1)    (1) du mot grec « teknon », fils, enfant « par opposition à « huios » », fils, descendant.  

(2)   (2)   du verbe grec « metamelomaï », se repentir : composé du préfixe « meta » qui induit un changement, une transformation comme dans « métamorpohse » et de « melo » : être un objet de soins, d’intérêt. Mot à mot changer de priorité.

Matthieu 21 : 28 à 32 

28« Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. S’avançant vers le premier, il lui dit : “Mon enfant, va donc aujourd’hui travailler à la vigne.” 

29Celui-ci lui répondit : “Je ne veux pas” ; un peu plus tard, pris de remords, il y alla. 

30S’avançant vers le second, il lui dit la même chose. Celui-ci lui répondit : “J’y vais, Seigneur” ; mais il n’y alla pas. 

31Lequel des deux a fait la volonté de son père ? » – « Le premier », répondent-ils. Jésus leur dit : « En vérité, je vous le déclare, collecteurs d’impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. 

32En effet, Jean est venu à vous dans le chemin de la justice, et vous ne l’avez pas cru ; collecteurs d’impôts et prostituées, au contraire, l’ont cru. Et vous, voyant cela, vous ne vous êtes pas dans la suite davantage repentis pour le croire. »